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Dictionnaire des animaux de la littérature française
Aurélie Barre, Bénédicte Desmond, Corinne Füg-Pierreville, Sabine Gruffat, Claude Lachet Guy Lavorel, Marc Le Person, Olivier Leplatre, Lydie Louison, Anne Martineau, Philippe Vincent
Honoré Champion, Les Dictionnaires, essai , 491 pages, mai 2015, 22€

Premier volume d’un « Dictionnaire des animaux de la littérature française », cet opus a choisi de s’intéresser aux hôtes des airs et des eaux. Malgré cette restriction, restait un domaine d’une étendue telle que des choix drastiques s’imposaient. Au programme de cet épais ouvrage, une bonne quarantaine d’animaux issus non seulement du réel et du quotidien, comme l’abeille, le pigeon, la mouche ou la chouette, mais aussi de l’étrange et du rêve, comme le kraken, le phénix ou le griffon.



Chaque animal retenu fait donc l’objet d’une étude spécifique : étymologie et vocabulaire, mythe, extraits d’auteurs classiques et contemporains permettant d’apprécier la constance, ou au contraire la diversité, de la manière dont tel ou tel animal a pu être considéré au fil du temps, bibliographie, et illustrations – en majorité des gravures anciennes. Bestiaires, fables, fantaisies, surréalisme, fatrasies, romans, expressions, aphorismes : le large éventail des sources permet une multiplicité d’abords, témoigne d’une multiplicité de regards qui elle-même reflète la richesse des thèmes abordés.

« Hôtes des airs et des eaux » : les amateurs d’insectes trouveront dans ce « Dictionnaire des animaux de la littérature française  » plusieurs entrées : Abeille, Cigale, Coccinelle, Mouche, Moustique et Papillon. L’on y retrouvera, entre autres, le mythe de la création des cigales par Platon, les aspects tour à tour insignifiant, agaçant, menaçant, diabolique, de la mouche à travers un bel éventail de citations, et un combat héroïque entre l’homme et le moustique conté par André Gide. L’abord des insectes ne pouvait négliger le grand Jean Henri Fabre (curieusement orthographié, page 95, Jean-Henry Fabre) dont on oublie souvent qu’il ne fut pas seulement un observateur redoutable mais aussi un grand styliste (il manqua de peu le prix Nobel de littérature) et dont on ne peut que recommander la lecture des « Souvenirs Entomologiques ».

Les férus d’ornithologie trouveront dans ce « Dictionnaire des animaux de la langue française – Hôtes des airs et des eaux  » des entrées correspondant à Aigle, Albatros, Alouette, Faucon, Colombe, Pigeon et Tourterelle, Chouette et Hibou, Corbeau et Corneille, Grue, Héron, Hirondelle, Oie, Paon, Pie, Rossignol et Perroquet. Même multiplicité des sources, même profusion d’auteurs pour ces entrées, qui témoignent également d’une forte multiplicité de regards. Ainsi, par exemple, le corbeau est-il tour à tour, au gré des époques et des auteurs, un animal solaire, le compagnon des saints et des ermites, un animal sot et bavard, un oiseau de mauvais augure, un simple charognard, un animal maléfique, voire diabolique. L’on découvre que le cygne également connut sa grandeur et sa décadence, que le héron passa lui aussi de la noblesse au dédain, que l’oie fut tour à tour sacrée et risible. Mais aborder les oiseaux, c’est aussi entrer dans un autre domaine, qui n’est plus celui de l’intersection entre littérature et zoologie, mais celui, non moins riche, de l’intersection entre littérature et gastronomie. Ainsi, par exemple, des guirlandes d’alouettes des vitrines de charcuterie décrites par Zola ou de l’étonnante manière de tuer son oncle à l’aide de foie gras rapportée par Balzac.

Après les insectes et les oiseaux, l’on pourra s’intéresser, à travers les entrées Carpe et Requins, aux poissons. Si ces derniers sont peu représentés dans ce dictionnaire, les hôtes aquatiques ou semi-aquatiques appartenant à d’autres branches de la zoologie sont abondamment présents : Baleine, Crocodile, Dauphin, Grenouille et Crapaud, Pieuvre et Poulpe, Crabe et enfin Huître sont abordés. Riche éventail à la fois pour la zoologie et la littérature (et, une fois encore, pour la gastronomie), et grande variété d’approches et d’appréciations pour ces bêtes auxquelles sont associées de nombreux mythes et considérées avec répulsion par bon nombre d’auteurs, avec admiration par d’autres. Une place de choix est accordée aux pieuvres et poulpes, non seulement en raison de leur intelligence, mais aussi parce que ces animaux, particulièrement frappants, ont su stimuler l’imaginaire de nombreux romanciers – leur place toute particulière dans ce courant littéraire qu’est le « steampunk » contemporain est à ce titre fortement révélateur. Dans la bibliographie de ce dernier chapitre, les auteurs font figurer « La pieuvre, essai sur la logique de l’imaginaire », très bel essai de Roger Caillois – également grand prosateur – auquel bien des amateurs, que ce soit de mythes ou de fiction pure, pourront se référer avec profit.

La fiction pure : elle n’est pas entièrement absente de cet ouvrage, qui comprend des entrées comme Phénix, Kraken, Sirène ou Griffon. Autant de créatures imaginaires qui ont mis longtemps à être reconnues comme telles et à l’existence desquelles on aura longtemps cru. Difficile, voire même impossible, de s’en étonner : chacune des entrées de ce dictionnaire montre à quel point mythes et zoologie, sciences et croyances sont toujours mêlées, y compris concernant des animaux que nous avons sous les yeux chaque jour. Que Pieuvre, Poulpe et Kraken fassent ici l’objet d’un chapitre commun est révélateur : la zoologie des songes et la zoologie du réel sont étroitement intriquées.

Ce « Dictionnaire des animaux de la langue française – Hôtes des airs et des eaux  » fait partie de ces ouvrages qui ne se lisent pas d’une traite, mais se savourent chapitre par chapitre. Non sans une pointe de frustration. Pouvait-on aborder les insectes sans parler des fourmis, si passionnantes, si porteuses d’imaginaire, et dont Pline disait qu’elles étaient les seuls animaux à inhumer leurs morts ? Ou des mantes religieuses, auxquels sont liés tant de mythes ? Oui, car le choix qui a été fait n’est pas fonction de l’arbre zoologique mais des milieux fréquentés, et ces animaux considérés comme terrestres seront abordés dans le prochain volume. Mais pouvait-on parler des animaux des airs sans s’intéresser aux chauves-souris, si étranges, si atypiques, et auxquelles sont rattachées tant des légendes ? Fallait-il négliger, chez les hôtes des eaux, les très littéraires salamandres ? Chacun verra fatalement, dans un tel ouvrage, des lacunes en lien avec ses propres rencontres littéraires. Ainsi, ce « Dictionnaire des animaux de la langue française » fait-il partie de ces ouvrages qui s’attaquent à des thèmes si vastes qu’il s’en trouvera toujours, malgré leur richesse, pour les trouver incomplets, d’une part en raison des choix drastiques que nous soulignions en introduction, d’autre part parce que chacun des animaux considérés aurait mérité un volume entier. Pourtant, ces cinq cents pages apparaissent particulièrement denses, et chaque animal abordé fait l’objet d’une étude passionnante. Plus encore, la bibliographie particulièrement abondante poussera vers des lectures de grand intérêt. Érudit, foisonnant, richement illustré, agrémenté d’un index des animaux cités, d’un index des œuvres citées et d’une bibliographie générale sur les animaux, ce « Dictionnaire des animaux de la langue française – Hôtes des airs et des eaux » apparaît donc comme un très bel exercice de zoologie littéraire, un de ces ouvrages de référence vers lesquels on ne manque jamais de se tourner.


Titre : Dictionnaire des animaux de la littérature française
Sous la direction de : Corinne Füg-Pierreville, Claude Lachet et Guy Lavorel
Auteurs : Aurélie Barre, Bénédicte Desmond, Corinne Füg-Pierreville, Sabine Gruffat, Claude Lachet Guy Lavorel, Marc Le Person, Olivier Leplatre, Lydie Louison, Anne Martineau, Philippe Vincent
Couverture : Encyclopédie allemande du XVIIIe
Éditeur : Honoré Champion
Collection : Champion Les Dictionnaires
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 491
Format (en cm) : 15 x 21
Dépôt légal : mai 2015
ISBN : 9782745329707
Prix : 22 €



Hilaire Alrune
15 juin 2015


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