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Oxymore et compagnie
Jean-Loup Chiflet
Hugo et Cie, miscellanée et dictionnaire, 315 pages, octobre 2017, 24,95€


« Oxymore et Compagnie  » : un titre flou et quelque peu imprécis, diront certains (d’autant que si le terme « oxymore fait bien partie des entrées de ce volume, le terme « compagnie », lui, n’y est pas recensé), mais aussi un titre fidèle au contenu du volume et richement chargé de sens. Rien de paradoxal, pourtant, dans cette affirmation ni dans ce titre, mais simplement un des mystères sans nombre d’une langue française qui bien souvent en révèle et en laisse entendre beaucoup plus qu’elle n’en dit. Arcanes que seuls les professionnels de la langue et les amateurs éclairés connaissent, mais aussi éclaircissements que tous les lecteurs, par essence friands de vocabulaire et d’étymologie, aiment à rencontrer au hasard des romans, des essais ou des dictionnaires.

C’est donc à un vaste jeu d’éclaircissements et de réponses à des questions que nous ne nous étions pas même posées que Jean-Loup Chiflet nous convie avec « Oxymore et Compagnie », une lecture dont nous ressortirons amusés, mais indubitablement plus savants. Et si nous en apprendrons beaucoup sur le lexique, nous en apprendrons aussi beaucoup sur nous-mêmes. Comment, nous faisons sans le savoir, pour la plupart d’entre nous, de la malherbologie ? Et nous ne pouvons pratiquement pas ouvrir la bouche sans faire de la catachrèse, de l’anantanpodoton, de l’hyperonyme, du polyptote, de la syllepse ? Faut-il donc que nous consultions en urgence un oto-rhino-laryngologiste ? Pas de panique, tout cela est bien anodin et très simple. Nous ne souffrons pas de maladies rares mais plutôt de talents cachés, d’aptitudes secrètes sur lesquelles il ne tient qu’à nous de mettre un nom.

Un peu de science n’a jamais fait de mal à personne, et grâce à ce volume vous ne manquerez pas de pouvoir briller en société ou d’amuser vos amis avec mille et un détails plaisants. Vous saurez désormais que « gageure » se prononce « gajure », que l’éclair au chocolat que vous offrez à vos invités se nommait autrefois « pain à la duchesse », que les premières grammaires françaises, c’est un comble, furent rédigées par des anglais, que la monnaie de singe n’a pas une origine exotique mais qu’elle est ainsi nommée parce que les montreurs de singes étaient dispensés de payer le passage menant à l’île de la Cité, que le terme « coupe sombre » est immuablement employé à contresens, que le mot « rescapé » est apparu suite à une erreur de prononciation au décours d’un dramatique fait divers en 1906, ou que le zeugme dont un de vos interlocuteurs vient de se rendre coupable trouve son origine dans la ville antique de Zeugma, elle-même née de la réunion de deux cités primitives situées de part et d’autre de l’Euphrate.

Autres curiosités dont Jean-Loup Chiflet n’est pas avare, ce sont les listes. Car il y a un peu de tout dans « Oxymore & Compagnie », où l’on devine l’influences des listes des Miscellanées fameuses de Ben Schott. Nous retrouvons ainsi des listes de duels d’écrivains, d’antonomases, de croisements animaux, de cultures, d’éponymes ( avec d’autres éponymes, ou parfois les mêmes, à l’entrée « noms propres devenues communs), de dictons météorologiques, d’expressions plébiscitées par les français, de prénoms dissimulés derrière les initiales des grands écrivains, de noms pris par les rassemblements d’animaux, d’abréviations pour amateurs de livres anciens, de mots tantôt féminins et tantôt masculins, de néologismes proustiens, de noms de pommes, de phrases célèbres. Un goût des listes qui correspond le plus souvent à celui du langage, même si la présence de certaines d’entre elles dans ce volume peut sembler discutable et pourra même apparaître aux yeux de certains comme une forme de remplissage, tout comme d’autres éléments dont la très longue recette de l’éléphant tirée du « Grand Dictionnaire de cuisine » d’Alexandre Dumas… mais peu importe - et puis, on ne sait jamais, cela peut toujours servir.

C’est bon parce que si ce volume renferme une indiscutable part d’érudition, avec des entrées dévolues aux lexicographes et bibliophiles comme Prudence Boissière, de Pierre-Claude-Victor Boiste, Gabriel Naudé ou Paul Rouaix, l’humour n’est jamais très loin, notamment avec des citations hilarantes d’auteurs célèbres (« D’une main il ouvrit la porte et de l’autre il cria : vive la république », écrivit ainsi Ponson du Terrail ), ou avec les non moins hilarantes définitions extraites de manuels destinés aux employés de l’éducation nationale redéfinissant, par exemple, « apprendre à écrire » comme « maîtriser le geste graphomoteur et automatiser progressivement le tracé des lettres », ou le « dictionnaire » comme un « outil d’intelligibilité linguistique » (sans compter une vision particulière du jeu de badminton que nous laissons au lecteur le soin de découvrir.)

Entrées variées, donc, pour ce dictionnaire particulièrement éclectique qui réserve plus d’une surprise. S’il n’y a pas d’entrée au terme « coquille » une liste de coquilles fameuses aurait bien été dans l’esprit du volume, qui par ailleurs n’en contient guère (de coquilles, pas d’esprit), puisque nous n’en avons pour notre part relevé qu’une seule, « coquetihile » pour « coquetiphile », page deux-cent-cinquante-deux (car, apprendra l’auteur à ceux qui ne le savent pas encore, les nouvelles règles orthographiques en matière d’écriture des nombres sont de mettre des tirets à peu près partout, et nous placerons également, selon ses conseils, le point avant la fermeture de la parenthèse, car il s’applique au contenu de ladite parenthèse.)

Le contenu d’ « Oxymore & Compagnie  » est donc fidèle à ce que son titre laissait présager. Il s’agit là d’un ouvrage à travers lequel on butine, botanise et vagabonde, seul ou à plusieurs. Érudit et ludique tout à la fois, il offre, en sus des prolégomènes, d’un index et d’une belle bibliographie, une vaste série de quatre-vingt-quinze jeux et questions-réponses intitulée « Pour en savoir un peu plus ». Cabinet de curiosités linguistiques, miscellanées et spicilège, « Oxymore & Compagnie », compte tenu de son format et de ses illustrations, peut également apparaître comme un beau-livre auquel penser pour les fêtes de fin d’année.

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Titre : Oxymore & Compagnie, dictionnaire inattendu de la langue française
Auteur : Jean-Loup Chiflet
Couverture et illustrations : Anne Camberlin
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Chiflet et Cie
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 315
Format (en cm) : 18 x 25
Dépôt légal : octobre 2017
ISBN : 9782351642481
Prix : 24,95€

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Hilaire Alrune
17 novembre 2017


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