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Trilogie des Joyaux (La), tome 3 : La Rose de Saphir
David Eddings
Pocket, Fantasy, roman (USA), fantasy, 776 pages, avril 2022, 10,30€

Désormais en possession du Bhelliom, Émouchet et ses amis doivent revenir dare-dare à Cimmura pour délivrer la reine Ehlana de sa gangue de diamant qui freine l’avancée du poison, puis filer tout aussi vite à Chyrellos contrecarrer les plans du prélat Annias qui vise toujours la place d’archiprélat de l’Eglise. Enfin, il faudra repousser les troupes de Martel et porter le fer directement contre Otha, l’empereur des Zémochs et serviteur du dieu noir Azash...



Après le jeu de piste un peu longuet du tome 2, j’avais quelques craintes quant à ce dernier volume, plus épais encore de 200 pages. Mais il est en fait découpé en 3 parties, 3 quêtes, 3 missions pour nos chevaliers pandions : libérer la reine, empêcher Annias de prendre le pouvoir sur l’Église, et aller vaincre le Grand Méchant.

Après la victoire sur le troll et la révélation de l’identité de Flûte, le retour à Cimmura est le temps de s’interroger sur les tenants et aboutissants de cette quête, le rôle d’Émouchet dans la lutte entre les dieux. La délivrance d’Ehlana est un soulagement pour tout le monde, une sorte de première conclusion : la quête démarrée mille pages plus tôt est réussie, les usurpateurs arrêtés, la reine rétablie. Seule léger problème, la gamine qu’Émouchet avait élevée avant de partir en Rendor est devenue une femme, intelligente et déterminée, qui a jeté son dévolu sur lui. Mais c’est aussi une grande ado nourrie aux romances à l’eau de rose et à quelques romans fripons, qui se met à faire du chantage au mariage à son chevalier. Le pauvre Émouchet, tellement stoïque, se retrouve donc la cible amoureuse d’une femme qu’il considérait comme sa fille. Il joue la montre, promet tout ce qu’elle voudra une fois sa mission remplie.
Les pandions partent donc empêcher Annias de devenir archiprélat. A Chyrellos, la ville est sous tension, le camp du prélat menaçant ses opposants qui refusent de se laisser corrompre. Les pandions, qui prennent part au vote, espèrent renverser les statistiques. Talen, qui jongle à merveille avec les chiffres, calcule à chaque retournement de situation si Annias peut obtenir une majorité ou si eux peuvent le bloquer. Cela se lit comme n’importe quel thriller politique où chaque voix compte, où l’on tremble, ou l’on doute, on maudit les indécis, on joue le tout pour le tout sur certaines prises de paroles. Les règles électives de l’Église sont complexes et permettent aux pandions de jouer avec les nerfs d’Annias, intouchable dans l’enceinte de la basilique. Et tandis que cela semble gagné, voilà Martel qui assiège la ville avec des mercenaires zémochs et rendors. L’élection est mise en pause le temps de la bataille. Les pandions font un choix stratégique qui leur assure la victoire mais garantit leur défaite à l’élection en sacrifiant la ville basse, où nombre de prélats ont leur manoir (payé avec l’argent du peuple, comme le rappelle Talen). Mais c’est finalement Ehlana qui leur sauve la mise en prenant la parole devant le corps électoral, imposant son candidat, loin des manœuvres partisanes et des alliances de couloir, renversant le vote émotionnel sur lequel comptait Annias avec la menace de guerre.
La reine profite de sa présence pour épouser Émouchet, encore une fois un beau moment de comédie avec un marié contraint et forcé, avançant vers l’autel comme vers l’abattoir. Eddings reste évasif sur les détails de la nuit de noces, mais Ehlana semble satisfaite de ce qu’elle a obtenu.

Vient la dernière partie : le petit détachement habituel fonce vers la capitale zémoch, cœur de l’empire d’Otha. Émouchet, avec la rose de saphir et ses dexu bague, peut contraindre le Bhelliom, dont on comprend peu à peu la vraie nature, et compte tuer Azash, quitte à y laisser la vie. Mais ses amis sont peu décidés à l’abandonner. Parvenus au saint des saints du mal, viendra un ultime combat contre Martel, l’ancien frère, et sa défaite en forme d’absolution pour ses crimes, puis la victoire finale, au prix de la perte d’un ami fidèle.

Eddings accorde une trentaine de pages à la conclusion, l’après tout cela et le début de règne d’Ehlana, pour nous donner le fin mot de l’histoire.

Ce dernier volume est encore riche en réparties du tac au tac entre les chevaliers, toujours dans cette ambiance assez masculine d’hommes ayant suivi le même cursus militaire et religieux, auprès des mêmes mentors. L’âge aidant, les apprentis devenus chevaliers chambrent les anciens qui ont le dos qui craque, mais avec respect, tandis que dans une même génération il n’y a pas ce genre de gants. Les patriarches des ordres combattants, qui montent la stratégie électorale pour débouter Annias, sont de joyeux drilles un peu fatigués mais encore costauds. La blague récurrente de l’auteur étant bien sûr que tous ont appris la magie auprès de Séphrénia, faisant de plus en plus douter de la mortalité de la Styrique. Qu’elle appelle sœur sa déesse Aphraël est aussi un indice. L’autre point comme à tous ces mâles est d’être le jouet des quelques femmes, Séphrénia, mais aussi Ehlana et pour certains, sa garde du corps, une gigantesque guerrière. Tous ont l’air d’enfants pris en faute en leur présence. Eddings, en présentant ses fiers moines-soldats comme finalement de grands gamins, et ses personnages féminins comme bien plus sages et posés, quelque soit leur âge, donne une dimension féministe à son œuvre. On observait le même schéma dans « La Belgariade », avec une Polgara plus ou moins contrainte de gérer les frasques de son père et de canaliser sa petite troupe de chevaliers.

Il est aussi plaisant, dans ce dernier volume, de voir la question religieuse fortement mise à mal. Cela commence avec cette élection, aux règles archaïques qui permettent moult coups de théâtre, mais c’est surtout avec l’implication d’Aphraël dans le conflit qui pousse les chevaliers élènes, que Séphrénia décrit tout du long comme très étroits d’esprit, qui est savoureuse. En effet, le Dieu des Élènes leur est de peu d’utilité face à Azash, au contraire de la petite déesse styrique et, dans une certaine mesure, les dieux trolls du Bhelliom. Au retour de leur victoire, les moines-soldats qui admettaient pratiquer un peu de magie païenne se retrouvent avec le cas de conscience de devoir leur victoire à une déesse dont leur culte nie l’existence.

« La Rose de Saphir » est donc un juste dosage de drame, de bataille, de thriller, de dark fantasy et d’humour, qui le rend palpitant et toujours digeste malgré ses trente ans et le classicisme de son intrigue. Encore une fois, en coupant les multiples répétitions, transmissions d’informations, sans doute aurait-on pu l’alléger quelque peu, mais la densité des personnages et le souci de détail réaliste de certaines situations font passer la pilule sans trop de mal, et on dévore ce dernier tome, pour ma part, bien plus vite que le précédent.


Titre : La rose de saphir (the sapphire rose, 1991)
Série : La trilogie des joyaux, 3/3
Auteur : David (et Leigh) Eddings
Traduction de l’anglais (USA) : E.C.L. Meistermann
Couverture : Nicolas Galkowski
Éditeur : Pocket
Collection : SF/Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 5631
Pages : 776
Format (en cm) : 18 x 11 x 3,5
Dépôt légal : avril 2022
ISBN : 9782266170635
Prix : 10,30 €


La trilogie des Joyaux :
Le trône de diamant
Le chevalier de rubis
La rose de saphir


Nicolas Soffray
29 décembre 2023


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