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Drôle de temps
Joe Hill
Le Livre de Poche, n°37943, traduit de l’anglais (États-unis), fantastique, 664 pages, février 2024, 10,90€

Joe Hill n’est autre que le fils de Stephen King. Comme lui, il écrit des récits s’inscrivant dans le fantastique, la science-fiction tendance horrifique ou le genre thriller / policier. Avec cet épais volume comprenant quatre longues novellas – pour les amateurs de King, difficile de ne pas songer à « Différentes saisons » – il continue à marcher sur les traces de son père, et à nourrir un imaginaire basé sur la réalité quotidienne de l’Amérique.



Avec “Instantané”, on est d’emblée dans du Stephen King pur jus, à tel point que d’un bout à l’autre des cent trente pages de la novella on croirait lire la prose du maître de Bangor. La famille, les voisins, les mille et un détails de la vie quotidienne, l’appareil photographique maudit (qui vole votre mémoire, astucieusement mis en relation avec les troubles de mémoire dus à l’âge), le personnage malfaisant, l’enfant qui découvre à la fois, autour de lui, les ravages de la maladie et l’existences de forces obscures – et qui, comme dans « Ça » et d’autres œuvres de King, luttera contre elles – font une nouvelle riche (le lecteur intéressé par les mathématiques y apprendra ce qu’est un nombre reimerp, notion qui, étrange coïncidence, apparaît page trente-sept, qui est un nombre reimerp), prenante, efficace, construite avec soin et avec un grand sens du détail.

Pas d’éléments fantastiques dans “Chargé” (ici encore, le lecteur songera au recueil de King, « Différentes saisons », où le fantastique n’était pas majoritaire) mais bel et bien l’horreur quotidienne de l’Amérique des armes à feu. Il n’y a pas vraiment besoin de s’intéresser aux faits divers (voir ici ou encore ) pour savoir ce qu’il en est – encore ne s’agit-il pour ces deux exemples que de simples négligences et non pas d’actes volontaires façon massacres de masse dans les écoles, qui sont devenus à tel point routiniers que Maxime Chattam a eu l’idée de leur consacrer une novella intitulée « Carnages » (Pocket 2006, réédition 2009). “J’ai voulu”, explique Joe Hill dans sa postface, “essayer de comprendre pourquoi les États-Unis vouaient un tel culte au dieu Flingue.” Le lecteur n’aura pas la réponse, et sans doute Hill ne l’a-t-il pas trouvée, se heurtant à un incompréhensible constat et se contentant de détailler le mécanisme diabolique par lequel s’impose l’inéluctable : quand on a une arme, on s’en sert. Hill s’intéresse ici autant à d’anciens vétérans d’Irak (au sujet desquels on rappellera la mort ô combien emblématique du sniper Chris Kyle, et la véritable démence clinique conduisant des militaires américains à envisager de soigner des patients atteints de syndromes post-traumatiques en leur mettant des armes à feu entre les mains) qu’à monsieur et madame tout-le-monde, détenteurs de la plupart des armes en circulation dans le pays. Le récit est en tout cas édifiant, et le lecteur attentif y discernera d’emblée la ligne de dialogue par laquelle tout bascule, qui permet d’anticiper l’essentiel de la seconde partie. Un récit qui trouve un tel écho dans les faits divers que l’on pourrait penser qu’en la matière il n’est pas vraiment besoin de littérature.

Retour à l’imaginaire avec “Là-haut”, où un jeune homme effectuant un premier saut en parachute se trouve confronté à l’impensable. Le voilà isolé, échoué en altitude sur un nuage semi-solide et dans l’incapacité totale de regagner la terre ferme. Un nuage qui à sa manière pourrait bien être vivant, gouverné par une entité mi-organique mi-machinique, entre singularité extra-terrestre et horreur lovecraftienne, capable à la fois d’exaucer les désirs du naufragé des airs et de le conduire à la mort. Ici encore, on retrouve une des caractéristiques fondamentales de l’écriture de Stephen King que Joe Hill semble avoir parfaitement assimilée : avec l’accumulation dès le départ de détails du réel, avec le soin apporté aux personnages même secondaires, il est possible de faire accepter toute situation, aussi improbable soit elle, et de lui donner un tel aspect de vraisemblance qu’il n’y pas de suspension d’incrédulité. Il en sera peut-être pour penser que l’auteur en fait peut-être un peu trop en la matière, mais le savoir-faire est évident, le récit est prenant, magique et terrifiant à la fois.

On pourrait faire le même constat pour la dernière novella du volume, “Pluie”, où l’auteur confronte ses personnages à une série de déluges non pas liquides mais métalliques, véritable apocalypse cristalline qui, en s’abattant ici et là, transforme des quartiers entiers en véritables champs de bataille. Même art de la narration avec une progression au départ lente et soigneuse et un fort ancrage dans le réel, même soin apporté aux personnages pour leur donner une vie pleine et entière. Hélas, si une fois encore l’auteur parvient à faire accepter l’incroyable, le récit, dans sa seconde partie, s’oriente vers une précipitation de péripéties qui vont bien au-delà de l’invraisemblable, donnant au final une impression de grand n’importe quoi, de bâclage et de maladresse. Dans sa postface, l’auteur précise avoir voulu parodier un de ses propres romans intitulé « L’Homme feu ». Mais faire référence à ses propres œuvres, ce qui est là aussi marcher sur les traces de son père (nous l’avions noté ici) apparaît rarement comme une bonne idée, et contribue ici plutôt à saborder la narration qu’autre chose, ce qui est d’autant plus regrettable que le récit parvenait tout d’abord à convaincre.

Au final, malgré une réserve sur le dernier des quatre textes, ce recueil reste de bon niveau. Les amateurs de Stephen King devraient apprécier ces récits prenants qui permettent d’emporter le lecteur sur près de sept cents pages. Entre merveilles et épouvantes, quatre aventures pour s’échapper du réel – ou pour y retourner.


Titre : Drôle de temps (Strange Weather, 2017)
Auteur : Joe Hill
Traduction de l’anglais (États-unis) : Nicolas Thiberville
Couverture : Vikks / Shutterstock
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Jean-Claude Lattès, 2024)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 37493
Pages : 664
Format (en cm) :11 x 17,9
Dépôt légal : février 2024
ISBN : 9782253937050
Prix : 10,90 €


Joe Hill sur la Yozone :

- « Fantômes, histoires troubles »



Hilaire Alrune
15 avril 2024


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