On pourrait imprudemment écrire que « La Cité sans nom » est l’un des textes les plus connus de Lovecraft mais ce serait négliger le fait que le maître de Providence a sans doute laissé derrière lui plus de textes mémorables que n’importe quel autre auteur œuvrant dans la littérature de genre. Initialement parue il y a maintenant près d’un siècle, « La Cité sans nom » est en tout cas une fiction marquante et dont la puissance d’évocation demeure intacte.
« Du haut des pierres primitives et des temples creusés dans le roc de la Cité sans nom, d’incalculables âges semblaient me contempler avec malveillance, tandis que sur les dernières cartes rupestres de la galerie figuraient des océans et des continents oubliés des hommes et arborant çà et là quelques contours vaguement familiers. »
Texte mémorable à plus d’un titre, ne serait-ce que – les connaisseurs le savent – par la première évocation, en compagnie de Lord Dunsany, Thomas More, et Gautier de Metz, de l’Arabe dément Abdul Alhazred qui sera plus tard connu comme l’auteur du Nécronomicon, sans doute l’un des ouvrages apocryphes les plus célèbres de la littérature, « La Cité sans nom » partage avec « Dagon » plusieurs caractéristiques. Un individu découvrant les ruines d’une civilisation oubliée, réalisant progressivement, entre émerveillement et horreur, qu’a autrefois existé une race ancienne, intelligente et inhumaine, puis devinant des liens troubles entre les uns et les autres, et finissant par comprendre, au détriment d’une raison fissurée, lézardée, vacillante, ce qui apparaîtra résumé en une formule célèbre dans « L’Appel de Cthulhu », à savoir que “N’est pas mort ce qui à jamais dort, et au fil des siècles peut mourir même la Mort”.
« Nul n’aurait pu dire ce qu’il était advenu au cours des éons qui avaient succédé aux derniers tableaux et à la venimeuse déchéance de cette race aux aspirations immortelles. »
La célébrité de cette nouvelle, le fait que bien des lecteurs aient gardé en mémoire ces mille et mille créatures défuntes en costume d’apparat et s’en soient fait chacun une idée toute personnelle représente un écueil évident pour qui voudrait l’illustrer. Armel Gaulme, qui avait déjà abondamment expliqué sa démarche artistique dans « Dagon », poursuit dans la veine sobre, bien loin d’un style pulp qui aura plus d’une fois desservi l’auteur, refusant un horrifique par trop spectaculaire, et rappelant dans sa préface que “la déraison soudaine de ses personnages, leur effondrement psychologique sont plus angoissants que les brèves immixtions de monstres tentaculaires”.
« Cette galerie n’avait rien de commun avec le dépouillement brut des temples de la cité ; c’était au contraire un monument d’art exotique à la splendeur inégalée. »
Des illustrations sobres, donc, qui sont celles, presque documentaires, d’un carnet de voyage, et à ce titre renforcent l’impression d’une époque où la photographie n’était pas omniprésente. Paysage, attirail de voyage, bivouac, architectures, bas-reliefs, fresques et dédales souterrains composent le cadre. Les détails topographiques du récit se prêtent à une mise en images qui ne se dérobe pas mais tout comme le texte évoque et suggère, plus qu’elle ne les décrit, l’intensité dramatique produite dans l’esprit du narrateur par cette série de merveilles et d’effrois.« La Cité sans nom », précise Armel Gaulme “est le cadre idéal de nos épiphanies horrifiques : vestiges souterrains hors d’âge, ruines grouillant d’êtres fouissant dans l’obscurité opaque, grincements des rats dans les murs de notre psyché.”
Les Carnets Lovecraft - La Cité sans nom
Titre original : The Nameless City, 1921
Auteur : Howard Philips Lovecraft
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Maxime Le Dain
Couverture et Illustrations intérieures : Armel Gaulme
Éditeur : Bragelonne
Collection : Les Carnets Lovecraft, tome II
Pagination : 82 pages
Format : 14 x 20,7 cm
Dépôt légal : octobre 2019
Numéro ISBN : 979-10-281-1049-9
Prix public : 15,90 €
Armel Gaulme sur la Yozone :
« Les Carnets de Lovecraft : Dagon »
Armel Gaulme - La Course
Armel Gaulme - Ce fou de croquis
Illustrations © Armel Gaulme et Éditions Bragelonne (2019)
Critique d’Hilaire Halrune, illustrée par Fabrice Leduc