Que l’on ne s’attende pas ici à l’odyssée de graines transportées d’un continent à l’autre par des oiseaux migrateurs, des bois flottants ou des animaux étendant progressivement leur aire de répartition, ou même de plantes colonisant spontanément de nouveaux territoires : les voyages effectués par ces plantes voyageuses sont avant tout humains. Il sera question de botanistes, d’explorateurs, d’espions, d’aventuriers, ceux que Katia Astafieff (dont nous avions précédemment chroniqué « Les plantes font leur cinéma ») désigne comme des “nomades du savoir, des chercheurs d’or vert”.
C’est à travers onze chapitres et onze végétaux remarquables que Katia Astafieff aborde ces aventures botaniques et humaines : “L’aventure d’une plante volée aux Chinois par un espion britannique”, “Le fruit dodu rapporté du Chili par un corsaire qui allait aux fraises”, “L’aventure rock’nroll d’une pivoine venue de Chine”, “Grandeur et décadence d’une plante canadienne”, “Success story d’un arbre d’Amazonie”, “L’aventure fumeuse d’une herbe pas très catholique découverte au Brésil par un religieux curieux”, “Le fabuleux destin d’un petit fruit tout vert qu’un Jésuite découvrit en Chine”, “Enquête sur une plante qui venait du froid”, “Récit de la trouvaille de la fleur la plus grosse et la plus malodorante du monde”, “Il était une fois dans l’Ouest l’arbre le plus haut du monde” et “L’histoire de l’arbre africain rondouillard décrit par un botaniste de génie”.
Ces plantes mais aussi bien d’autres, et nombre de personnages hauts en couleurs, enfants précoces, adultes surdoués, bourreaux de travail parcourant le monde et décrivant chacun un nombre invraisemblable d’espèces animales et végétales. Des individus hors du commun qui auront laissé leur trace à la fois dans la science et dans l’histoire. Citons par exemple Joseph Rock, aventurier-dandy qui explora la Chine avec une vaste caravane de mules, de yacks, de chevaux, emportant avec lui une bibliothèque de centaines d’ouvrages, des vins, un gramophone, des disques d’opéra, ou Sir Peter Smithers espion, hybrideur de fleurs et passionné de pivoines qui inspira à Ian Fleming le personnage de James Bond, ou François Fresneau de la Gataudière qui en Guyane inventa une machine à détruire les fourmis, ou encore Martin Fumée, qui fort opportunément apparaît dans la saga du tabac. Mais la liste est loin d’être exhaustive, et bien d’autres botanistes, scientifiques, explorateurs, jardiniers ou mécènes dont le simple nom, à juste titre, fait rêver : Antoine Tristant Danty d’Isnard, Jean Baptiste Fusée Aublet, Pierre Nicolas Le Chéron d’Incarville, Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, Charles François de Cisternay Du Fay, Joseph Pitton de Tournefort – des noms à rallonge pour des biographies qui ne le sont pas moins, des vies foisonnantes que cet ouvrage donne envie de pleinement découvrir.
Mine de rien, on en apprend donc beaucoup dans ce petit livre de deux-cents cinquante pages, qui nous instruit également de quelques noms de recettes, car botanique, zoologie et gastronomie ont toujours fait bon ménage, et parce que rien n’empêche d’avoir à la fois l’esprit scientifique et le palais raffiné : citons ainsi les testicules de dindon sur carpaccio de fraises, la rhubarbe pochée au whisky ou le foie gras poêlé à la rhubarbe. L’amateur de lexicographie glanera ici et là quelques mots qui lui permettront de briller en société, par exemple théofiltrophile ou passabullathéphile, assez faciles à placer autour d’une boisson chaude. Il pourra impressionner ses hôtes durant les entrées en leur apprenant que si cahutchu signifie « bois qui pleure », l’on peut également en fabriquer à partir de laitues… et que ce ne sont pas des salades ! Il pourra les distraire avec l’énigme du séquoia fantôme (le mystère des végétaux albinos avait déjà été abordé dans « Le monde caché » de Merlin Sheldrake) et leur proposer quelques devinettes comme trouver l’arbre nommé « le désespoir du singe » ou celui qui est capable de dépasser les cent mètres de hauteur. Mieux encore, s’il est suffisamment curieux pour avoir lui-même cherché à quoi correspond le panchymagogue, rencontré au chapitre huit, il pourra fort opportunément, durant l’après-repas, glisser ce mot précieux à ses interlocuteurs les moins joyeux et les plus constipés.
Passablement originale, la tonalité » de cette « Aventure extraordinaire des plantes voyageuses » est tout sauf austère, tout sauf soporifique. Dans sa préface, Francis Hallé parle du “premier ouvrage de botanique qui pratique la langue des magazines people, des concerts de rock, des jeux vidéo et de la téléréalité”. Le style est frais, presque verbal, avec moult références à la « pop culture » et jeux de mots parfois un peu faciles, mais peut-être est-ce le prix à payer pour élargir le public et ouvrir les yeux des plus jeunes aux merveilles de la botanique d’aujourd’hui et d’antan. Quoiqu’il en soit, richement illustrée par une indispensable carte géographique, par des reproductions de portraits et d’images naturalistes, rehaussée par des encarts didactiques, agrémentée d’un index nourri et, pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin, d’une bibliographie sélective par chapitres, cette « Aventure extraordinaire des plantes voyageuses » compose, à travers quelques exemples choisis, une belle introduction à la botanique et à sa foisonnante histoire.
Titre : L’Aventure extraordinaire des plantes voyageuses
Auteur : Katia Astafieff
Couverture : BHL collection
Éditeur : Dunod
Collection : Dunod Poche
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 10
Pages : 250
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : avril 2023
ISBN : 9782100848546
Prix : 9,90 €
Un peu de botanique sur la Yozone :
« Les plantes font leur cinéma » par Katia Astafieff
« Le monde caché » par Merlin Sheldrake
« À la recherche de l’arbre-mère » de Suzanne Simard
« Biomimétisme » par Jean-Philippe Camborde