« Les gens morts, ça devient du plastique. Et on s’en sert dans les magasins pour vendre les habits. Du moins, c’est ce que je crois. »
Un jour, Millie apprend que sa mère s’apprête à la confier à un foyer d’adoption. Alors, elle s’enfuit. Le vieux Karl – surnommé le dactylo, car il collectionne les tirets des claviers d’ordinateurs et tape ce qu’il dit sur divers supports, dont les couvercles des poubelles – lassé de sa maison de retraite, sans avenir, sans raison de vivre, se lance à sa poursuite, et finit par la rattraper. Tous les deux, ils continueront leur fuite ensemble, à travers les grands espaces, bientôt en compagnie d’un troisième larron, Agatha, une vieille dame fatiguée de la solitude dans laquelle elle s’est enfermée.
« Il n’était plus qu’un blanc, mais pas celui de la toile ou de la page, chargées d’espérance. Un blanc sans mystère, le trac et l’étonnement que le blanc parfois génère. Dans le domaine de la ponctuation, il aurait été un tiret – quelque chose de flottant, un entre-deux, pas absolument nécessaire. »
Ce sont donc trois individus désemparés que l’on retrouve sur les routes, dans une sorte de road-movie à la fois désespéré et burlesque, une fuite vers on ne sait quoi, une quête sans but, simplement la recherche d’autres horizons, l’envie des lointains, d’autres paysages, d’un autre monde. Une recherche de sens qui à travers une série d’épisodes et de rencontres permet à ces trois personnages, tous trois hantés, à des degrés divers, par la mort, de retrouver un brin de cet imprévu qui est le sel de la vie.
« Une voix éclate dans le haut-parleur. Vous allez tous mourir. Mais c’est pas grave. »
Il y a, dans « La Balade des pas perdus », dont on peut interpréter le titre français comme une errance sans but mais aussi comme l’histoire d’individus finissant par se retrouver, une certaine dose de cocasserie – Karl le dactylo ne se séparant jamais d’un mannequin qu’il traîne partout avec lui, Millie avec le manchon à bière paternel enfilé en permanence autour de son avant-bras – qui fonctionne, et s’accorde avec les déboires et états d’âme très humains des personnages. En stop et en bus jusqu’à Kalgoorlie, puis en train, à bord de l’Indian Pacific pour Melbourne, ils rencontreront d’autres énergumènes d’âges variés, parfois eux aussi hauts en couleur, qui leur donneront un coup de main ou, parfois, un peu de fil à retordre. On regrette, une fois parvenu à la fin, que ce roman qui fait souvent mouche ne recèle pas assez de péripéties, et que ce voyage ne soit pas tout à fait aussi nourri que l’on aurait pu le souhaiter.
« La date d’arrivée et la date de départ sont toujours les trucs les plus importants sur une pierre tombale, écrits en grosses lettres. Immanquablement, le tiret qui les sépare est si petit qu’on le voit à peine. En fait, il devrait être grand et briller d’un éclat extraordinaire, ou pas, selon la vie qu’on a vécue. »
Drôle, tendre, plein d’humour, souvent poignant, « La Balade des pas perdus » est un de ces petits livres que l’on a plaisir à lire, mais que ne sont pas assez denses, sans doute, pour marquer durablement. Reste une émotion souvent présente et le pari risqué – et réussi – de parler, encore et encore, avec un mélange de gravité et de légèreté qui plus d’une fois fait sourire de cette mort que nous préférons souvent exclure de nos pensées. Une jolie performance pour un premier ouvrage, en attendant d’autres livres de cette jeune romancière qui, manifestement, dispose déjà d’un bon savoir-faire et d’un esprit lui permettant d’aborder ses thèmes par des biais originaux.
Titre : La Balade des pas perdus (Lost and Found, 2014)
Auteur : Brooke Davis
Traduction de l’anglais (Australie) : Frédérique Daber et Gabrielle Merchez
Couverture : Christabella Designs
Éditeur : Fleuve
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 331
Format (en cm) : 13 x 20
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 9782265098961
Prix : 18,50 €
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