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Inventeur (L’)
Miguel Bonnefoy
Payot, littérature générale, 209 pages, septembre 2023, 9 €

Qui se souvient d’Augustin Mouchot (1825-1912), savant et inventeur, et grand pionnier de l’énergie solaire ? Personne, ou presque. Rien ne prédestinait ce fils de serrurier, bon élève devenu maître d’études, à laisser une trace dans l’Histoire. Une trace qui, comme l’explique Miguel Bonnefoy, est infime : on ne connaît de lui qu’une seule photographie, ses machines sont à peine exposées, son nom ne suscite plus d’écho. D’où l’idée bienvenue d’une biographie romancée qui remet ce personnage à la fois en perspective et en lumière.



«  Jamais un savant ne ressentit, comme Mouchot à cet instant, la distance vertigineuse, imbattable, entre l’homme et l’astre. Une puissance, venue d’une autre planète, le liait tout à coup à cette poésie du vivant. Mouchot fixait le soleil, et tout cela lui paraissait un dialogue biblique. »

Si Miguel Bonnefoy fait d’Augustin Mouchot un personnage presque mystique, son existence fut sans doute, hormis une période de gloire, marquée par les difficultés et la grisaille. Des années d’enseignement d’école en école, des années d’études, de recherches, de rejets et de quolibets, des années de tâtonnements, d’essais et d’erreurs pour conduire ses expériences et perfectionner ses prototypes avant d’aboutir à des machines capables de cuire les aliments ou d’actionner des moteurs avec la seule énergie solaire. Des années de démonstrations tournant parfois au fiasco, pour finir par impressionner l’empereur Napoléon, pour convaincre d’autres scientifiques. Augustin Mouchot parviendra à la gloire dans la décennie 1870 : après son association avec un ingénieur aux idées fertiles, Abel Pifre, ce sera la Médaille d’or à l’exposition universelle de Paris en 1878, la légion d’honneur, le financement de ses recherches en Algérie.

« Et lorsque l’eau se mettait à bouillir, lorsqu’il avait fini de noter la température exacte, le type de matériaux, l’heure d’ébullition, il jetait tout ce que contenait la chaudière et recommençait aussitôt, dans une boulimie aliénée, insensée, en la remplissant à nouveau, dans l’incendie mythologique de ces blocs de feu, avec plus d’habileté que de force, allant et venant dans ce château de miroirs incandescents. »

Après son triomphe à l’Exposition Universelle, Augustin Mouchot, soucieux de toujours vouloir faire mieux, retourne à son programme de recherches entamé en Algérie où il poursuivra ses expérimentations au plus près du soleil, sur les hauteurs montagneuses de l’est. Une erreur stratégique peut-être chez un homme qui n’était pas carriériste, et qui lui fera contracter une ophtalmie qui grèvera durablement sa vue. Il y apprendra également l’abandon complet du financement de ses travaux : de nouveaux gisements de charbon ayant été découverts dans l’est de la France, l’énergie solaire n’est plus considérée comme rentable. Lorsqu’il rentrera, son associé Abel Pifre, plus avisé et plus terre à terre, aura fait feu de tout bois, développant ses machines et créant une revue consacrée à l’énergie solaire. Un Abel Pifre qui finira par racheter ses brevets à un Mouchot épuisé et qui fera un joli coup médiatique en 1882 en utilisant un récepteur solaire pour actionner une machine à vapeur lui permettant d’imprimer le Soleil Journal, spécialement créé pour l’occasion.

« Toute sa vie, ce guerrier triste se dresse seul face à lui-même et, malgré cette solitude qui pourrait avoir la trempe et l’acier des génies de l’ombre, son destin n’est même pas celui d’un héros déchu. »

L’histoire d’Augustin Mouchot n’est pas seulement celle, assez commune, de tous ceux qui ont eu tort d’avoir raison trop tôt. Elle n’est pas non plus seulement celle, tout aussi commune, de ces individus sans nombre qui après avoir connu la gloire finissent leurs jours dans la misère. Elle est celle d’un grand rendez-vous historique manqué, de l’opportunité qu’a eue l’humanité de développer, pour une partie au moins de ses activités, le recours à une source d’énergie inépuisable et non polluante. Derrière l’aventure de quelques hommes, derrière le destin de Mouchot se dessine une autre fatalité, celle d’une humanité courant tout droit, à travers une incessante orgie d’énergie fossiles, vers la pollution à outrance, le réchauffement climatique et les extinctions de masse.

Peu importe, donc, l’écueil rituel de toute biographie romancée, à savoir, en l’absence d’une note sur les sources qui aurait été bienvenue, la difficulté pour le lecteur de distinguer précisément ce qui relève des faits et ce que l’on doit à l’imagination de l’auteur. Peu importe car on le devine sans trop de peine, car l’essentiel est vrai, et les trous qui sont comblés sont pour Miguel Bonnefoy l’occasion d’accumuler réflexions, scènes et tableaux, de faire de cette biographie une succession d’épisodes poignants, dramatiques, allègres, imagés, colorés. Sur tout juste deux cents pages, Miguel Bonnefoy entraîne le lecteur sans temps mort à travers une existence faite de hauts et de bas, d’enthousiasmes et de désillusions, d’honneurs et d’oubli. Avec « L’Inventeur », Miguel Bonnefoy fait sortir de l’ombre un homme qui consacra sa vie à l’énergie solaire, un savant d’envergure et une personnalité atypique qu’il n’est pas inutile de remettre en lumière.


Titre : L’Inventeur
Auteur : Miguel Bonnefoy
Éditeur : Rivages (édition originale : Rivages, 2022)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 208
Format (en cm) : 11 x 17
Dépôt légal : septembre 2023
ISBN : 9782743660772
Prix : 9 €


Les éditions Rivages sur la Yozone :

- « Petites choses » de Bruno Coquil
- « La Messagère » de Thomas Wharton
- « Un bon indien est un indien mort » de Stephen Graham-Jones
- « L’île de Silicium » de Chen Qiufan



Hilaire Alrune
25 août 2023


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