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Nous
Evgueni Zamiatine
Gallimard, L’Imaginaire, roman et nouvelle traduits du russe, Science-Fiction, 336 pages, février 2024, 15€

Dans un futur lointain, A-503 est un bon citoyen de l’État Unique, il obéit en tout aux Tables Horaires régissant les jours de chacun. C’est lui le constructeur du vaisseau spatial l’INTÉGRALE. Tout dans sa vie est codifié, déjà écrit, mais sa rencontre avec la femme I-330 le fait dévier de ce chemin tout tracé. Il se découvre des sentiments inconnus, des envies de transgression. Pour lui, il y a un avant et un après qu’il retranscrit dans un journal.



Écrit en 1920, « Nous » d’Evgueni Zamiatine (1884-1937) n’est paru en URSS qu’en 1988. Cette anti-utopie a inspiré des écrivains comme Aldous Huxley avec « Le meilleur des mondes », ainsi que George Orwell avec « 1984 ». Cette nouvelle traduction se base sur le texte complet établi d’après l’unique manuscrit d’auteur retrouvé à ce jour. Le texte est accompagné de deux préfaces, une de Giuliano da Empoli et une dessinée de Vincent Perriot, ainsi que d’une postface de Jorge Semprun de 1971, ce qui explique certaines réflexions apparaissant datées. Suit aussi la première nouvelle de l’auteur “Seul” (1908) mettant en scène le prisonnier Belov et offrant un contrepoint au roman avec la solitude mise en avant. Tout un système de messagerie lui permet de garder espoir, même d’entrevoir un amour toujours plus fort en la personne de Liolka. Tel Icare, s’approcher trop près du soleil peut être fatal...

« Nous » se déroule dans une société totalitaire dans laquelle chaque individu n’est plus qu’un numéro. A 503, I-330... Rien d’étonnant, car les chiffres forment la base de cette société. A-503 suit à la lettre les Tables Horaires, y trouve du réconfort, car elles régissent chaque instant de son existence. Tout le monde se lève en même temps, mange en même temps, une heure est consacrée à l’exercice physique, ce qui se traduit par une marche aux allures de défilés militaire où chacun s’intègre dans le groupe, fait esprit de corps... Le Je s’efface au profit du Nous. Pas de surprise dans cette société, rien n’est laissé au hasard. Murs en verre pour ne rien cacher, dénuement, rien ne doit déplaire au tout-puissant Bienfaiteur, réélu à chaque fois à l’unanimité. Voter contre revient à être malade, donc à dénier toute légitimité à s’exprimer, ce qui est bien sûr puni. Le mur vert derrière lequel est retranchée la cité constitue le seul horizon pour les habitants au bonheur obligatoire, le temps y est toujours au beau fixe. Pas de distraction, même les activités sexuelles sont règlementées. A-503 est parfaitement heureux ainsi, il peut se consacrer pleinement à sa tâche, celle de construire le vaisseau spatial l’INTRÉPIDE. Que vouloir de plus ? Seul petit plaisir qu’il s’octroie : un journal qu’il tient régulièrement et qui montre comment sa rencontre avec la troublante et extravertie I-330 le chamboule et le fait vaciller dans ses convictions. Il veut la dénoncer, mais tergiverse, elle l’horripile et l’attire en même temps. Les routines le rassurent, lui apportent une sérénité mise à mal par elle, il évolue sur une ligne étroite qu’il franchit à l’occasion, tiraillé entre l’envie et le devoir. Il est malgré tout obligé d’ouvrir l’œil sur la société, ce régime qui ne laisse aucune place à l’improvisation et dirige tout. La révolution semble en marche, mais peut-elle réussir alors que tout est sous contrôle ?

D’une grande force, « Nous » est toujours d’actualité. Il s’agit d’un classique de la science-fiction, au même titre que les deux ouvrages qu’il a inspirés. Il alerte les lecteurs sur les dérives totalitaires, illustre la dépersonnalisation de l’individu qui perd toute identité pour devenir un numéro, apportant alors un côté rationnel, mathématique qui abolit le Je au profit du Nous. Il s’agit d’un formatage en règle, ce qui revient à rétrécir l’horizon de tout un chacun pour qu’il embrasse le seul usage pour lequel il est prévu.
Il y aurait beaucoup à dire sur le contexte dans lequel il a été écrit. Comme le dit Giuliano da Empoli, il ne faut pas uniquement y voir une critique féroce du système soviétique, « Nous » est bien plus. Le lire se révèle essentiel pour ouvrir les yeux, devenir plus critique envers les dérives de notre société et ses algorithmes à toutes les sauces.
Une œuvre essentielle, un classique tout simplement.

Une édition de plus de « Nous » me direz-vous, mais ces grattes-ciels de mots en couverture, ainsi que les apports des divers intervenants dont les éclairages de la traductrice Véronique Patte, ainsi que la nouvelle “Seul”, en font une édition de choix.


Titre : Nous (MY, 1920)
Auteur : Evgueni Zamiatine
Couverture : non créditée
Traduction du russe : Véronique Patte
Éditeur : Gallimard
Collection : L’Imaginaire
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 336
Format (en cm) : 12,5 x 19
Dépôt légal : février 2024
ISBN : 9782073026781
Prix : 15 €


Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
13 avril 2024


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