Grand promoteur de la japanimation depuis plus de 20 ans, Hayao Miyazaki n’a été repéré en France qu’à la sortie en salle de « Porco Rosso » (1992) avant de revenir en conquérant de la planète avec « Princesse Mononoké » (1997). Finalement, il imposera sa vision de l’aventure fantastique en embarquant 23 millions de spectateurs pour « Le Voyage de Chihiro ». Un dessin animé hors norme qui rafle en 2002 l’Our d’Or à Berlin (une première pour une animation) et récolte quelques mois plus tard un Oscar à Los Angeles. Retour sur le parcours d’un artiste incontournable qui, non content de s’exposer actuellement à « La Monnaie de Paris » en compagnie de Moebius, dévoile enfin sa dernière création : l’adaptation du roman « Le Château de Hurle » de Dianna Wynne Jones rebaptisé « Le Château Ambulant ».
Né à Tokyo le 5 janvier 1941 (l’année de l’entrée en guerre du Japon), Hayao Miyazaki va devoir quitter sa ville natale très jeune pour échapper aux bombardements américains qui ponctuent la fin du conflit. Grandissant à la campagne aux côtés d’une mère atteinte de la tuberculose et qui restera alitée durant 9 ans, ce fils d’un petit entrepreneur en aéronautique (son père fabriquait des pièces pour les redoutables avions Zéros durant la guerre), développe une véritable passion pour l’aviation, la nature et la bande dessinée. Dans cette société dont les principes shintoïstes viennent d’être réduits en cendres par l’utilisation de l’arme atomique, les traditions se heurtent désormais au modernisme d’un futur en perpétuelle mutation. Hayao Miyazaki trouve finalement sa voie en 1958 avec l’arrivée des premiers long-métrages des studios de la Toei Animation. Mais à l’époque, les arts graphiques ne sont pas encore disciplines scolaires et s’est nanti d’un diplôme en économie qu’il franchit, 5 ans plus tard, les portes de la compagnie et décroche son premier job.
DE TOEI A GHIBLI
Cette première expérience dans le plus grand studio de la péninsule va lui permettre de faire la rencontre d’un autre artiste visionnaire : Isao Takahata. Immédiatement, ce dernier le prend sous son aile et lui donne l’opportunité de s’initier aux différentes étapes de la réalisation. Intervaliste sur les séries « Ken, l’enfant Loup » (1963) et « Space Gulliver » (1965), animateur-clé sur celle de « Mini-Fée » (1966), Miyazaki fait ses classes et développe avec Takahata l’ambition de sortir la japonisation du carcan infantile et bon marché où elle commence a s’enferrer. En 1968, les deux hommes passent la vitesse supérieure en transposant en un long-métrage -Miyazaki prenant en charge le design pendant que Takahata officie à la réalisation- une légende japonaise replacée dans une contexte scandinave. Si « Horus, Prince du Soleil » (sortie l’année dernière dans les salles française) a pris un certain coup de vieux, ce film fait date et préfigure déjà les ambitions du futur Studio Ghibli. Toujours est-il que les points de vue du duo divergent de plus en plus de ceux de leur direction (Takahata étant de surcroît responsable syndical) et après 8 années de bons et loyaux services les deux hommes décident de quitter Toei Animation pour rejoindre A Production. Un nouvel engagement qui permet à Miyazaki d’accéder à de nouvelles responsabilités (« Panda Kopanda », une mini-série composée de deux moyens métrages qu’il ne réalise pas mais dont il signe les scenarii, par exemple). Un principe qu’il perfectionnera plus tard avec « Mon Voisin Totoro » ou son travail sur les croquis et les décors, etc,. Cette première réussite lui ouvre aussitôt les portes de Nippon Animation. A l’époque, la compagnie projette d’adapter différentes œuvres littéraires européennes et se tourne donc logiquement vers ce grand amateur de la culture et de la littérature du vieux continent.
Outre le design de « Heidi » (un feuilleton animé bien connu par chez nous), Miyazaki se voit confier la réalisation de « Conan, Le Fils du Futur » (1978). Sa carrière est désormais lancée et Miyazaki enchaîne avec « Anne la rousse » avant de rejoindre Telecom Animation Films pour réaliser enfin son premier long-métrage.
Avec « Le Château de Cagiostro » (1979), adaptation cinématographique de la série télévisée « Lupin III », Miyazaki confirme non seulement son potentiel de réalisateur mais surtout impose ses vues en délaissant les aspects James Bondiens du programme cathodique pour se rapprocher de la création originale de Maurice Leblanc. Dès lors, Miyazaki sait qu’il veut se consacrer exclusivement au cinéma et ne travaillera plus pour la télévision que sur quelques épisodes de « Lupin III » et « Sherlock Holmes, Détective Privé ».
Mais tout n’est pas rose au pays du Soleil Levant, les refus récoltés par ses différents projets de films (dont « Mon voisin Totoro » et « Princesse Mononoke ») vont l’amener dans un premier temps à renouer avec ses amours de jeunesse. En l’occurence, la bande dessinée en se lançant dans la réalisation d’un manga de science fiction d’envergure. Véritable ôde à la nature, le succès de la version papier de « Nausicaa De La Vallée du Vent » (1982) va finalement servir de déclic à Isao Takahata et Hayao Miyazaki. Cependant, désireux de faire souffler un vent nouveau sur la japanimation, ils fondent leur propre studio pour produire l’adaptation de « Nausicaa » au cinéma en 1984.
GHIBLI PRODUCTIONS
Néanmoins, si les deux artistes n’ont plus de comptes à rendre à des décideurs incompétents et mercantiles, ils placent si haut la barre qualitative de leur production que Miyazaki, perfectionniste a l’extrême, se taille rapidement une réputation de tyran. Il faut dire qu’il s’investit à fond dans tout ce qu’il entreprend, souhaitant peaufiner chaque détail du scénario, de la conception des personnages et des décors en passant par les story-boards ou la mise en scène.
Sortie en France début 2003, « Le Château Dans le Ciel » (1986) est l’un de ces grands récits d’aventure où le passé (symbolisé par les Zeppelins) et le futur (les robots) s’unissent au sein d’une dimension imaginaire quasiment collective, tant elle brasse astucieusement les références culturelles nippones avec des influences occidentales clairement identifiées (« Les Voyages de Gulliver » de Jonathan Swift, « L’Île au Trésor » de Robert Louis Stevenson ou encore Jules Verne et ses machines à vapeur extraordinaires). Un film aux qualités indéniables mais dont le succès, lors de sa sortie japonaise, va s’avérer insuffisant. Qu’à cela ne tienne, deux ans plus tard, le studio accouche de deux chefs-d’œuvres. « Le Tombeau des Lucioles » d’Isao Takahata est un film poignant qui nous plonge dans le quotidien d’une petite fille et de son grand frère au lendemain d’un bombardement particulièrement destructeur. « Mon Voisin Totoro » étant un condensé de merveilleux à la Miyazaki qui, sous ses attraits de dessin animé pour enfants, révèle une chronique familiale d’une grande poésie (Miyazaki alliant divinités et symbolique shintoïstes sur un fond d’imagerie à la Lewis Caroll avec un réel talent). Il n’empêche que si les retombés critiques sont excellentes, une mauvaise gestion du merchandising (une coûteuse rupture de stock des peluches Totoro) ruine les perspectives de bénéfices sur le plan strictement financier.
Paradoxalement, c’est le film le moins personnel de Miyazaki qui va permettre au Studio Ghibli (nom emprunté à un avion italien) de prendre son envol. En effet, le réalisateur initialement prévu pour mettre en boite « Kiki, la Petite Sorcière » (1989) ne résiste pas aux contraintes imposées par la production et préfère jeter l’éponge. Du coup, Miyazaki se retrouve propulsé aux commandes du film. Il va y injecter sa touche personnelle et faire de Jiji, le petit chat noir emblème de la Yamato (la société de livraison à domicile qui sponsorise le film), une véritable star de cinéma.
GHIBLI SUPERSTAR
Dès lors, Hayao Miyazaki va prendre du recul avec la réalisation pour se consacrer à la production. Mais, le démon de la narration n’a -heureusement- pas totalement quitté le dieu de l’animation qui se remet à la création pour nous livrer « Porco Rosso » (1992). Œuvre atypique dans une filmographie placée sous le signe de l’imaginaire, le récit tumultueux des aventures du cochon-aviateur rend certe un hommage virevoltant à l’hydro-aviation italienne d’entre les deux guerres, mais s’écarte des territoires oniriques habituels du réalisateur. Miyazaki, ébranlé par les « incidents » Yougoslave, teinte parfois sa copie d’un froid réalisme inhabituel chez lui, brossant un tableau peu réjouissant de la société mussolinienne et de sa population résignée. Il en résulte un dessin animé tout public, parfaitement maîtrisé, mais qui confronte Miyazaki à ses problèmes de santé. A plus de 50 ans, la réduction de son acuité visuelle et surtout le léger tremblement qui agite frénétiquement sa main quand il reste trop longtemps à la table à dessin, amène le Maître à envisager de prendre sa retraite. Pour tirer sa révérence en beauté, il exhume le script de « Princesse Mononoke » (rejeté quelques années plus tôt) et mobilise toutes ses forces dans la bataille de ce qu’il pense être son dernier long-métrage. Exit la variation initiale sur le thème de « La Belle et la Bête » (Walt Disney s’en est emparé entre temps), Miyazaki, reprend complètement sa trame et réuni sorciers, créatures métamorphes et esprits de la nature en une époustouflante saga épique croisant légendes indiennes, propos écologiques et philosophie shintoïste -un élément culturel souvent omniporésent chez lui. Phénomène au retentissement planétaire (même s’il faudra trois longues années à ce film pour débarquer en France), « Princesse Mononoke » draîne 15 millions de spectateurs et consacre définitivement Miyazaki en créateur incontournable. De fait, il est aussi intronisé Dieu de l’animation en son pays et comme ces derniers ne sont pas sensés prendre leur retraite, Miyazaki va devoir renoncer à la sienne pour former une équipe capable de concrétiser ses visions.
2001, LE SACRE DE MIYAZAKI
Dans un premier temps, sa vision se focalise sur la création du Musée Ghibli. Une entreprise -et une grande source d’inspiration- grâce à laquelle Miyazaki nourrit le scénario qu’il écrit en parallèle. Si la première lecture du « Voyage de Chihiro » évoque une espèce d’Alice au Pays des Merveilles -Lewis Carrol encore- à la sauce nipponne, il s’agit aussi et surtout d’une métaphore sur le fonctionnement du célèbre studio. La jeune Chihiro étant aussi la représentation d’une jeune stagiaire devant subir les caprices des Dieux (autrement dit Miyazaki, Takahata et leurs collègues réalisateurs) afin de convaincre la méchante sorcière Yubada, version un rien fantasmée de Toshio Suzuki (le nouveau directeur du Studio Ghibli), de lui donner sa chance. Une conjonction thématique qui va ériger cette animation en triomphe total. L’ouverture du Musée Ghibli (novembre 2001) et la sortie en salle d’un film en tout point magnifique, véritable monument de l’animation, parachève le triomphe. « Le Voyage de Chihiro » surprend, émerveille, rafle les récompenses des plus grands festivals et explose le box-office en totalisant 23 millions d’entrées en salle.
Dés lors, une véritable Miyazakimania s’est emparée de l’hexagone. Les distributeurs, enfin libérés de leur frilosité congénitale envers la japanimation, ont profité de ces 4 dernières années pour sortir l’intégralité des œuvres oubliées du Maître et ont préparé avec soins le retour de Miyazaki sur nos écrans. En effet, en plus du « Château Ambulant » actuellement sur les écrans, on peut également découvrir l’œuvre de Miyazaki à « La Monnaie de Paris » (11, quai Conti, Paris 6ème) où son travail est exposé avec celui de Moebius.
Créateur génial à la carrière finalement atypique, Miyazaki obtient aujourd’hui et de son vivant, une consécration publique et critique. L’histoire étant un ciel ténébreux constellé de génies oubliés, on ne peut que se féliciter d’une telle consécration. Si notre époque adoube un tel créateur, c’est que tout n’est pas perdu !
FILMOGRAPHIE
Séries TV
1978 - Conan, le fils du futur
1979 - Anne la rousse
1980 - Lupin III
1982 - Sherlock Holmes, détective privé
Cinéma
1979 - Le Château de Cagliostro
1984 - Nausicaä de La Vallée du Vent
1986 - Laputa, le Château dans le Ciel
1988 - Mon Voisin Totoro
1989 - Kiki, la Petite Sorcière
1992 - Porco Rosso
1997 - Princesse Mononoke
2001 - Le Voyage de Chihiro
2004 - Le Château Ambulant
2008 : Ponyo sur la falaise
2013 : Le vent se lève