Loin des clichés des grands classiques d’un John Wayne ou d’un John Ford, l’auteur interprète sur un registre dramatique et légèrement teinté de fantastique (avec une telle finesse !) la réalité d’un univers dur et destructeur. Au travers du rêve brisé d’Henri Ducharme et de ses deux enfants, partis de la Nouvelle-Orléans vers l’Eldorado californien, Tiburge Oger propulse Ed Fisher, un vieux cowboy en bout de selle, au secours de la jeune Mary, victime hallucinée qu’il sauve entre massacre et viol par une troupe d’indiens aussi sauvages que miséreux.
Coincés derrière des murs poussiéreux et dans l’attente d’un assaut fatal, Ed mobilise sa vieille carcasse pour protéger la gamine choquée et commence à lui raconter sa vie aventureuse, celle d’un Buffalo Runner qui participa au massacre des bisons. Un épisodes essentiel dans la conquête de l’Ouest, puisqu’il affaiblit les Indiens et permit le développement du commerce des peaux, des ranchs et des lignes ferroviaires.
Le dessinateur sort largement des sentiers battus et permet d’atteindre une réalité qui échappe a beaucoup (notre mémoire est imprégnée par la pellicule cinématographique !).
Celle de ces grands espaces formidables où des fortunes incroyables s’amorcent, des pouvoirs phénoménaux s’élèvent, enfantant des massacres épouvantables et des coups de poker qui se jouent entre des aventuriers venus d’Europe qui n’hésitent pas à écraser des miséreux cherchant la bonne fortune.
Le dessin longiligne fait merveille, la classe, l’élégance du trait et ce style si singulier que j’adore depuis la série “Gorn”. Un soin particulier est apporté à la réalisation des couleurs, ici véritable complément du scénario. Elles sont suffocantes dans les déserts arides, accompagnent toute la palette d’émotions de la vie d’Ed Fisher et se font subtilement violines dans les échanges entre le vieux cow-boy avec Mary. Et un boulot remarquable sur les ciels que l’auteur semble avoir particulièrement apprécié. Toujours dynamique dans ses compositions, Oger livre un travail de tout premier plan, offrant sans doute le western qu’il souhaitait faire à ses débuts pour “Gorn”. L’édition en a voulu autrement, mais aujourd’hui, “Buffalo Runner” est là, remarquable ouvrage sur le destin tourmenté d’un coureur de troupeaux qui traverse cinquante ans d’une histoire crue, violente et qui nous en donne une vision absolument passionnante.
Dans son excellent boulot de jeune éditeur, Rue de Sèvres a sorti une version luxe de cet album, un grand format agrémenté d’une page BD inédite et d’un dossier “La conquête de l’Ouest est une histoire de pauvres” en forme d’interview de l’auteur pour en savoir plus sur sa passion pour le western... et le fantastique. Cette petite touche magique qu’il sait si bien utiliser... A adopter si vous avez quelques 25 € à craquer pour une des toutes meilleures BD de l’année, dans ce genre difficile car jugé éculé du western.
À lire, à relire et à diffuser autour de vous...
Buffalo Runner
Scénario, dessin et couleurs : Tiburce Oger
Lettrage : Eliette Oger
Éditeur : Rue de Sèvres
Dépôt légal : 21 janvier 2015
Format : 23,5x31,2 cm
Pagination : 80 pages couleurs
Numéro ISBN : 9782369810438
Prix public : 16 €
A lire sur la Yozone :
Gorn (T10) Les Yeux de Brume
La Forêt de Perez et Oger
Prugne/Oger : L’auberge du bout du monde (T3)
Illustrations © Tiburce Oger et Éditions Rue de Sèvres (2015)