« Où que tu sois en ce moment, mort ou vivant, c’est toi qui me maintiens en vie. »
“Je t’attends” et “Je viens vers toi”, première et seconde partie du volume, sont deux récits épistolaires distincts d’une même épopée. Dans un futur où l’humanité maîtrise – ou croit maîtriser – le voyage stellaire, un homme et une femme doivent se retrouver pour leur mariage au terme chacun d’un déplacement spatial. Mais on le sait fort bien depuis l’âge d’or de la science-fiction et l’essor de la physique relativiste : plus on voyage loin et vite, et plus l’on revient tard. Le temps qui s’est écoulé sur Terre est sans commune mesure avec celui qui s’est écoulé dans l’espace. Dès lors, le moindre retard de l’un équivaut à des décennies pour celui des deux qui est parvenu à regagner la Terre au moment convenu. Et pas d’autre moyen que de repartir dans l’espace plutôt que d’attendre des années, et de s’arranger pour revenir au même moment que le retardataire. Ainsi, fatalité aidant, la cérémonie de mariage sur Terre est-elle décalée, d’incidents de voyages en autres incidents encore, jusqu’à ce que les témoins, les amis, la famille ne soient plus que poussière. Jusqu’à ce que la civilisation même s’effondre. Comment se retrouver dans le temps et dans l’espace lorsque les points de repère disparaissent, lorsque les points de rencontre ne ressemblent plus à ce qu’ils étaient autrefois ? L’amour fou, la course folle vers un futur ou plus rien ne sera pareil, pour se retrouver à tout prix, , au prix de la perte de tout ce que l’on a connu, au prix de la perte du monde. Dans la première partie – les messages adressés au narrateur à sa dulcinée –, le lecteur se trouve ainsi confronté au double vertige de l’espace et du temps, une épopée poignante, optimiste et désespérée tout à la fois. Comme dans le très beau « Mémoire » de Mike McQuay (un roman un peu oublié et dont on peut regretter qu’il n’ait pas connu de réédition en France depuis 1994), l’auteur parvient à placer le lecteur face à l’abîme, à l’angoisse que l’on peut ressentir à savoir son amour égaré dans l’infini, peut-être à jamais. Dans la seconde partie, qui décrit la même aventure à travers les messages de la jeune fille, l’effet de vertige et de surprise est moins prégnant, d’une part en raison de la redite, d’autre part parce qu’il s’efface au profit d’un aspect un peu « grunge », des détails de voyages dans des vaisseaux surchargés comme les vaisseaux intergénérationnels depuis longtemps mis en scène par les littératures de genre, et comme on en trouve encore décrits par Alastair Reynolds ou Adrian Tchaikovsky. Reste une belle histoire d’espoir et d’amour, et une preuve si besoin était que la science-fiction est capable d’offrir aux traditionnelles bluettes des déclinaisons sidérantes, comme l’ont prouvé récemment encore Amal el Mohtar et Max Gladstone avec « Les oiseaux du temps »
« Depuis l’invention du voyage à la vitesse de la lumière, de nombreuses personnes ont fui vers le futur. »
Avec les quatre textes de “Ceux qui vont vers le futur”, changement de personnages et de tonalité pour une troisième partie qui, à travers la quête de Seongha, l’enfant des protagonistes enfin réunis, cherche à s’inscrire dans une continuité romanesque. Si des thématiques comme le temps, la distance, la fin de la terre y figurent bel et bien, la rupture avec les deux premières parties, à la fois de ton et de propos, y est telle que l’on se demande si cette filiation n’a pas été inventée dans le seul but de créer artificiellement un lien avec les premiers textes. Dans “Où comment trouver la fin de l’univers”, où il est question de cartographie cosmique et d’univers fini et courbe – c’est-à-dire dans lequel deux individus s’éloignant dans deux directions opposées finiraient par se retrouver, comme le feraient deux voyageurs s’éloignant à la surface de la terre – Seongha rencontre sa grand-mère et lui fait part de son intention d’aller au bout du monde. Dans “Où ce que doivent faire ceux qui sont descendus du ciel”, retour sur une terre post-apocalyptique pour Seongha, confronté à une pseudo-civilisation ayant régressé dans une barbarie trouble apparaissant comme une nouvelle impasse civilisationnelle régie par un autre voyageur du temps, et texte où sont introduits les Echions, entités combustibles nourries de fleurs et permettant aux vaisseaux spatiaux d’approcher et même d’atteindre la vitesse de la lumière. Des Echions qui prendront tout leur sens dans “ Où ce qui se passe à la vitesse de la lumière” et “Se rendre dans la quatrième dimension ”, où l’on découvrira les nouvelles aventures de Seongha au bout de l’univers, et peut-être même au-delà. Il y a dans cette troisième partie de belles idées, comme celle de l’extrémité d’un univers fini où viendraient s’agglutiner les vaisseaux spatiaux de générations et de civilisations diverses, mais tout se perd dans un salmigondis hétérogène de péripéties superficielles, de personnages aux psychologies grossières et de dialogues basiques, si bien que les divagations mystico-scientifiques assez désinvoltes à base d’énergie spirituelle, de vitesse de la lumière et de quatrième dimension, qui auraient pu être plaisantes et générer de nouveaux vertiges, finissent par perdre une grande part de leur intensité et de leur poésie.
Avec « L’Odyssée des étoiles », nous avons donc affaire à une œuvre composite élaborée à partir de textes initialement parus sous forme de nouvelles, et présentée comme étant un roman. En ce sens, cette « Odyssée des étoiles » répond très précisément à la définition du fix-up, recueil de textes d’un auteur unis en principe par un même thème et censés former un ensemble homogène. On est loin, toutefois, d’une véritable cohérence interne, d’une entière réussite comme pouvaient l’être « Demain les chiens » de Simak ou « Vermilion sands » de Ballard, et plus proche d’une œuvre mineure comme cet autre fix-up qu’était « Lady astronaute » de Mary Robinette Kowal. En effet, si la correspondance spéculaire entre les deux premières parties fonctionne indéniablement, les quatre récits suivants n’y paraissent rattachés que de manière artificielle et l’ensemble peine à former véritablement un tout.
Au final, c’est donc avec une impression mitigée que l’on ressort de la lecture de cet ensemble présenté par l’éditeur comme étant “le premier roman de SF coréen à paraître en France.” Si cette « Odyssée des étoiles » peine à convaincre, elle ne permet toutefois en rien de préjuger de l’imaginaire coréen dans sa globalité. Le lecteur qui souhaitera en savoir plus pourra se tourner vers « Lapin maudit », étonnant recueil de nouvelles à connotation fantastique de la coréenne Bora Chung.
Titre : L’Odyssée des étoiles
Auteur : Kim Bo-young
Traduction du coréen : Kiungran Choi et Pierre Bisiou
Couverture : Cameron Burns / captvart
Éditeur : Rivages
Collection : Rivages / Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 270
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : octobre 2023
ISBN : 9782743661113
Prix : 22 €
Les éditions Rivages sur la Yozone :
« L’île de Silicium » de Chen Qiufan
« Les Vagabonds » de Richard Lange
« Mon cœur est une tronçonneuse » de Stephen Graham Jones
« Un bon Indien est un Indien mort » de Stephen Graham Jones
« Petites choses » de Bruno Coquil
« L’Inventeur » de Miguel Bonnefoy
« La Messagère » de Thomas Wharton