Dans « L’Art à l’état gazeux, essai sur le triomphe de l’esthétique » (Stock, 2003), Yves Michaud affirmait que le combat contre l’art contemporain n’en vaut pas la peine, que “le champ de bataille est en fait une courette perdue au milieu d’une forêt d’immeubles.” La thèse défendue par Christine Sourgins est inverse : l’art contemporain ne cesse de progresser, comme un mème, comme un virus. Suivant une logique de contamination, il vient prendre place partout : dans les institutions, dans le sacré, dans la pédagogie, y compris celle des petites classes et des écoles d’art, dans les discours, mais aussi, physiquement, en tous lieux. Un bricolage hâtif, du verbiage logorrhéique sous-cortical : il est facile de se moquer de l’art contemporain, plus difficile de le prendre au sérieux. Mais le considérer comme négligeable, comme passager, nous explique Christine Sourgins, c’est participer à son expansion, et par là même à l’étouffement de toute forme d’art. Des voix s’élèvent et commencent depuis quelques années à s’exprimer. À la fois bilan raisonné et invitation à la dissidence, « Les mirages de l’Art contemporain » dessine un panorama complet du sujet.
« Merci à Rembrandt, Picasso, Schöffer, Uccello, Chapelain-Midy, Stella, Rubens, Churchill, Gilardi, John, Monet, Pollock, Jacquet, Schneider, Judd, etc. de nous montrer tout ce qu’on ne doit plus faire et qui n’aurait jamais dû être fait d’ailleurs. (Daniel Buren) »
Haine revendiquée du passé, démagogie culturelle, anti-humanisme viscéral, manipulation du spectateur, totalitarisme, terrorisme intellectuel, censure, impostures multiples allant jusqu’à la tentative de justification sociale de l’Art contemporain, Christine Sourgins détaille, dénonce, démontre et démonte argumentaires et stratégies par lesquels l’art contemporain s’impose, se dissémine, envahit, perdure, prolifère. Dans la mesure où le discours enrobant l’art contemporain dit tout et n’importe quoi (ou plus exactement n’importe quoi sur tout, c’est-à-dire surtout n’importe quoi), rien ne serait plus facile que de multiplier à son encontre les charges thématiques. Christine Sourgins ne se limite pas, à l’appui de ses thèses, aux citations des acteurs de l’Art contemporain, mais les complète fort justement par des éléments factuels. Le tableau obtenu est effrayant, sans doute parce que l’auteur s’attache aux victoires de l’Art contemporain, donnant l’impression d’un rouleau compresseur auquel rien ne saurait résister. Par exemple, dans la partie consacrée à la sacralisation de l’art contemporain, nous voyons quelques représentants de l’Église se soumettre à ses leitmotiv et adopter servilement son discours, avec pour résultat des « expositions » qui font froid dans le dos.
Il est possible – nous ne sommes pas assez savants pour l’affirmer – que cette partie émergée de l’iceberg masque des échecs, des tentatives inabouties au niveau de diverses institutions, que la dénonciation de la vacuité d’un courant, d’un discours, ne soit pas demeurée systématiquement impuissante. L’auteur se fait d’ailleurs plus d’une fois l’écho des penseurs, des intellectuels et des esthètes qui ont ferraillé contre l’Art contemporain, mais elle s’attache aussi à expliquer comment la voix des résistants au rouleau compresseur totalitariste de l’art contemporain, décriée, vilipendée, censurée, a été globalement peu efficace.
Peu efficace, c’est évident lorsque l’on voit exposés des débris, des excréments, la langue d’un punk mort, un veau coupé en deux dans le sens de la longueur et plongé dans un bac de formol. “Les décharges débordent (…) Quand on ne peut plus les contenir, elles se déversent dans les musées et l’on en dispose quelques-unes dans les salles, sous la direction d’un artiste, pour les baptiser œuvres d’art”, écrivait Jean Clair il y a quelques années. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment a-t-on pu remplacer systématiquement le savoir-faire par le faire savoir ? En multipliant les exemples sur plusieurs décennies, en décrivant avec précision les étapes successivement franchies par l’Art contemporain, Christine Sourgins écrit aussi l’histoire de cet Art contemporain qui n’est guère que le cercle du zéro se refermant sur lui-même sans rien enserrer d’autre que le néant, l’histoire de ces zélotes de l’insensé qui ont participé, par intérêt, par peur, par convention, par servilité, par grégarisme, à l’essor d’un discours clos et fermé au monde – comme le marxisme ou la psychanalyse dont Popper écrivaient qu’ils étaient, par la structure même de leur théorie, irréfutables – un discours obtus, laminant et détruisant toute opposition comme un totalitarisme politique ou un intégrisme religieux. Une histoire qui multiplie les constats, les exemples marquants, les extraits de discours, et au final un fort volume complété par près de vingt-cinq pages de notes et de références.
« Ceux qui sont séduits par la « fantastique énergie » que véhiculerait l’Art dit contemporain voient rarement que sa vitalité est celle du cadavre de l’art, en décomposition avancée. Bernanos évoquait l’erreur du ver qui prend une liquidation pour de l’histoire : nous en sommes là. »
La dernière partie, « Brève histoire de l’art financier », qualifiée d’épilogue, mais qui ressemble plutôt à une épitaphe – celui de l’art tout court – apporte un éclairage supplémentaire au tableau et vient utilement compléter l’ensemble en expliquant comment la finance, en étayant un système de non-art et de néant intellectuel qui ne devrait en toute logique pas pouvoir perdurer, vient parachever le désastre et assurer la longévité de l’Art contemporain. Dans « L’Hiver de la culture » (Flammarion, 2011), Jean Clair expliquait déjà, à travers un chapitre intitulé « La Crise des valeurs », les réseaux verrouillés du circuit de l’Art contemporain et la collusion contre nature entre les grandes fortunes et les institutions de l’Etat. C’est cet aspect que Christine Sourgins reprend et développe sur une quarantaine de pages très denses, montrant en particulier comment des institutions prestigieuses telles que le Louvre peuvent être dévoyées, transformées en outils promotionnels et servir de caution artistique et de tremplin financier à des « artistes » imposés. Cette « Brève histoire de l’art financier », qui ne figurait pas dans l’édition précédente, montre comment des sociétés finissent par perdre un à un leurs repères, et donne au lecteur les dernières réponses qu’il pouvait attendre sur le grand mystère de la pérennisation de l’Art contemporain.
Titre : Les mirages de l’art contemporain suivi de Brève histoire de l’art financier
Auteur : Christine Sourgins
Éditeur : La Table Ronde
Site Internet : page ouvrage
Pages : 317
Format : 14 x 21 cm
Dépôt légal : mai 2018
Numéro ISBN : 9782710388296
Prix public : 21 €
À lire sur la Yozone :
Éditions La Table Ronde
« Le Club des longues moustaches » de Michel Bulteau
« Je connais des îles lointaines » de Louis Brauquier
« Daimler s’en va » de Fédéric Berthet
« Quinzinzinzili » de Régis Messac
« Un peu tard pour la saison » de Jérôme Leroy
« La Nuit des chats bottés » de Frédéric Fajardie
« Journal de Gand aux Aléoutiennes » de Jean Rolin