Certes, il s’agit bien d’une fiction dont l’action se déroule une dizaine d’années dans le futur, mais cette proximité temporelle décrit un monde qui s’inscrit dans la continuité de l’actuel, où le dépaysement opère peu. C’est un choix évidemment délibéré de l’auteure qui lui permet de mettre en scène ses personnages dans un décor à la fois familier et subtilement différent. Cependant, ce monde en déconfiture renferme des graines d’espoir. Nous ne sommes pas dans un contexte irrémédiablement désespéré.

Emilie Querbalec nous invite à suivre les cheminements – tant intérieurs que dans la vraie vie - de deux adolescents, Anastasia et Ayden. Chacun à sa manière se lance dans une quête destinée à lui apporter – peut-être - des réponses aux interrogations qui le tourmentent. Avec beaucoup de tendresse et l’habileté d’un portraitiste, Émilie Querbalec dépeint, touche après touche, des aspects secrets de leurs personnalités, révoltées, opposées comme l’eau et le feu, mais avides de reconnaissance. Le garçon, Ayden, est le prototype même de l’ado paumé, résidant seul avec sa mère dans un logement social situé dans un quartier déshérité, en perte de vitesse scolaire, incapable d’établir un contact affectif avec un père impuissant à comprendre son état d’esprit. La jeune fille, Anastasia, qui réside en Espagne, a une approche plus fusionnelle avec une nature que son père lui a appris à aimer. Elle mesure chaque jour les conséquences du réchauffement climatique sur sa région, situation qui exacerbe sa perception du monde. Le décès accidentel de ce père pour elle, l’incompréhension paternelle pour Ayden vont être les facteurs déclenchants de leurs fugues. Anastasia entend rejoindre la Bretagne, Ayden a priori n’a pas d’objectif précis.

Dans leurs pérégrinations aventureuses, nos deux adolescents vont faire des rencontres. Peut-être est-ce là un des éléments fantastiques qu’Émilie Querbalec a voulu introduire dans son récit ? Certains personnages – L’Iguane, Nyouma – endossent des rôles différents selon qu’ils évoluent dans ce que j’identifie comme deux parties de cet ouvrage, quoique ce découpage soit officiellement absent. On passe d’abord par une description alternée des périples respectifs des deux adolescents, puis, sans transition, survient l’évocation de leur séjour dans une institution dédiée à des jeunes en rupture de ban. On ne sait pas vraiment comment ils y atterrissent. L’auteure situe cet établissement sur une île imaginaire en Bretagne, que bien des aspects apparentent à Belle-Île. C’est une construction littéraire assez curieuse et déroutante. Les explications de cette transformation radicale des situations et des personnages sont parcellaires et livrées au compte-goutte. Le handicap dont souffre Ayden après un tir de fusée d’artifice raté n’est plus évoqué lors de son séjour à Recouvrance tandis qu’Anastasia, jusqu’alors sportive et intrépide, se retrouve clouée dans un fauteuil roulant. À cela s’ajoute la présence de l’Iguane et de Nyouma inexplicablement devenus animateurs dans le centre.
Le séjour à Recouvrance d’Anastasia et d’Ayden comble une partie de leurs attentes, cautérise doucement leurs blessures intérieures en leur ouvrant des perspectives d’avenir. Peu à peu leurs esprits s’apaisent et leur relation avec une nature à demi-sauvage s’intensifie.
Émilie Querbalec, en mettant en lumière l’âme de ses personnages, écrit ici une histoire touchante, sobre et belle. Son approche tendre et minutieuse du caractère de ces deux adolescents égarés dans un monde de métal aurait pu être signée Théodore Sturgeon.

Titre : Les sentiers de Recouvrance
Auteure : Émilie Querbalec
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 223
Format (en cm) :14 x 20,5
Dépôt légal : janvier 2024
ISBN : 9782226488688
Prix : 17,90 €

Autres livres de la collection sur la Yozone :

 « Quitter les monts d’automne » par Emilie Querbalec
 « La Maison aux pattes de poulet » par GennaRose Nethercott
 « Jour zéro » de Robert Cargill
 « American Elsewhere » de Robert Jackson Bennett
 « La Cité de l’Orque » de Sam J. Miller
 « Les étoiles sont légion » de Kameron Hurley
 « Mage de bataille, tome 1 » de Peter A. Flannery
 « American Elsewhere » de Robert Jackson Bennett
 « Les étoiles sont légion » de Kameron Hurley
 « La cité de l’orque » de Sam J. Miller
 « Terminus » de Tom Sweterlitsch
 « Le chant mortel du soleil » de Franck Ferric
 « Une cosmologie de monstres » de Shaun Hamill
 « La fleur de Dieu », tome 1, tome 2 et tome 3 de Jean-Michel Ré
 « Rivages » et « La fin des étiages » de Gauthier Guillemin
 « Un océan de rouille » de Robert C. Cargill
 « Le magicien quantique » de Derek Künsken
 « Le livre de M » de Peng Shepherd
 « La Marche du Levant » de Léafar Izen

 Un entretien avec Gilles Dumay