Un homme seul sur Mars, voilà qui n’est pas sans rappeler « Seul sur Mars », mais là, le registre s’avère différent, car il n’est pas seul uniquement sur Mars, il est seul tout court. Dernier humain, voilà qui n’est pas banal et effraierait n’importe qui. Impossible de s’en vanter, car il n’y a plus personne en face. Il surveille toujours en vain la Terre, espérant capter une émission lui prouvant que, non, il n’est pas seul. Heureusement que ce musicien sorti de nulle part l’empêche de sombrer dans la folie. Les lunettes en couverture, des tenues excentriques, le piano à queue Bösendorfer... vous aurez compris de qui il s’agit. Il sert de raison à John, le pousse à se lever chaque matin, à y trouver un intérêt. D’ailleurs John se lance dans une mission désespérée, trouver la théorie unificatrice ultime. Clairement, une vie d’homme n’y suffit pas.
« De l’espace et du temps » est coupé en deux. Il y a un avant et un après, un John dépositaire de l’humanité et un John différent, mais ce serait dommage de déflorer cet aspect qui fait rebondir ce court roman dans une direction inattendue. On pourrait discuter du point de bascule plutôt artificiel de cette novella, mais cette facilité permet d’aller vers la démesure sur le chemin de la connaissance. John est transformé, tout dévoué à cette soif de comprendre, de découvrir les mécanismes cosmologiques, perdant au passage son humanité. Il est facile d’oublier alors la première partie avec son repli sur soi pour se protéger. Alastair Reynolds trompe bien le lecteur qui ne s’attend pas à cette débauche en seconde partie, découvrant alors une histoire très différente, une espèce de big bang en partant d’un homme, le dernier, qui enfle telle la grenouille, mais ira-t-il jusqu’à exploser ? Ou son destin sera-t-il différent ?
« De l’espace et du temps », le titre est bien trouvé et illustre la direction prise par cette novella. La postface d’Alastair Reynolds est intéressante pour en comprendre la genèse. Cette impression de césure peut s’expliquer par sa gestation assez longue.
Du pathos avec cet homme seul, de la folie avec ce musicien, de l’ambition avec cette volonté dernière de tout expliquer et bien sûr du souffle avec l’ampleur donnée à l’histoire dans la seconde partie.
Depuis deux années, Le Bélial’ remet en avant cet auteur de premier plan de la SF et on ne peut que l’en féliciter, d’autant qu’avril verra la sortie de « La maison des soleils ».
Pour le cinquantième Une Heure-Lumière, un choix de raison que l’on peut qualifier d’excellent.
Titre : De l’espace et du temps (Understanding Space and Time, 2005)
Auteur : Alastair Reynolds
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Laurent Queyssi
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 50
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 112
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : mars 2024
ISBN : 9782381631257
Prix : 10,90 €
Du même auteur :
« Bifrost n°110 » spécial Alastair Reynolds
« Éversion »
« La millième nuit »
« Mémoire de métal »
« Vengeresse »
« Le gouffre de l’absolution »
« La cité du gouffre »
Derniers titres chroniqués de la collection :
36. « La Maison des Jeux, tome 1 : Le serpent » de Claire North
37. « Un an dans la « ville-rue » » de Paul Di Filippo
38. « Opexx » de Laurent Genefort
39. « La millième nuit » d’Alastair Reynolds
40. « La Maison des Jeux, tome 2 : Le voleur » de Claire North
41. « L’Héritage de Molly Southbourne » de Tade Thompson
42. « La Maison des Jeux, tome 3 : Le maître » de Claire North
43. « Connexions » de Michael F. Flynn
46. « Le dernier des Aînés » de Adrian Tchaikovsky
47. « La peste du léopard vert » de Walter Jon Williams
48. « Barbares » de Rich Larson
49. « Sweet Harmony » de Claire North
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