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Origine du Monde (L’)
Philip Le Roy
Le Cherche-midi, collection Thrillers, thriller avec pointe d’anticipation, 475 pages, octobre 2015, 19,80 €

Suite directe de « La Porte du Messie », mais pouvant être lu indépendamment, « L’Origine du Monde » poursuit, dans la veine du thriller archéologique et religieux, les aventures de Sabbah et Simon.



Tatouine, Malte, le Sinaï, l’île de Djerba, le Bengale, le Nagaland et autres lieux : Sabbah et Simon, traqués, fuient. Ils ont mis à jour des documents millénaires prouvant que le lieu original de la Mecque n’est pas en Arabie Saoudite, mais en Syrie, et que le Coran n’a pas été écrit par un seul homme, sur une courte durée. Des documents que convoitent tous ceux qui se battent pour, ou contre, l’islam, ou simplement s’en moquent : ils seraient utiles pour n’importe quelle puissance, officielle ou non. Rien de tel pour manipuler, affronter, dresser les uns contre les autres – et en tirer les pleins et entiers bénéfices.

Mais l’un de ces documents, Sabbah et Simon s’en rendent bientôt compte, a disparu, dérobé par les sbires d’Escorp, société militaire privée plus puissante qu’une nation. Qui donc a pu les trahir, qui donc a pu trouver ce codex dissimulé dans un puits en plein désert ? Que sont devenus les deux autres documents, et comment les soustraire à toutes les convoitises ?

Après une entame surprenante façon « Jésus Video » d’Andreas Eschbach, Philip Le Roy emmène donc le lecteur dans un thriller classique, trépidant et nerveux, avec la touche d’érudition historique et religieuse voulue par le genre. Chaldéens, Sumériens, Hébreux, Nazôréens, Massorètes, textes sacrés en versions officielles ou non, interprétations canoniques ou relectures pas tout à fait académiques seront de la partie. Mais nos deux héros appartiennent au vingt-et-unième siècle : s’ils sont experts en langues mortes depuis des lustres, ils n’en oublient pas pour autant le monde contemporain. Ainsi entendra-t-on parler d’auteurs comme Ayerdahl et Fred Vargas, et se trouvera-t-on confronté à des paroles non pas d’évangiles, mais de musiciens on ne peut plus contemporains.

« Car le vrai pouvoir consiste, plus qu’à posséder de l’argent, à inspirer la peur. Nous l’avons acquis en France. La peur a engendré la généralisation de l’autocensure et de l’apathie. »

Un des grands mérites de Philip Le Roy, dont « La Porte du Messie » dénonçait déjà, quelques mois avant les attentats de Charlie Hebdo, les discours haineux et malfaisants de légions d’imams à travers le monde, c’est de ne pas avoir cédé, avec sa suite directe, à la tentation de s’engouffrer dans le sillage de ces évènements. Si l’islam, dans sa dérive islamo-nazie ou islamo-fasciste, est inévitablement abordée, ses extrémistes n’ont pas l’apanage de la malveillance. Car, dans « L’Origine du Monde », d’autres prétendus religieux ou les athées ivres de pouvoir ne valent guère mieux. Seule comptent pour eux la manipulation par la peur, la destruction de l’existant, et l’avènement d’un nouvel ordre dans lequel ils auront plus de pouvoir encore. De surcroît, la thématique de ce roman se fait bien plus vaste, car ce qui se dessine n’est pas seulement une origine différente du Coran, mais aussi celle des autres grands textes religieux, nés plusieurs centaines d’années auparavant.

« Nous préparons la révolution sereine en fédérant les forces pacifiques de la planète. »

Face à ces religions, sectes, congrégations, corporations et autres regroupements de malfaiteurs, l’enclave paradisiaque du Nagaland dans laquelle se réfugient un moment les fugitifs, en compagnie d’une belle brochette de personnages progressistes, apparaît par contraste comme la figuration d’un monde idéal, un concentré de rationnel et d’humilité, de sagesse et d’apaisement qui sont bien loin des valeurs de notre monde. Un boisseau de rêves, et d’aspirations, qui, bientôt, seront eux aussi brisés par la violence, obligeant Sabbah et Simon à repartir dans le monde extérieur, poursuivis et traqués par les uns et les autres.

« Aujourd’hui, sa seule façon de donner un sens à sa vie était de faire éclater ce système qui produisait des moutons, des faibles, des abrutis, des radicaux comme lui. »

On s’en doute, malgré ses tendances à l’autodestruction, malgré ses compulsions suicidaires, malgré son apparente bascule dans un nihilisme à tout crin, Simon le Messie finira par apparaître comme la clef dénouant l’intrigue et mettant à mal les visées totalitaires des uns et des autres. Une clef, disons-le, particulièrement grinçante, bien loin des figures classiques, et une fin assez éloignée des sentiers battus. Et qui, de surcroît, ne ferme pas entièrement la porte à une suite des aventures de nos deux héros.

« Le pouvoir de l’ignorance volontaire est démesuré  »

Dans notre chronique du précédent roman de Philip Le Roy, nous avions émis plusieurs réserves qui ne s’appliquent plus ici. Les péripéties et scènes d’action, même si elles ont un petit goût de blockbuster ou de bande dessinée façon « Largo Winch » sont néanmoins plus crédibles que celles de « La Porte du Messie. » De même, l’ambivalence de Simon, sorte de « Messie récalcitrant » tourmenté, y est moins caricaturale et plus acceptable par le lecteur. Le caractère tendu et nerveux de l’intrigue, favorisé par la brièveté des cent-trente-deux chapitres, est servi par des dialogues au couteau, un sens de la répartie sèche des personnages et ici et là des touches d’humour bienvenu – une confrérie secrète de copistes de textes sacrés ayant adopté pour hymne le chant des crucifiés clôturant « La Vie de Brian » des Monty Python, il fallait l’inventer !

Au total, donc, les quatre-cent-soixante-quinze pages de « L’Origine du Monde  » s’avalent sans pause et sans temps mort. Un roman qui combine action, humour, et réflexion sur les grands courants religieux qui, depuis plusieurs millénaires, animent notre monde, un roman mûr qui incite à réfléchir sur d’autres éléments d’importance comme les manipulations dont nous sommes depuis toujours les victimes, parfois de manière consentante. Est-il possible de tracer son chemin propre, et lucide, entre les endoctrinements religieux, politiques et mercantiles ? Intelligent et distrayant, « L’Origine du Monde » appelle sans doute d’autres développements, d’autres aventures dont la Yozone ne manquera pas de se faire l’écho.


Titre : L’Origine du Monde
Auteur : Philip Le Roy
Couverture : Remy Pépin / Cristina Diaz
Éditeur : Le Cherche-midi
Collection : Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 475
Format (en cm) : 14 x 22
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 9782749145143
Prix : 19,80 €



Philip Le Roy sur la Yozone :

- Thriller et religion : un entretien
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- « La Brigade des fous, 1 : Blackzone »
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Hilaire Alrune
9 novembre 2015


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