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Belgariade (La), intégrale 1 : Le Pion blanc des présages, La Reine des sortilèges, Le Gambit du magicien
David Eddings
Pocket, roman (USA), fantasy, 1148 pages, septembre 2020, 15,90€

Quand le monde était jeune, un dieu, Torak, a pris idée de dominer les autres, provoqué une guerre avec ses frères et leurs adorateurs, et perdu, vaincu par le pouvoir de l’Orbe d’Aldur. Des siècles plus tard, il prépare son retour, mais une prophétie soutient que l’héritier de Riva s’opposera à lui et le vaincra - définitivement.
Le jeune Garion a grandi dans un vaste domaine agricole de Sendarie, sous l’égide de sa tante Pol, assez protectrice. Mais voilà qu’à une visite d’un vieux conteur, il faut prendre la route car un danger menace. Garion part sur les routes du monde, visitant les rois des différentes contrées, fuyant un ennemi qu’on ne doit pas nommer, en compagnie de Belgarath, un puissant sorcier vieux de plusieurs millénaires, de sa fille Polgara - tante Pol - du roublard Silk, en fait un prince espion, et de Barak, un noble guerrier Cherek.



Tout le sel de « la Belgariade » tient sans doute au fait que dans ce grand voyage initiatique auprès des puissants de ce monde, Garion ne sait pas qu’il est l’élu, l’héritier caché de Riva. En fait, il ne sait pas grand-chose, Polgara, sa « tante Pol », l’ayant soigneusement couvé, surprotégé, tenu loin du danger et des menaces de l’ennemi. Et après l’introduction sur la genèse du monde et la prophétie, bien peu malin serait le lecteur qui ne l’aura pas compris.

Le procédé n’est pas neuf, mais le roman a 40 ans, soyez indulgents. Et David Eddings réussit le tour de force de le maintenir sur plus de 800 pages, sans que le roman ne nous tombe trop des mains. Car malgré tout, on se lasse un peu. Surtout quand Belgarath et Polgara échangent à mots couverts et que pour le coup, nous sommes autant dans le brouillard que Garion.
On pourrait d’ailleurs résumer ainsi ces trois premiers tomes, sur cinq :
- « Le pion blanc des présages » : Garion ne sait rien, on ne lui dit rien, nous avons à peu près tout compris, la compagnie fait le tour de ses alliés.
- « La reine des sortilèges » : Garion ne comprend rien, on a enfin le droit de dire le nom de l’ennemi (Zedar), on commence à ne pas tout nous dire, la compagnie fait le tour des alliés potentiels à convaincre.
- « Le Gambit du magicien » : Garion commence à additionner 1+1, Belgarath change ses plans (donc la précédente balade de 700 pages n’a servi à rien), la prophétie se met en place tandis qu’on traverse les terres ennemies jusqu’au méchant final.

Oui, c’est très très linéaire. Limite Guide du Routard. Chaque partie est consacrée à un pays, royaume... On passe deux tomes à courir après le voleur de l’Orbe, tout en sachant pertinemment où il va et qu’il a trop d’avance, au lieu de le devancer et lui couper la route, pour entretenir un suspense un rien superflu.
Chaque tome, ou Chant de cette grande saga, est clos par l’annonce du contenu du Chant suivant, sapant encore plus toute surprise et démoralisant à l’avance tout espoir que les choses s’accélèrent...

C’est néanmoins une jolie balade, une découverte du monde, des peuples qui le composent, au travers du regard naïf de Garion, des remarques pragmatiques de Durnik, le forgeron qui les accompagne, car un peu amoureux de Polgara - et à son insu, élément de la Prophétie. Silk et Barak, duo complémentaire, donnent vite le ton des dialogues qui animeront le groupe, au fur et à mesure qu’il grossira de combattants émérites issus de chaque clan : un peu de malice, un goût assumé pour la bagarre et l’envie d’en découdre à la moindre rencontre avec les Grolims, les sorciers servant Torak, et les Murgos, son peuple à ses ordres. Des petites piques, et beaucoup de non-dits de la part des deux magiciens, père et fille. Le premier étant un peu poivrot et la seconde un peu dirigiste.

On notera dans ces échanges oraux un niveau de langage assez relâché, avec quelques expressions très contemporaines (« au bout du rouleau »...), qui tranchent radicalement avec la narration très empesée du récit, souvent simplement descriptive, dépassionnée jusque dans les scènes d’action.

Il y a bien quelques messages, mais ils sont bien martelés. Les différents peuples sont bien catégorisés, avec des épithètes confinant au racisme. Au début de « La reine des sortilèges », un jeune noble très fougueux rejoint le groupe, et avoue à Garion qu’avec deux autres godelureau ils montent un attentat contre le pouvoir impérial qui oppresse le pays. Si Garion use de sa sagesse de paysan (et d’une mystérieuse petite voix dans sa tête) pour pointer les failles du plan, fallait-il être grand clerc pour deviner que dans un Grolim, universellement connu pour être dans le camp du mal, te fournir or, armes et plan foireux pour une attaque suicide contre l’empire, tu te fais doucement manipuler ?
Idem, dans « Le Gambit du magicien », le personnage de Relg, fanatique religieux d’UL, qui vivait dans les cavernes et ne supporte pas qu’on le touche, et encore moins une femme, au risque d’être souillé. Ce n’est plus de la caricature, à ce niveau, tant le personnage est obtus et incapable de repenser sa conduite.

Il faut attendre le troisième tome pour que certains, comme Mandorallen, le chevalier sans peur au ton ampoulé, se remette en question et évolue un peu. Il est bien le seul.
La palme de la tête à claques revient à Garion, tout de même, qui va mettre deux tomes à comprendre que la marque dans sa main est un signe de sa magie, qu’il faut pas la mettre n’importe où ou la montrer à n’importe qui (portera-t-il un gant ? Noooon...). Comme tout bon ado, il va se rebeller, refuser ce Destin dont il ignore à peu près tout, et de maitriser son pouvoir. Et là, les deux sorciers millénaires, qui basent la survie du monde sur lui, ne pipent mot, laissent faire, on a deux-trois catastrophes avant que le gamin change d’avis et que son apprentissage commence (930e page). On parle d’un voyage qui aura duré plus d’un an, et ce n’est jamais le bon moment ni pour poser des questions, ni pour y répondre, et lever un peu le voile sur ce qu’on attend de lui.

Après l’escale en Tolnedrie, et la fugue de la princesse Ce’Nedra, on regardera amusé les sentiments contradictoires qui naissent entre la princesse trop gâtée et le jeune garçon de la campagne, mi-attachement mi-agacement. D’autant plus, là encore, qu’on sait qu’ils sont destinés à se marier - sort que Ce’Nedra fuyait donc, sans savoir que le Destin avait tout prévu.
C’est ce Destin qui pèse le plus sur le cycle. Destin brandi en permanence par Belgarath comme mi-inéluctable, mi-fragile, selon comment la Prophétie se développe, selon leur position à tel ou tel instant. Avec tellement de pseudo-non-dits, frustrant le jeune héros puis le lecteur, tous les deux tenus par la main sur 1150 pages, et encore 800 à venir.

Quarante ans plus tard, que reste-t-il de « La Belgariade » ? Je serais acide, je parlerais de « Seigneur des anneaux » au rabais, tout en me rappelant quel mal j’ai eu, grand ado, avec Tolkien. En fait, j’ai pris les choses à l’envers : « La Belgariade » est, (ou était) sans doute très bien à cet âge proche de celui du héros, pour découvrir la fantasy au travers d’une longue saga aux enjeux apocalyptiques.

Mais bon, à l’époque, je lisais « Les royaumes oubliés » puis les « Chroniques de Krondor » de Raymond Feist, il y avait un peu plus d’action et surtout, les personnages avaient une dimension humaine, de l’épaisseur, au contraire de cette petite troupe d’élite caricaturale qui surmonte tous les combats et dangers quasi sans égratignure. Puis David Gemmell, qui a su porter l’héroïsme de ses personnages aussi haut que leurs faiblesses. Les premiers tomes de « Drenaï » comme les aventures de Pug sont contemporaines de l’odyssée de Garion. Trois auteurs, trois styles différents.

Clairement, donc, à moins d’être néophyte (et encore), il faut s’accrocher, se laisser porter, sourire à cette narration souvent très pragmatique de ce long voyage, accepter les blancs, les non-dits, les gros sabots, les ficelles épaisses comme des cordes, le séquençage très morcelé de l’intrigue, lieu après lieu, les faiblesses purement scénaristiques (comme laisser filer systématiquement l’agent du camp adverse, sous un prétexte futile en disant bien fort qu’on espère que cela ne portera pas à conséquence. Spoiler : eh ben si !).

Et je ne vous parle ni de la toponymie ni de l’anthroponymie, héritées de l’âge d’or du jeu de rôles, avec quelques bonnes idées mais une montagnes de consonnes, G, H et K en première ligne des forces du mal.

La réédition en intégrale, pavé de 1150 pages, rend d’autant plus pesante cette écriture désormais dépassée : on n’a pas la sensation d’avancer, ou au contraire, on juge bien maigre l’évolution de l’intrigue malgré une telle épaisseur de papier.
Je noircis le tableau, ce n’est pas si désagréable à lire, mais voilà, ces 25 dernières années, j’ai lu tellement mieux, plus palpitant, plus court, moins basique, plus subtil... Ai-je envie de lire la fin ? Pas forcément tout de suite, au risque d’oublier les nombreux personnages. « La Mallorée », l’autre grand cycle en 4 tomes ? Non plus.

Un classique à (re)découvrir, avec donc toutes les précautions qui s’imposent à un tel exercice.


Titre : La Belgariade, intégrale 1/2
Contient : Le Pion blanc des présages (Pawn of prophecy, 1982), La Reine des sortilèges(Queen of sorcery,1982), Le Gambit du magicien (Magician’s gambit, 1983)
Auteur : David Eddings
Traduction de l’anglais (USA) : Dominique Haas
Couverture : Jean Bastide
Éditeur : Pocket
Collection : Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7234
Pages : 1148
Format (en cm) :
Dépôt légal : septembre 2020
ISBN : 9782266277532
Prix : 15,90 €



Nicolas Soffray
11 août 2021


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