Le premier texte “L’Assassin infini” est aussi le plus difficile d’accès avec une drogue dont la prise modifie la réalité alentours. Quand le rêveur s’enfonce trop profondément, il est temps d’intervenir avant que tout ne soit emporté ailleurs. Une nouvelle ébouriffante avec des conséquences toujours plus tangibles quand le personnage se rapproche du foyer.
Connaître le futur, une chance ou une malédiction ? Écriture ou réécriture d’un passé encore à venir, suivant ce qu’on souhaite transmettre à soi-même ? Le concept de “Lumière des événements” ne manque pas de potentialités, interrogeant sur la notion de libre-arbitre dans un tel contexte.
Si possible, pourquoi ne pas pourvoir son enfant à naitre de toutes les qualités et prédispositions pour réussir dans la vie ? Et pourquoi pas sauver l’humanité de l’impasse dans laquelle elle se jette ? Voilà une belle idée, mais “Eugène” montre la futilité de telles manipulations.
Une chimère (une tête humaine sur un corps de léopard) est trouvée dans la cave d’une défunte. Pourquoi cette aberration ? “La caresse” ou une incursion dans le milieu de l’art, où la technologie permet toutes les reconstitutions.
Deux sœurs jumelles attrapent le même virus. Elles suivent le même traitement, mais une guérit et l’autre meurt. Egan évoque les tests pharmaceutiques avec les malades servant à leur insu de cobayes. En 1991, il imagine dans “Sœurs de sang” un virus étudié en laboratoire échappant aux scientifiques.
La pose d’un implant à l’action plus ou moins longue permet de modifier le comportement d’un individu. Tout à fait ce dont a besoin le personnage d’“Axiomatique” pour corriger ce qu’il estime une faiblesse l’empêchant d’agir.
Se réveiller tous les jours dans un autre corps, s’inventer une vie sans savoir qui l’on est. “Le Coffre-fort” suggère des pistes d’explication sans lever tous les doutes.
Suite à une commotion liée à une blessure par balle, un homme dispose d’une vue différente. “Le Point de vue du plafond” est une des nouvelles les plus faibles du lot, souffrant de la comparaison avec les autres.
Une rançon est demandée à Daniel pour “L’enlèvement” de sa femme, mais il ne s’agit que d’une copie numérique, celle avec laquelle il espérait poursuivre sa vie après-mort.
Le titre “En apprenant à être moi” résume bien le texte. Chaque personne a un cristal implanté dans la tête, appelé à copier le cerveau et à prendre le relais un jour. Quand cesse-t-on d’être soi-même ?
Dans “Les douves” à la fin abrupte, une analyse médico-légale débouche sur de drôles de conclusions, le tout sur fond de société australienne divisée sur la question des migrants climatiques.
“La marche” relève du récit assez philosophique sur l’après-vie, ce qui nous définit. Les implants sont à nouveau au cœur de l’histoire.
Le désir d’avoir un enfant est tel pour un homme qu’il sacrifie tout pour cela et franchit le pas, tout en sachant que “Le P’tit-mignon” est programmé pour mourir à 4 ans. Une nouvelle qui fait particulièrement frissonner, car tout est écrit d’avance.
Le seuil frappe au hasard. Le seul moyen d’en réchapper est de se rendre dans son cœur avant sa disparition. Certains sont capables d’y pénétrer pour mettre les habitants en sécurité. L’incursion “Vers les ténèbres” recèle des dangers inattendus et fait le parallèle avec les cyclones ravageurs.
Pour sauver l’homme qu’elle aime, une femme doit accepter une solution hors nature. Cette idée la repousse, mais a-t-elle seulement le choix ? Les polices d’assurance avec les clauses abusives sont passées sur le grill d’“Un amour approprié”.
Le Sida puissance 10, voilà la solution d’un croyant désirant châtier l’humain de ses comportements déviants. “La Morale et le Virologue” dénonce l’intolérance et ses risques.
“Plus près de toi” reprend le concept de “En apprenant à être moi”, explorant une autre facette des possibilités de ces cristaux, une fois le basculement produit. Très métaphysique.
Et pour finir “Orbites instables dans la sphère des illusions” où des êtres essaient d’éviter les attracteurs, de peur de se retrouver embringués dans une foi qu’ils n’embrassent pas. Ils louvoient dans la ville à la recherche d’une hypothétique sortie, mais est-ce de leur propre volonté ?
Le devenir de l’humain est au centre des préoccupations de Greg Egan. Tout au long d’« Axiomatique », des thèmes reviennent souvent comme la modification de l’être humain à travers des implants, l’ADN... la réalité qui peut être multiple et malmenée à plus d’une occasion. Ce recueil est l’équivalent de celui en langue anglaise voulu par l’auteur qui se révèle depuis toujours un grand mystère. Son talent parle pour lui, ses nouvelles sont riches en enseignements, elles interrogent le lecteur sur l’avenir, sur le rôle que la technologie pourra y jouer. Quelle y sera la place de chacun ?
À la lecture de ce recueil, on ne peut se cacher que certaines nouvelles apparaissent plus faibles que d’autres. Certaines sont si fortes, d’un tel niveau que forcément d’autres souffrent de la comparaison, alors que prises individuellement, cela ne se serait pas ressenti et on se serait sûrement extasié dessus. Toutefois, impossible de ne pas reconnaître la qualité de l’ensemble qui de surcroît est parfaitement accessible aux lecteurs.
Dix-huit nouvelles au sommaire d’un recueil incontournable toujours d’une belle actualité. Un concentré Greg Egan à ne pas manquer.
Titre : Axiomatique
Auteur : Greg Egan
Couverture : Nicolas Fructus
Traductions de l’anglais (Australie) : Sylvie Denis, Francis Lustman, Quarante-Deux (Ellen Herzfeld et Dominique Martel) et Francis Valéry
Traductions harmonisées par : Quarante-Deux (Ellen Herzfeld et Dominique Martel)
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Quarante-Deux
Directeurs de collection : Ellen Herzfeld et Dominique Martel
Site Internet : Recueil (site éditeur)
Pages : 474
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : mars 2022
ISBN : 9782843449987
Prix : 23,90 €
Greg Egan sur la Yozone :
« À dos de crocodile »
« Cérès et Vesta »
« Une Heure-Lumière : le quatrième hors-série »
« Bifrost 88 » spécial Greg Egan
« Zendegi »
« Océanique »
« Axiomatique » version Le Bélial’ de 2006 et Le Livre de Poche
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