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Constance du prédateur (La)
Maxime Chattam
Pocket, collection thriller, n° 17998, thriller horrifique, 525 pages, février 2023, 9,50€


« On ne retrouverait jamais les yeux de la victime, parce que le tueur les avait mangés. »

Pour Ludivine Vancker, déjà héroïne de plusieurs romans de Maxime Chattam, les choses sont en train de changer : la voici qui après ses succès prend un poste de « profileuse » au Département des Sciences du Comportement (DSC). De changer mais surtout de s’emballer : tout se précipite en effet lorsqu’un photographe amateur de lieux abandonnés découvre, dans une mine reculée de la région alsacienne, perdue entre rivière et forêt, un véritable gisement de cadavres. Dans ce lieu étrange, où les fidèles de l’auteur retrouveront l’atmosphère du wagon abandonné dans les bois neigeux et empli de corps décrit au chapitre trente-cinq d’« In tenebris », se succéderont des découvertes plus étranges encore. Pour le Ministère, même si les corps datent des années 80-90, l’affaire devient rapidement une priorité, et des moyens rien moins que colossaux sont mis en œuvre. Une priorité nationale que Maxime Chattam essaye de justifier sans jamais convaincre le lecteur, mais peu importe : ses politiciens semblent avoir eu du flair puisque l’on retrouve sur les corps de deux femmes récemment assassinées le même ADN que sur ces cadavres anciens : le tueur sévit donc encore. L’affaire se complique lorsque l’investigation conduit Vancker et son équipe à un autre puits de mine, dans les Ardennes, où les attendent d’autres surprises – des découvertes tout autant macabres.

« Je trouve inquiétant que vous sachiez tant de choses qui sont dans sa tête avant même qu’il ne se soit confié. »

Si la méthodologie des investigations suit les principes de la police scientifique et se déploie dans toutes les directions du factuel et du vérifiable, Ludivine Vancker, tout comme dans « L’Appel du néant », paraît progresser grâce à une science innée de la psyché humaine. Une science hélas à tel point caricaturale que bien des lecteurs y verront un don surnaturel, comme sorti de nulle part, et venant rompre la nécessaire suspension d’incrédulité. On pourra considérer que l’on n’est pas ici dans l’explication sherlock-holmesque ni dans les hypothèses à la Benton Wesley de Patricia Cornwell (dont les romans sont à l’évidence une source d’inspiration pour Chattam depuis ses débuts), mais dans une sorte de cartomancie miraculeuse qui fait mouche à chaque coup.

Côté défauts, cette « Constance du prédateur  » se fait d’emblée remarquer par l’entame la plus pitoyable de toute l’histoire du thriller et plus globalement de l’histoire des premières phrases, une affirmation faussement choquante dont le lecteur comprend, avant même d’avoir lu la suite, ce à quoi elle se rapporte réellement, et qui constitue une facilité à peine digne d’un fanzine de collégien. On a droit à l’inévitable couplet sur le mal que l’on a déjà lu bien des fois, que ce soit chez Chattam même ou chez ses consorts, tout comme à la scène, également vue mille fois, où l’héroïne s’aventure seule dans l’antre du tueur. Pour ce qui est de l’écriture, l’auteur demeure fidèle à ses habitudes en pratiquant un français approximatif “un rictus lucide se prononça sur son visage” ; “ses exploits lui avaient ouvert quelques indiscrétions” ; “Ludivine ouvrit la fenêtre pour permettre l’entrée d’air frais dans l’habitacle ce qui lui fit du bien, lui nettoya les idées” (cette idée d’idées plus propres, sans taches, plus blanches, est assurément une idée elle-même nettoyée), use de comparaisons audacieuses (des coussins de canapé “semblables à des obèses brunis par trop de soleil”, des casseroles “pétrifiées par la nourriture”), fait preuve de conceptions techniques étranges “les ailes s’agitèrent et l’appareil s’arracha du sol” (non M. Chattam, les avions ne décollent pas en battant des ailes comme des oiseaux), décrit des comportements invraisemblables “Ludivine étouffa un rire ironique et sauta par-dessus l’épaule du jeune homme pour visionner le nom de la clinique” (elle aurait pu se contenter de regarder par-dessus son épaule, mais pourquoi faire aussi simple ? ). C’est donc du Chattam pur jus : vite écrit, pas relu, ni par l’auteur, ni par son éditeur Albin Michel dont le mépris pour le lectorat est ici flagrant. Pour ce qui est de l’intrigue, nous laisserons le lecteur juger, mais il n’y a pas besoin de prendre beaucoup de recul pour considérer – nous ne voulons pas trop en révéler ici – qu’un regroupement de criminels capables d’anticiper les progrès scientifiques de la criminalistique à l’échelle des générations et de programmer une technique de dissimulation et d’alibis extraordinairement complexe à la même échelle n’a pas grande vraisemblance. Croire que tout a pu se dérouler exactement comme prévu exige du lecteur une suspension d’incrédulité considérable.

« Le faisceau de sa lampe capturait quantité de particules en suspension avant de se poser sur les os bistre. Elle découpait des lames d’or dans la substance même de la terreur. »

Des défauts, donc, et non des moindres, et pourtant Maxime Chattam parvient au long des cinq cents pages du roman à assurer l’essentiel : faire en sorte que le lecteur ait envie d’en savoir plus. Des crimes anciens et des disparitions récentes, une inquiétante impossibilité scientifique, les difficultés d’éclaircir les évènements auxquels ont été confrontées les générations précédentes, une course contre la montre pour sauver d’autres victimes sont autant d’ingrédients qui composent un thriller efficace et prenant. Dans « Ceci est mon corps, ceci est mon péché », nouvelle à l’atmosphère évocatrice des récits de Stephen King publiée dans la cuvée 2016 des anthologies « Treize à table » (Pocket), Maxime Chattam avait déjà exploré, d’une manière différente, la piste d’un tueur à tel point insaisissable que les investigateurs finissaient par se demander s’il ne s’agissait pas d’un fantôme, ou si le tueur était réellement humain. Dans cette «  Constance du prédateur », où l’on croit à plusieurs reprises trouver le coupable pour être aussitôt détrompé, on a longtemps cette même impression d’osciller à la frontière d’un monde trouble et menaçant.
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Titre : La Constance du prédateur
Auteur : Maxime Chattam
Couverture : Fantasmagorik / Nicolas Obéry
Éditeur : Pocket (édition originale : Albin-Michel, 2022)
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 17998
Pages : 525
Format (en cm) : 11 x 17
Dépôt légal : février 2023
ISBN : 9782266311274
Prix : 9,50 €


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- « L’Alliance des Trois »
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Hilaire Alrune
17 mars 2024


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