Avec ce cinquième opus (après « Le Volcryn », « Dragon des glaces », « Au fil du temps », « Skin Trade »), le néophyte goûtera tout le talent de l’auteur avec des textes qui touchent tous les genres de l’imaginaire.
L’éponyme “Fleur de verre”, récit dark-SF, nous emmène sur une planète lointaine où, dans une forteresse d’obsidienne, on s’affronte dans des combats d’esprits. La récompense : posséder un corps de son choix, neuf, jeune... et une certaine immortalité. Et vient un jour un androïde au cerveau cristallin. Lui cherche au contraire la vie, et la mortalité qui l’accompagne. Une nouveauté pour la cruelle maîtresse des lieux.
Riche d’un bestiaire monstrueux et de décors d’une noirceur démesurée, une nouvelle dont on pressentira la chute, mais au style impeccablement maitrisé.
“Une Nuit au Chalet du Lac” n’est pas en reste question bestiaire, mais nous sommes là dans une dark-fantasy entre Howard et Vance, le modèle de George Martin. La nouvelle est teintée d’un humour cruel qui rappellera « Cugel l’Astucieux » : dans un monde mourant, obscur, où la magie s’éteint, au milieu d’une forêt mal fréquentée, des voyageurs qui ne sont pas forcément ce qu’ils prétendent se réfugient au Chalet du Lac, une gargote répugnante. Il y a là un sorcier, un magouilleur au faciès de crapaud, une jeune et intrépide tueuse de sorciers, un pseudo-prince... Ajoutez-y la faune interlope des lieux et la nuit ne finira pas comme prévu. Délicieusement amoral.
“Cette bonne vieille Mélodie”, pure ghost-story, confronte un avocat son passé. Après la fac, certains réussissent, d’autres non. Mélodie est devenue le boulet du groupe, quémandant sans cesse l’aide des autres au nom d’une promesse d’alors. Déterminé à la mettre dehors fissa, craignant un énième chantage au suicide, il va tomber sur bien pire...
« Le Régime du singe » mêle fantastique et horreur, avec cette dose d’humour noir qu’on commence à connaître et apprécier. Un bon vivant, amateur des bonnes choses jusqu’à atteindre un formidable embonpoint, rencontre dans un gril, à la soirée travers de porc à volonté, un « ancien gros » désormais d’une maigreur presque squelettique. Malgré ses mises en garde, l’obèse veut tenter le « Régime du singe ». Dans un quartier mal famé, et une boutique crasseuse, il se retrouve avec un singe accroché sur le dos. Dès son premier repas, il comprend : le signe lui vole la moindre parcelle de nourriture, ne le laissant rien avaler, grossissant tandis qu’il maigrit, maigrit... Cela finit bien ! Comme c’est horrible en même temps, je ne vous dis pas comment.
Retour à une suspense horrifiant plus réaliste avec “Les Hommes aux aiguilles”. Dans les années 70, un pigiste s’inquiète suite à la soi-disant fugue d’un jeune Noir dans son voisinage. Une vieille femme, Mémé Gombo, venue de la Nouvelle-Orléans, lui parle des Hommes aux Aiguilles, des tueurs qui empoisonnaient les laissés-pour-compte et emportaient leur corps, pour les revendre aux facultés de médecine. Racontars, folklore cajun ? Il se met à douter, car il a vu rôder un type étrange, avec une seringue... Mais comme le lui dit sa charmante voisine qu’il tente de séduire, la médecine n’a plus besoin d’acheter des corps. Il envisage alors un trafic bien plus juteux : les organes. Et quand Mémé Gombo disparaît, il sait qu’il a raison. Et qu’ils sont sur sa piste... Excellente nouvelle d’ambiance, tant pour la vision des quartiers populaires des années 70 que son suspense latent. Et que dire de la chute, encore une fois d’une cruauté mêlée d’humour noir.
Le noir, décidément une couleur qui lui va comme un gant. “Y a que les gosses qui ont peur du noir” la première nouvelle de l’auteur (à 19 ans), transpire le pulp. Un seigneur des ténèbres qui se languit de notre monde et de sa conquête, deux maladroits humains qui rouvrent la porte entre les univers, et le Docteur Weird, entité spectrale qui veille sur la Terre... Un combat titanesque, résolu par un tour de passe-passe ! On trouve dans ce premier texte, certes les excès formels des pulps, mais déjà la puissance linguistique de l’auteur, sa capacité à invoquer de violents tableaux de ténèbres.
Le recueil se clôt magnifiquement sur “On ferme !”, avec une affaire qui tourne mal, autour d’une amulette qui change en animal durant la pleine lune. Le tout se règle dans un pub, entre le vendeur qui prétendait qu’elle changeait en faucon, le client foulé qui a passé une nuit d’enfer changé en lapin, un patron de bar ouvert d’esprit qui tente de comprendre, et un poivron malmené par son épouse, qui y voit là l’occasion d’avoir la paix une fois par mois. Mais les lois de la magie sont surprenantes. Brève, hilarante tant par sa chute que la façon très pragmatique des protagonistes d’aborder la magie, une cerise sur le gâteau.
Après avoir lu « L’Agonie de la lumière », le premier roman publié par l’auteur, cet été, je n’étais pas très motivé pour relire du George Martin. « La Fleur de verre » m’a définitivement fait changer d’avis. Tout est là : variété des genres, égale maîtrise, humour au premier (rarement) ou second degré (plus souvent), noirceur. Et le privilège de la forme courte, loin de vous embarquer pour des mois de lecture, mais offre un plaisir immédiat.
Ne manquez pas l’interview de l’auteur en fin d’ouvrage, réalisée lors de sa venue en France cet été. Si elle ne révèle aucun grand secret, elle nous rapproche de l’homme que certains mythifient presque.
Titre : La Fleur de Verre
Nouvelles :
Fleur de verre
Une Nuit au Chalet du Lac
Cette bonne vieille Mélodie
Le Régime du singe
Les Hommes aux aiguilles
Y a que les gosses qui ont peur du noir
On ferme !
Auteur : George R. R. Martin
Traduction de l’anglais (USA) : Éric Holstein (pour les inédites), Pierre-Paul Durastanti, Jacques Schmitt
Couverture : Henrik Sahlstrom
Éditeur : ActuSF
Collection : Perles d’épice
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 320
Format (en cm) :
Dépôt légal : septembre 2014
ISBN : 9782917689691
Prix : 19 € ou 9,99€ en numérique sans DRM