“L’Autre” : quelque chose rôde, terrorise, tue. Les paysans se terrent, réagissent de manière moyenâgeuse, un chasseur affronte le monstre. La France profonde d’il y a trois générations, les paysages, les caractères et les comportements décrits avec soin, à première vue du pur récit de terroir. Pour autant, l’analogie avec des auteurs comme Claude Seignolle dont les histoires, bien souvent, relèvent plus de la réécriture de récits folkloriques que de la mise en scène méticuleuse d’un fantastique littéraire, serait superficielle.
En effet, Michel Rullier ne se contente pas de convoquer les ambiances de la campagne profonde, il les tisse et les compose pour terminer sa nouvelle, avec un sens certain de la chute, sur l’ambiguïté chère aux théoriciens de la littérature fantastique.
“L’Ogre” : le titre résume l’histoire, qui ne prête guère à surprise –du moins, pas à bonne surprise. Plutôt que d’un conte fantastique à proprement parler, il s’agit d’un conte cruel –abominablement. On retrouve, dans cette nouvelle, la cruauté froide et pure d’œuvres provenant d’horizons divers comme le “Saturne” de Goya ou “La Poule égorgée” de l’uruguayen Horacio Quiroga. La simplicité du récit s’efface devant la mise en scène méticuleuse de l’inexorable, la gradation lente et insidieuse du doute et de l’horreur. Inattendus, les paragraphes finaux, après le dénouement, apportent au drame une touche supplémentaire de fatalité, à moins qu’ils ne soient là pour suggérer quelque correspondance hideuse, secrète, insoutenable.
“Maître René” plonge, lui aussi, ses racines au plus profond du terroir. Dans ce récit encore, on ne peut s’empêcher de penser à Claude Seignolle. Une particularité intéressante de la nouvelle est, dès les paragraphes introductifs, le parti-pris du non-dit. De fait, presque tout, dans ce récit, est dans l’insidieux, le progressif, le dévoilement de ce que l’on croit redouter, jusqu’à une fin tragique et abominable.
“Le Dieu Ocre” constitue une des nouvelles les plus surprenantes du volume. Elle mêle à un cadre très champêtre une agonie, un cauchemar, un dieu malfaisant. Si l’auteur parle, dans son épilogue, d’une influence méso-américaine, la divinité suggérée dans son texte pourrait sans doute relever du panthéon lovecraftien. Et la fin de la nouvelle, une fois encore, redistribue les cartes en ouvrant de nouveaux abîmes.
“La Nuit des Chats”, qui vient grossir la cohorte déjà bien fournie des récits de chats fantastiques, fait penser par certains aspects narratifs à des nouvelles de Jean Ray ; si la mise en scène de la terreur est habile, la fin peine toutefois à convaincre.
“Ceux qui régnaient à Charn Hill” met en scène les habitants d’un village qui semblent terrifiés par le surnaturel, mais adorent des dieux anciens. Un récit de paganisme qui fait penser à Arthur Machen, mais dont les éléments, s’ils sont apportés par une écriture soigneuse, sont trop classiques, trop connus des amateurs du genre pour apporter une réelle surprise.
“Le Loup” mêle divers thèmes animaliers –la domestication d’un animal sauvage, l’appel de la forêt, la bête qui apparaît sur la tombe de son maître– mais ne relève pas du genre fantastique. Comme le souligne l’épilogue, ce type de récit pouvait frapper il y a quelques générations. On lui trouvera, de nos jours, un intérêt dans l’écriture et dans la description des angoisses des protagonistes beaucoup plus que dans la séquence des évènements elle-même.
“Fontfrède” semble être la seule nouvelle à s’écarter sensiblement de la tonalité globale du volume. Ni récit fantastique, ni récit noir, “Fontfrède” nous semble beaucoup plus relever de la nostalgie ou de l’anecdote familiale que de la nouvelle de genre. Si la malédiction autrefois lancée sur la demeure et ses habitants l’y rattache, si l’ambiance, par moments, paraît la rapprocher d’autres nouvelles de l’ouvrage, sa lecture produit, vis-à-vis du reste du volume, une impression –par essence subjective– de rapporté, plus que d’harmonie.
D’autres nouvelles ne relèvent pas non plus du fantastique pur, mais de ce que l’on a l’habitude de regrouper sous le terme générique de récit d’angoisse. Issus de la réalité ou du cauchemar, ils se singularisent par une ambiance particulière. Ainsi des récits comme “Nekr”, où un prisonnier se soumet à son destin sans parvenir à savoir quel est exactement ce destin, ses compagnons disparaissant les uns après les autres sans lui laisser le moindre souvenir, “L’interrogatoire” où une simple promenade tourne à l’horreur politique, “Le Diable”, qui voit le narrateur assailli par ses démons intérieurs, “La Lionne”, suspicion d’une présence animale chez l’humain, ou encore “La Lettre” dont le protagoniste, sous l’effet d’un trou de mémoire, devient hanté par l’idée de la mort. Parmi ces récits d’angoisse, accordons une mention spéciale à deux nouvelles cauchemardesques, “Les Assiettes” pour son inquiétante description urbaine et “Le Cheval” dont la brièveté ne le cède en rien au classicisme du genre. Restent des récits relevant avant tout de la prose poétique, “Birgit”, hantise d’une silhouette aperçue, “Le Château”, description brève et lumineuse d’une vision d’enfance, et “Le Parfum”, qui oscille joliment entre onirisme, hallucination, et, peut-être, réminiscence proustienne.
Que pourrait-on bien reprocher à ce volume ? Tout au plus l’ambiguïté du prologue et de l’épilogue, dont on ne parvient à déterminer s’ils sont dus à l’auteur –pourquoi parler de soi-même à la troisième personne– ou résultent d’un travail commun du nouvelliste et de l’éditeur. Mais peut-être s’agit-il là de la création volontaire d’une de ces frontières floues, indéfinissables, qui sont l’essence du doute, de l’ambiguïté propres à la littérature de genre.
Pour conclure, les dix-huit récits de ce recueil ne convoquent pas tous ouvertement le surnaturel mais tendent souvent vers l’onirique, comme autrefois ceux de Marcel Béalu, et en cela accentuent l’impression de lire un volume de cette ancienne collection Marabout fantastique qui publia autrefois les classiques du genre.
En la matière, Michel Rullier n’assène pas, ne cherche pas l’effet à tout prix, mais plutôt distille, pose ses jalons, pousse ses pièces, et bien souvent convainc. Inconnu, n’ayant semble-t-il rien publié avant ce volume, il ne paraît pourtant guère être un novice en écriture. Le sens des ambiances, la richesse du vocabulaire, le soin apporté à la rédaction de ces nouvelles le positionnent, comme bien de auteurs de la collection précitée, sur cette sente elle-même mystérieuse qui sinue entre récit de genre et littérature générale.
Titre : Peuchâtre et Gésirac (nouvelles, France)
Auteur : Michel Rullier
Couverture : Sebastien Hayez
Éditeur : La Clef d’Argent
Collection : KholekTh
Site internet : fiche recueil (site éditeur)
Pages : 235
Dépôt légal : février 2009
Format (en cm) : 11 x 17,5
ISBN : 978-2-908254-71-6
Prix : 12 €
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Le recueil de Michel Rullier se trouve en dépôt non loin de chez vous, à la librairie Les Saisons, 2, rue Saint Nicolas, 17000 La Rochelle.