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Un an dans la Ville-Rue
Paul Di Filippo
Le Bélial’, Une Heure-Lumière, n°37, court roman traduit de l’anglais (États-Unis), SF, 122 pages, mai 2022, 9,90€

Imaginez une rue visiblement sans fin et bordée d’immeubles. D’un côté, ils donnent sur le fleuve et de l’autre sur la voie ferré. Au-delà, une zone inconnue, le domaine des Bouledogues et des Femmes de pêcheur, les Psychopompes volant dans le ciel et venant chercher les êtres à l’heure de la mort.
C’est dans cet étrange monde que vit Diego Patchen, auteur de Cosmos-Fiction, ayant pour compagne la sculpturale pompière Volusia Bittern. Ensemble ils seront amenés à descendre le fleuve, à quitter un temps le quartier de Vilgravier pour se rendre des milliers de blocs plus loin. Une véritable expédition !



Paul Di Filippo est rarement traduit en France, ce qui est dommage, car les lecteurs de « La Trilogie Steampunk » et de « Pages perdues » ont compris le talent de l’auteur à imaginer des histoires différentes et surprenantes. « Un an dans le Ville-Rue » répond parfaitement à ce constat, cette ville-monde défie l’imagination : une rue visiblement sans début ni fin, limitée d’un côté par la nature, le fleuve, et de l’autre par la voie ferrée, la technologie acheminant ce qui ne peut être obtenu sur place. Et ces êtres éthérés visibles par tous !
Tout est aussi subtilement décalé : David Patchen écrit de la Cosmos-Fiction, de la CF, dans laquelle il imagine des mondes différents du sien, parfois proches du nôtre. Paul Di Filippo en profite pour assener quelques piques, car la CF y est décriée, considérée comme une sous-littérature ne pouvant être qualifiée de sérieuse, pourtant elle se vend très bien et c’est elle qui fait vivre l’éditeur de Patchen. C’est justement pour son aptitude à se projeter dans l’inconnu qu’il est choisi pour participer à l’expédition dans un autre quartier. Sa compagne, bien plus grande que lui, en impose, attire tous les regards par son physique et son exubérance. Le couple se fréquentant ressemble aux deux faces d’une médaille.
Le langage est aussi contourné avec l’utilisation de mots différents, mais tout de suite compréhensibles, apportant une touche d’exotisme supplémentaire. Toujours ce décalage, cet ailleurs différent mais non sans points communs empêchant de le balayer d’un revers de la main en se disant que c’est impossible. L’auteur donne vie à sa création si originale. Les adresses donnent le tournis, Diego habite dans le quartier de Vilgravier du côté du 10 394 850e bloc. Il a beau être auteur de CF, la question de l’existence du bloc 0 le laisse sans voix. Y a-t-il un début et une fin ? Ou la ville est-elle enroulée sur elle-même ? Paul Di Filippo donne des éléments de réponses au détour d’une chasse lucrative dans les sous-sols de la ville. D’ailleurs qui l’a construite ?

L’auteur joue aussi des références, la plus immédiate étant celle au « Monde du fleuve » de Philip José Farmer par la géographie linéaire si particulière. Par la propension à imaginer d’autres mondes se rapprochant du nôtre, « Le maître du Haut-château » de Dick vient aussi à l’esprit et n’y aurait-il pas une influence Lucius Shepard ? Le génie de l’auteur repose justement sur ces nombreuses ouvertures, sur cette volonté de disséminer des indices pouvant suggérer des explications à l’existence de la Ville-Rue. Sont-elles vraies pour autant ? En effet, rien ne lève vraiment le mystère, des pistes mais rien ne levant le voile.

« Un an dans la Ville-Rue » nous transporte ailleurs, à la fois très loin et si près de notre monde, dans une improbable ville tout en longueur, personnage à part entière de ce court roman décalé à de nombreux points de vue et apportant un dépaysement de tous les instants. Paul Di Filippo se rappelle ici à notre bon souvenir, nous laissant avec quelques regrets : on aurait aimé que cela dure plus longtemps et quand le lira-t-on à nouveau ?
En une heure, la lumière nous amène très loin. De même, en un an Paul Di Filippo nous amène très loin le long de la Ville-Rue suivant les méandres d’une imagination fertile et si stimulante.
Voilà un auteur qui mérite vraiment d’être découvert, tant sa voix s’avère originale.


Titre : Un an dans la Ville-Rue (A Year in the Linear City, 2002)
Auteur : Paul Di Filippo
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Pierre-Paul Durastanti
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 37
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 122
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : mai 2022
ISBN : 9782381630434
Prix : 9,90 €


Autres titres de la collection :
- 1. « Dragon » de Thomas Day
- 2. « Le nexus du Docteur Erdmann » de Nancy Kress
- 3. « Cookie Monster » de Vernor Vinge
- 4. « Le choix » de Paul J. McAuley
- 5. « Un pont sur la brume » de Kij Johnson
- 6. « L’homme qui mit fin à l’histoire » de Ken Liu
- 7. « Cérès et Vesta » de Greg Egan
- 8. « Poumon vert » de Ian R. MacLeod
- 9. « Le regard » de Ken Liu
- 10. « 24 vues du mont Fuji, par Hokusai » de Roger Zelazny
- 11. « Le sultan des nuages » de Geoffrey A. Landis
- 12. « Issa Elohim » de Laurent Kloetzer
- 13. « La ballade de Black Tom » de Victor LaValle
- 14. « Le fini des mers » de Gardner Dozois
- 15. « Les attracteurs de Rose Street » de Lucius Shepard
- 16. « Retour sur Titan » de Stephen Baxter
- 17. « Helstrid » de Christian Léourier
- 18. « Les meurtres de Molly Southbourne » de Tade Thompson
- 19. « Waldo » de Robert A. Heinlein
- 20. « Acadie » de Dave Hutchinson
- 22. « Abimagique » de Lucius Shepard
- 23. « Le temps fut » de Ian McDonald
- 24. « La Survie de Molly Southborne » de Tade Thompson
- 25. « Les Agents de Dreamland » de Caitlin R. Kiernan
- 26. « Vigilance » de Robert Jackson Bennett
- 27. « La Fontaine des âges » de Nancy Kress
- 28. « La Chose » de John W. Campbell
- 29. « Ormeshadow » de Prya Sharma
- 30. « À dos de crocodile » de Greg Egan
- 31. « Toutes les saveurs » de Ken Liu
- 32. « Le livre écorné de ma vie » de Lucius Shepard
- 33. « Symposium Inc. » de Olivier Caruso
- 34. « Sur la route d’Aldébaran » de Adrian Tchaikovsky
- 35. « Simulacres martiens » de Eric Brown
- 36. « La Maison des Jeux, tome 1 : Le serpent » de Claire North
- 38 « Opexx » de Laurent Genefort

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
1er juin 2022


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