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Billy Summers
Stephen King
Le Livre de Poche, n°37490, traduit de l’anglais (États-Unis), thriller, 722 pages, 10,90 €


Il se nomme Billy Summers. Ancien soldat du corps des Marines, tireur d’élite avec un passé de combattant en Iraq, il s’est, au gré du hasard et des circonstances, reconverti à son retour dans une activité plus lucrative et moins académique : tueur professionnel. Mais un tueur vertueux ayant pour principe de n’effacer que des sales types. Ses employeurs le savent, et ne lui proposent que des contrats allant en ce sens. Billy Summers, après dix-sept contrats, souhaite décrocher, revenir à une activité plus légale. Mais le voilà face à une nouvelle proposition, extraordinairement bien payée. Trop bien payée pour ne pas susciter la méfiance. Pourtant, il se laisse tenter.

La cible est un individu sous protection de la justice du nom de Joël Allen qui doit être jugé dans la petite ville de Red Bluff. Nick Marjarian, l’employeur de Summers, a déjà tout planifié : à l’arrivé d’Allen, entre sa sortie du fourgon et son entrée dans le palais de justice, s’ouvrira une fenêtre de tir de quelques secondes. Depuis un bâtiment proche, Summers abattra sa cible sur les marches même du tribunal. Puis à l’arrière du bâtiment, il sera cueilli par une fausse fourgonnette des services de la ville et disparaîtra de la scène du crime.

Seule ombre au tableau, pour que tout puisse rouler, il faut qu’avant l’arrivé d’Allen sur les lieux celle de Summers n’attire aucun soupçon. Que sa présence dans le bâtiment parfait pour le tir – un immeuble de bureaux avec gardien – soit considérée comme strictement normale. La date du jugement d’Allen n’étant pas encore connue, Summers doit donc s’inclure dans le paysage durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour se trouver au bon endroit et au bon moment.

Par prudence (et surtout pour les besoins de l’histoire), Billy Summers s’est toujours fait passer aux yeux de Marjarian comme un individu intellectuellement pas très vif, et même un peu simplet. Une sorte de débile moyen tout juste capable de feuilleter des bandes dessinées et d’obéir aux ordres. Mais Summers, secrètement féru de littérature, est loin d’être un idiot. Il devine – même s’il n’en connaît pas la raison – que l’enjeu est plus gros que ce que Marjarian veut bien lui dire. Corollaire, en tant que tueur il pourrait bien être le dindon de la farce, et terminer lui-même refroidi par les sbires de Marjarian. Dès lors, la suite est sans surprise. Ce qui va se passer, comment cela finira, le lecteur le devine et King, très classique, ne sort pas une seule seconde des sentiers battus du récit de genre.

Nous n’en dirons pas trop sur l’intrigue. Une intrigue qui hélas prend l’eau dès le départ, et se caractérise par de nombreuses incohérences. Comme dans « Carnets noirs », « Si ça saigne » ou « Après », King donne l’impression de ne pas maîtriser les aspects policier/thriller de son intrigue. L’idée de Marjarian, c’est que Billy Summers, sous le nom de David Lockridge, se fasse passer pour un écrivain venu à Red Bluff terminer un livre pour lequel il a déjà un contrat avec un éditeur. Il loue une petite maison en ville, et il prend un bureau dans le fameux bâtiment pour s’y isoler et avancer dans sa rédaction. Mais comment Marjarian peut-il un seul instant imaginer qu’un débile moyen, aux limites mentales criantes, soit capable de mener plusieurs semaines durant un tel jeu d’acteur, et, mieux encore se faire passer pour un intellectuel ? La contradiction est évidente, l’impossibilité totale. Comment imaginer qu’un tueur professionnel s’amuse des semaines durant à laisser partout ses empreintes digitales, son ADN, son image sur les caméras de surveillance, en sachant qu’avec ces éléments il sera, de manière inévitable, formellement identifié après le tir, et l’objet d’une chasse à l’homme de grande envergure ? Une telle intrigue aurait été acceptable dans les années cinquante, mais, dans le monde contemporain (le récit se déroule peu avant la pandémie Covid), il est impossible d’y croire une seule seconde. Trop tardivement dans le roman, Summers note en être conscient, mais dit avoir une identité de rechange. Pas suffisant, pas crédible dans un monde où les caméras de reconnaissance faciale sont en train de se multiplier, caméras dont King a d’ailleurs connaissance puisque lui-même les mentionne au chapitre onze.

Nous n’en dirons pas plus sur les facilités et contradictions de l’intrigue, mais un autre défaut mérite d’être mentionné. Nous avons déjà noté ici et là (par exemple dans notre chronique de « L’Institut »), la tendance de l’auteur à faire référence à lui-même, habitude d’une modestie discutable mais qui réjouit sans doute ses fans. Ici, cette référence (l’hôtel Overlook de « Shining  ») est non seulement réitérée avec une lourdeur singulière, comme si l’auteur craignait que les lecteurs n’aient pas compris, mais aussi le sujet d’une historiette parallèle de nature fantastique qui vient en décalage total avec la tonalité du roman. Quand Stephen King soutient une intrigue fantastique avec mille détails réalistes, domaine dans lequel il excelle, cela fonctionne. Quand il vient nourrir un thriller qui se veut réaliste mais prend déjà l’eau avec des éléments fantastiques, cela produit une impression de grand n’importe quoi – de WTF ou « what the fuck », comme disent les compatriotes de King.

Mais nous ne voudrions pas faire une chronique à charge. Il faut, dans ce « Billy Summers », passer sur les nombreux motifs de rupture de suspension d’incrédulité pour apprécier les domaines où King est le meilleur : sa description de l’Amérique-d’en-bas, sa capacité à donner corps à ses personnages, à créer un monde réaliste avec les mille et un détails de la vie quotidienne. King excelle à mettre en scène, avec un regard toujours bienveillant, les voisins de Summers dans sa petite maison de quartier, ses collègues dans le bâtiment où il feint de travailler à son livre (qu’il finit peu ou prou par écrire, histoire dans l’histoire de la tristement fameuse bataille de Falloujah), la jeune fille victime d’un viol qu’il sauvera et avec laquelle il partagera ses planques, et quelques autres individus rencontrés en chemin. Lucide, King décrit une Amérique où, explique-t-il, un escroc peut se faire élire président et où par conséquent tout est possible. Malgré ses plus de sept cents pages en édition de poche, ce « Billy Summers » se lit rapidement et se savoure pour ses personnages principaux qui ont tous un côté lumineux, humain, solaire, mais aussi un côté noir et violent. « Billy Summers » est le portrait d’une Amérique capable du meilleur comme du pire, habitée par la bonté et hantée par le mal.

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Titre : Billy Summers (Billy Summers, 2021)
Auteur : Stephen King
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Jean Esch
Couverture : Studio LGF / Kristina Bilou / Shutterstock
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Albin Michel, 2022)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 37490
Pages : 722
Format (en cm) : 11 x 17,8
Dépôt légal : février 2024
ISBN :9782253247432
Prix : 10,90 €



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Hilaire Alrune
27 mars 2024


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