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Oiseaux du Temps (Les)
Amal el Mohtar et Max Gladstone
Le Livre de poche, n° 36823, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 211 pages, mars 2023, 7,60 €


« Elle joue, en six dimensions, une partie d’échecs où chaque pièce est une partie de go, où des plateaux entiers de pierres blanches et noires dansent les uns autour des autres, bousculés, des cavaliers se transformant en tours, des itérations construisant scrupuleusement l’échec et mat.  »

Deux cents pages de mystère : tel est le défi auquel Amal el-Mohtar et Max Gladstone confrontent le lecteur. Un monde parallèle, ou futur, dans lequel s’affrontent le Jardin et l’Agence. Ce que sont exactement le Jardin et l’Agence – états, congrégations, groupes paramilitaires, empires, ou types d’humanité ayant évolué en philosophies, en systèmes, en réseaux ou même en espèces distinctes, on l’ignore, et on l’ignorera jusqu’au bout. Toujours est-il qu’ils s’affrontent à travers le monde, ou mieux encore à travers les mondes : les infinités de l’espace, mais aussi les brins de réalités parallèles qui se tissent et s’enlacent, se font et se défont.

Se font et se défont, car ces affrontements en des points temporels distincts, et souvent fort éloignés, parfois à rebours de la chronologie classique, entraînent des modifications considérables dans la trame même du réel, ou des réels entrelacés. Des combats, certes, mais aussi des modifications bien plus subtiles, un peu à la manière des actions des agents de l’Institut des frères Strougatski ou du Cycle de la Culture de Iain Banks. Des agents formés à se glisser en toute discrétion dans des sociétés qui leur sont étrangères et à changer le cours de l’Histoire par des influences minuscules. Formés également à repérer les agents du camp opposé.

« Chaque lettre se déplie dans son esprit et elle les encadre dans le palais de sa mémoire. Elle tisse des mots au cobalt et au lapis-lazuli, les insère dans la couleur intime des crevasses des glaciers, dans les robes de Marie des fresques de San Marco. »

Et c’est là que naît la véritable histoire. Rouge d’une part, Bleu de l’autre. Chacune appartenant au camp opposé. Chacune fascinée par l’autre, après quelques croisements fugaces au cours des missions. Toutes deux se cherchant désormais à travers l’espace et le temps, malgré la surveillance constante et serrée de leur hiérarchie. Toutes deux communiquant désormais à l’aide de supports, de traces, de rémanences improbables, indécelables, poétiques, imagées

« Bleu fixe intensément la tasse, la soucoupe et la cuillère : des silhouettes classiques, bleu italien, récoltent le grain ou transportent l’eau pour l’éternité, au revers du rebord. »

Étrange et atypique correspondance que celle à laquelle se livrent les deux agents à travers les brins de la trame du monde. Cryptographie romantique portée à des sommets inattendus, « Les Oiseaux du temps », servi par un juste goût de la prose poétique, excelle par le sens du détail plutôt que par celui du récit. Une histoire ? Il n’y en a pas vraiment. « Les Oiseaux du temps » apparaît comme la chronique d’une rencontre sur un arrière-fond de fibres de réalités tressées et détressées qui forment une trame trop étendue pour composer une véritable tapisserie. Un décor à l’aune des immensités du temps, de l’espace et du multivers, trop vastes pour être étreintes, si bien que l’arrière-fond kaléidoscopique sans cesse se dérobe au lecteur.

Ces zones d’ombre, ce flou artistique, cet arrière-plan métamorphique et qui ne peut que l’être, cet usage d’aller au rebours de l’explicite sont bien évidemment volontaires. L’accent ne saurait être mis sur nul autre élément que l’amour et la fascination réciproques liant désormais Rouge et Bleu. Les autres personnages, les autres entités, comme la Commandante ou la Fouilleuse, ne sont là que pour préparer le dénouement final, quand de multiples brins convergeront enfin pour une authentique surprise. Il ne saurait être question d’en révéler plus : l’essence de l’amour, l’essence du mystère sont aussi celles du roman. Avec ces mondes indéfinis et étranges, avec les différentes formes et apparences pouvant être prises par les unes et les autres, « Les Oiseaux du temps » apparaît comme du weird qui ne dit pas son nom, de la science-fiction des marges Le pari n’était pas gagné d’avance, mais le résultat est là : « Les Oiseaux du temps » fait partie de ces inclassables qui ont une saveur à part et que l’on relira un jour.


Titre : Les Oiseaux du temps (This is how you lose the time war, 2019)
Auteur : Amal el-Mohtar et Max Gladstone
Traduction de l’anglais l’anglais (Grande-Bretagne) : Julien Bétan
Couverture : Studio LGF / Marumaru / Svetlana Aganini / iStock
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Mu, 2021)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 36823
Pages : 211
Format (en cm) : 11 x 17,5
Dépôt légal : mars 2023
ISBN : 9782253101057
Prix : 7,90 €


Un double avis aussi enthousiaste sur l’édition originale


Hilaire Alrune
7 juin 2023


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