C’est par le projet “Marvel Knights”, initié par Joe Quesada, une opération visant à relancer des personnages classiques de la Maison des Idées, qu’est réapparu Daredevil .
En novembre 1998 exactement, aux États-Unis avec la saga “Sous l’aile du diable” (Marvel France 1999, collection 100% Marvel), quatre épisodes qui lancent la seconde vie du héros en collant rouge. “Chemin de Croix” sort en 1999, quatre autres épisodes du duo Quesada et Palmiotti, auquel s’est ajouté Kevin Smith.
Daredevil hisse à nouveau ses couleurs rouge feu et connaît un grand succès américain, suivie d’une belle approche en France qui réjouira au moins ses fans. Il faut attendre 2002 et la saga “Jaune” de Tim Sale et Jeph Loeb pour mettre un troisième volume à cette collection. Un super et copieux volume (6 épisodes US) qui revient sur les débuts de l’homme sans peur, alors qu’il portait encore son premier costume jaune et noir. Un remarquable boulot.
Et puis arrive Brian M. Bendis. Il a obtenu un Eisner Award pour “Torso” (dédié à la vie de l’Incorruptible Elliott Ness) et il se multiplie sur des maxi-séries comme Goldsfish, Fire ou Jinx chez Images Comics.
La fiction policière est son dada (Sam & Twitch... c’est là que je tombe sous le charme !), on s’en régale dans sa relance d’Elektra ou sur la série Alias (encore une série remarquable, dispo chez Panini Comics).
Quand Quesada lui propose de prendre en main la destinée de Daredevil, c’est avec Alex Maleev, avec qui il collabore sur « Sam & Twitch », qu’il se lance. Ceux qui connaissent la force et l’originalité de la série consacrée aux deux flics de l’univers Spawn sont d’avance convaincus et piaffent d’impatience (j’en étais !).
De décembre 2001 à mai 2002, sort « Underboss ».
C’est le début d’une guerre féroce dans le milieu new-yorkais.
_Un petit malin nommé Slike a décidé de tuer le Caïd pour s’emparer de son empire. Au beau milieu de l’empoignade plutôt musclée, Daredevil et son inséparable complice, Foggy Nelson, suivent la tornade qui s’abat sur leur plus fameux adversaire. Un tourbillon criminel sans précédent qui va avoir un effet de rebond incroyable pour notre diable en collant rouge.
Slike, le mafieux par qui l’incroyable est arrivé, possède un atout de force dans sa manche de tricheur patenté : il sait qui est Daredevil, et il va éventer ce secret pour s’assurer d’une protection policière quand sa vie vient à être menacée. Le tremblement de terre est terrible. L’effet Bendis est entré dans sa phase la plus spectaculaire.
Il est l’heure de sortir “Le scoop” (6 épisodes), phénoménale information surgie du ventre de la pègre et qui roule sur tous les médias de presse inféodés à la loi du plus grand nombre et du roi dollar.
Matt Murdock et Daredevil engagés dans le procès du siècle !
Suit logiquement “Le procès du siècle) (4 épisodes)...
Et se succèdent “Hardcore” (5 épiodes), “Le roi de Hell’s Kitchen “ (5 épisodes), “La veuve” (5 épisodes), “L’âge d’or” (5 épisodes), “Je suis ton dieu” (5 épisodes) et enfin “Le rapport Murdock” (6 épisodes). Nous sommes au bout de la piste, Bendis y a semé 51 épisodes américains, concrétisés en France par 10 volumes édités par Marvel France et Panini Comics.
Bendis a imposé son génie sur cette prodigieuse série qu’il a plus que rendue adulte, réaliste, sombre et inquiétante. Il signe la lente et implacable descente aux enfers de Daredevil en déstabilisant l’univers du super-héros qui s’écroule avec la révélation de son identité secrète. Matt Murdock le dit dans “Le scoop” : “Ma vie est finie”.
Une vie en tout cas que le scénariste inspiré s’ingénie à rendre compliquée par le retour d’ennemis historiques, d’amies controversées, d’amours passés au souvenir toujours sensible, par de nouveaux événements heureux (une rencontre qui aboutit au mariage), des décisions incroyables (Daredevil devient le nouveau caïd d’Hells Kitchen) et des constats douloureux (comment protéger ceux qu’on aime quand on est pris au piège ?).
Oui, Bendis en a fait voir des bien glauques à Daredevil, lui donnant la terrible fragilité de l’être humain.
Des cuisines de l’enfer, il l’expédie en prison, au beau milieu des pires malades qu’il a lui-même aidé à arrêter, dont le terrifiant Caïd, qui rumine sa vengeance. Sans conteste, il a écrit des pages remarquables de DD et il laisse une situation passionnante à explorer. Un passage de témoin qui se fait avec “Le diable dans le bloc D” et l’arrivée d’un nouveau duo sur la série. Ed Brubaker au scénario et Michael Lack au dessin (auquel il faut ajouter Stefano Gaudiano), déjà complices sur « Gotham Central » et « Captain America ».
Elu meilleur scénariste pour l’ensemble de son travail aux Harvey et Eisner Award, Brubaker est également un homme qui aime le polar (« Criminal » dernièrement avec 2 albums chez Delcourt), mais aussi “Scene of the Crime”... tiens, on retrouve Lark, « Sleeper », « Catwoman »...). Et il aime creuser l’âme humaine, engendrer les situations qui mettent les nerfs à vif et déclenchent les mécanismes qui mènent vers la violence, l’esprit de vengeance, le crime.
Inutile donc de penser que tout va vite s’arranger pour Daredevil . Non, il reste à croupir au fond d’une cellule, totalement impuissant devant ce qui broie sa vie, encaissant, depuis déjà 32 jours qu’il est à Rykers, ces perceptions de violence et de puanteur qui l’assaillent. Il sait que les fédéraux font traîner son dossier, espérant le voir laché parmi ses pires ennemis, que Froggy reste peut-être le dernier qui cherche encore à l’aider. Du moins qui peut le faire sortir de là par des voies légales.
Et vient ce jour où Froggy est assassiné... un coup monté, dans les murs même de la prison... que restera-t-il donc à Matt Mundock pour ne pas sombrer dans la violence dont il fait chaque jour l’expérience la plus cruelle ?
Ne pas montrer qu’il est Daredevil, se défendre pour protéger sa vie au milieu d’une bande de cinglés, résister aux infectes pressions du FBI, des politiques et des délires puants de la presse. Murdock est dans de sales draps... c’est plus que passionnant.
Côté graphisme, Larck est d’une efficacité redoutable dans la mise en scène, et c’est perceptible dès l’entrée en scène. On reste dans des atmosphères étouffantes, une dureté de ton implacable et une forte densité dans les expressions. Le passage de Maleev à Lark se fait avec facilité, même si le souci du détail échappe souvent au second (bras de Murdock, dernière case p. 25)... comme pas mal de détails de mains... c’est un style !) et si on peut reprocher un parti-pris vraiment sombre pour la mise en couleurs de Frank d’Armata (la recherche d’une forme de mise au tombeau clautrophobique liée au lieu d’évolution, cet univers carcéral totalement hors du monde et de sa lumière).
Petit détail au passage que je trouve toujours gênant avec cette manie de faire réaliser une couverture (réalisée par David Finch) qui soit si peu en rapport avec le rendu graphique du contenu... mais bon, c’est une des couvertures originales d’un des 6 épisodes qui forment cette saga de “The Devil in Cell-Block D”.
Brubaker, Lark et Gandiano rendent une excellente copie pour leur arrivée, reprenant le flambeau là où l’avait posé Bendis, sur le seuil de l’enfer des hommes.
14 tomes actuellement pour cette série parue dans la collection 100% Marvel, sous les signatures d’éditeurs de Marvel France puis (accolée) de Panini Comics.
T1 Sous l’aile du diable - Smith, Quesada & Palmiotti
T2 Chemin de croix - Smith, Quesada & Palmiotti
T3 Jaune - Loeb & Sale
T4 Underboss - Bendis & Maleev
T5 Le scoop - Bendis & Maleev
T6 Le procès du siècle - Bendis, Gutierrez & Maleev
T7 Le petit maître - Bendis & Maleev
T8 Hardcore - Bendis & Maleev
T9 Le roi de Hell’s Kitchen - Bendis & Maleev
T10 La Veuve - Bendis & Maleev
T11 L’âge d’or - Bendis & Maleev
T12 Le décalogue - Bendis & Maleev
T13Le rapport Murdock - Bendis & Maleev
T14 Le diable dans le bloc D - Brubaker, Lark & Gaudiano
« Sous l’aile du diable » a été publié récemment en version De Luxe.
Très recommandé également le « Father » de Joe Quesada publié en 2007 dans la collection Marvel Graphic Novel chez Panini Comics. Le titre parle de lui-même...