Donjons & Dragons : L’Honneur des Voleurs

12 avril 2023

Donjons & Dragons : L’Honneur des Voleurs

Film américain de Jonathan Goldstein & John Francis Daley

vendredi 14 avril 2023, par (Date de rédaction antérieure : 12 avril 2023).

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Genre : Fantasy rôliste
Durée : 2h14

Avec Chris Pine : Edgin, Michelle Rodriguez : Holga, Regé-Jean Page : Xenk, Justice Smith : Simon, Sophia Lillis : Doric, Hugh Grant : Forge Fletcher, Cloe Coleman : Kira, Daisy Head : Sofina...)

Le barde Edgin a perdu sa femme à cause de son engagement auprès des Ménestrels. Sombrant dans l’alcoolisme, il monte une bande de voleurs pour subvenir aux besoins de sa fille Kira. Quand Forge lui propose un casse dans un fort Ménestrel, avec à la clé une tablette de résurrection, Edgin tente le tout pour le tout. Le vol foire, l’envoyant en prison avec Holga la barbare, après avoir fait promettre à Forge de veiller sur sa fille. Lorsqu’ils s’évadent deux ans plus tard, c’est pour découvrir Forge gouverneur de Padhiver, grâce à la magicienne à l’origine du casse. Et leur ancien complice a monté Kira contre son père en travestissant la vérité. Déterminé à récupérer sa fille et botter les fesses de Forge, Edgin envisage de vider la chambre forte de la ville, où s’entasse la fortune des riches invités aux Jeux du cirque prévus sous peu. Sauf que la porte est protégée par un sceau qui nécessite, selon Simon le mage, un artefact très puissant pour le désactiver. Un artefact légendaire et forcément... perdu. Le groupe se lance à sa recherche et doit faire appel à Xenk, un paladin renégat de Thay, Ménestrel, qui va les aider et tenter de rallumer la flamme d’Edgin... Tout prend une autre allure lorsque les Mages Rouges de Thay, ennemis du monde libre, s’avèrent de la partie.

20 ans après l’assez calamiteuse trilogie de Courtney Solomon (c’est à voir si vous avez +20 en résistance au kitsh), « L’honneur des voleurs » pourrait bien être le film live qui donne ses lettres de noblesse à Donjons & Dragons. Les fans des romans retrouveront les Royaumes oubliés quelques années après les grandes sagas parues en leur temps chez Fleuve Noir, puis Milady, et exploités dans les jeux vidéo signés Bioware et Obsidian : « Baldur’s Gate » et « Neverwinter Nights ». Et donc ça tombe bien, cela se passe à Padhiver, la perle de la Côte des Épées. Que les néophytes se rassurent : à part quelques noms qui font frétiller les oreilles des initiés, le film est assez familial et accessible à tous, faisant au contraire une assez bonne porte d’entrée dans l’univers.

La trame est assez classique : sur fond de revanche envers un traître, le héros va trouver la paix et la rédemption, et l’équipe va sauver le monde au passage. Le scénario emprunte aussi beaucoup au film de casse (ce sont des voleurs, après tout), avec les rebondissements habituels : coup raté, désir de revanche, recrutement d’une équipe, repérage, coup préparatoire pour obtenir du matériel avant de grand show qui, bien sûr, ne se passera pas comme prévu. Mais c’est fait avec métier et, on le sent, une passion suffisamment tenue par la bride pour ne pas s’adresser qu’aux seuls fans. Mais pointe derrière une âme de Meneurs de jeu chevronnés, un poil sadiques, à l’affût du moindre échec critique sur un jet de dé malheureux. car davantage qu’un film de fantasy, « L’Honneur des Voleurs » est un film de rôlisme. Ce qui signifie certains passages obligés, dont les scénaristes jouent avec maestria et délice, et une maltraitance volontaire de certains archétypes romanesques, parfois à la limite de l’auto-parodie.

Les personnages féminins, Holga, Doric et la méchante Sofina, assurent le sérieux de l’aventure. Mais elles ne sont pas sans aspérités ! Michelle Rodriguez incarne une barbare taiseuse, renfrognée, qui distribue tartes gnons et coups de hache à foison. Mais elle a aussi un passé tragique : bannie de son clan pour avoir suivi l’homme... différent qu’elle aimait, elle est doublement seule depuis leur séparation. Elle a retrouvé goût à la vie en devenant la mère de substitution de Kira. Doric, jeune druidesse tieffelin (demi-démonne), qui peut se changer en plein d’animaux, dont l’ours-hibou (très bien fait) qu’on a découvert dans la bande-annonce, porte le discours écolo, mais surtout raille les humains en général et ses compagnons en particulier : Edgin en prend souvent pour son grade. c’est une alliée de circonstance, qui veut aussi voir Forge tomber. Enfin, après son rôle dans « Shadow & Bone », Daisy Head campe une Sofina terrifiante, dont le maquillage accentue les traits saillants et le regard hypnotique.
Si les femmes ont leur quota de piques, le monopole des vannes et des répliques humoristique revient néanmoins aux personnages masculins. Mais sans les cantonner non plus aux rôles de clowns : Edgin (Chris Pine) est râleur, fripon, menteur, roublard, mais il a ses failles, et il suscite l’émotion lorsqu’il se met à nu devant ses camarades. Idem pour le jeune Simon, mage maladroit et timide, descendant du grand Elminster (une héritage lourd à porter) et donc la prise de confiance en lui est l’un des enjeux du film, faisant gagner en maturité celui ressemble à un grand ado pataud. Forge, le traître joué par Hugh Grant, permet à l’acteur de cabotiner comme à son habitude depuis qu’il n’a plus les rôles de jeune premier. Il excelle en lâche, veule et prêt à vendre père et mère, mais là aussi quelques scènes laisse percevoir un personnage plus épais et pas juste détestable.
Enfin, mention spéciale à Rejé-Jean Page, le bellâtre de « Bridgerton », qui joue Xenk, le paladin inébranlable, un vrai PNJ loyal neutre, pince-sans-rire, qui marche du tonnerre associé à un Chris Pine sans cesse en mouvement. Son côté coincé sera balayé par un duel à la chorégraphie impeccable, rivalisant avec la bataille finale, et qui à lui seul vaut le détour.

Le film, longtemps repoussé, a été tourné au printemps 2021 et devait sortir à l’été. Il a fait les frais de la concurrence d’autres sorties du distributeur, puis du COVID. Financé à 150 M$, il est visuellement très convaincant, même si je n’ai pu m’empêcher de tiquer sur certains petits détails. Pour ma part, les rues de Padhiver sont désespérément désertes, ou comme souvent les commerçants ambulants ont l’air de loqueteux sur-déguisés. Les décors naturels sont peu exploités, à l’exception des vues aériennes très larges, et certains décors en studio sont parfois sur-décorés (la taverne dans la forêt) d’autant qu’ils servent une seule fois. Des personnages non-humains en animatronics font un peu toc (la femme-chat et son enfant) et l’incrustation en post-prod du caméo de Bradley Cooper en kender (une sorte de hobbit) fait un peu grincer des dents et saigner des yeux, et ce n’est pas la faute des magiciens rouges. La hache d’Holga semble souvent en mousse, accessoire acheté sur une (bonne) boutique de GN. Mais ce sont là des broutilles qui échapperont à la plupart, noyées dans l’océan de très bonnes choses, comme les morphings de Doric, les costumes des personnages principaux et une grande partie des SFX. C’est vraiment pour chipoter.

Cela peut aussi sembler un parti-pris à contre-courant de l’ultra-réalisme devenu la norme depuis « Le Seigneur des Anneaux » de Jackson (20 ans aussi), les « Game of Thrones » d’HBO ou même « The Witcher » : ici, point de confusion, on est dans la pure fantasy, et de la fantasy qui ne se prend qu’à moitié au sérieux, comme le crie le film pendant 2h15, n’hésitant pas à malmener les clichés du genre (le dragon « potelé »), à multiplier les clins d’œil à d’autres médias (le bâton ici-là-bas qui fonctionne comme le jeu vidéo « Portal ») mais surtout à saluer la richesse d’un univers qui doit aussi beaucoup aux joueurs : les héros sont très très humains, et se chamaillent, au lieu d’être pénétrés de l’importance vitale de leur quête comme peuvent l’être des personnages de fiction. Et c’est cela qui donne de la vie, de la vraie, à l’aventure, avec du sang, des rires et des larmes.

Bref, « l’Honneur des voleurs » n’est pas le chef-d’œuvre impossible qui aurait enflammé de bonheur les fans (et où est Drizzt ?), mais c’est un très bon film, familial, accessible, et qui sera très plaisant à revoir, qui donne, enfin, ses lettres de noblesse à Donjons & Dragons sur grand écran, parce qu’il se prend au sérieux juste ce qu’il faut.
Certaines répliques peuvent devenir cultes (« Juste au moment où tu devenais bon ! » ou le « tu fais des plans qui foirent ? » de Doric à Edgin), et certains personnages le sont déjà : Xenk vole la vedette haut la main. On rit beaucoup, comme durant une partie mémorable, mais l’émotion est aussi là, tout comme la dose d’action qui en met plein les yeux.
Bref, il y a longtemps que je n’étais pas sorti d’un blockbuster avec la sensation d’en avoir largement eu pour mon argent. Et cela, ça fait plaisir, tout comme l’annonce d’une série dérivée qui, on l’espère, conservera le même esprit et poussera une nouvelle génération vers le jeu de rôle.


Fiche technique
- Titre original : Dungeons & Dragons : Honor Among Thieves
- Réalisation : Jonathan Goldstein & John Francis Daley
- Scénario : Jonathan Goldstein & John Francis Daley & Michael Gilio
- Musique : Lorne Balfe
- site web : https://www.dungeonsanddragons.movie/
- Production : Paramount / eOne / Hasbro / Allsparks


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- Donjons & Dragons, la puissance suprême


© Paramount Pictures France



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