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Bifrost n°113
La revue des mondes imaginaires
Revue, n°113, nouvelles - articles - entretiens - critiques, janvier 2024, 192 pages, 11,90€

L’Intelligence Artificielle, voilà un sujet qui ne cesse de fasciner, mais aussi d’effrayer quant à ses conséquences. Une œuvre générée par MidJourney a remporté en 2022 le 1er prix à la Colorado State Fair, ChatGPT entraîne une déferlante de soumissions sans précédent, obligeant certaines revues à fermer temporairement les vannes pour trier le bon grain de l’ivraie... Depuis le temps qu’elles se profilent, qu’on en parle un peu partout, les IA sont-elles pour autant arrivées ou ne sont-elles encore qu’à leurs balbutiements, montrant déjà des capacités bluffantes ? Et peut-on parler d’intelligence au sens généralement admis ?
Ce « Bifrost » s’attaque à cette problématique sous l’angle des Intelligences Artificielles génératives (des modèles d’IA capables de créer du contenu nouveau et original), désincarnées, logicielles ou conceptuelles, de quoi donner bien du grain à moudre.



Supervisé par FeydRautha, le dossier Intelligence Artificielle fait le tour de la question à travers plusieurs articles et entretiens. Pierre-Paul Durastanti aborde les rapports entre IA et SF dans le champs littéraire, avant que Nicolas Martin ne le fasse à travers le cinéma. Caractériser l’IA désincarnée n’est pas si facile et la marge est souvent étroite, poussant à des transgressions pour mieux illustrer le propos. L’IA est-elle forcément une menace pour l’homme ? Rime-t-elle avec fin ? Le pessimisme semble de rigueur.
Et qu’en pensent les artistes, les acteurs du milieu de la SF ? Nicolas Fructus et Marc Simonetti livrent leurs sentiments pour le côté graphique. Leurs avis ne se rejoignent pas forcément, mais les deux voient un outil de prospection, le moyen d’explorer d’autres voies. Neil Clarke, l’éditeur de « Clarkesword », évoque la vague de soumissions depuis l’émergence de ChatGPT avec une flopée de textes de mauvaise qualité. Des tics d’écritures, des routines... autant d’indices propres à révéler la supercherie. Une IA serait justement pratique pour détecter ces pseudos textes ! L’auteur Chen Qiufan, spécialiste de l’IA, permet d’avoir un propos plus technique, avant de parler de création, d’apport de l’IA... Droits de propriétés, d’auteurs, remplacement de l’artiste par une IA, protection des données... bien des points sont évoqués dans ces quatre entretiens des plus instructifs quant à la perception de l’arrivée de ces nouveaux moyens.
Frédéric Landragin était tout désigné pour traiter “Les langages de l’Intelligence Artificielle” Entre “robots mutiques et chatbots verbeux, comment s’y retrouver ?” Si la théorie des IA semble simple, ce n’est qu’une apparence, la pratique est bien plus complexe à mettre en œuvre. Si l’IA symbolique (basée sur des règles) a des avantages, l’IA statistique (à base de probabilités et d’apprentissage artificiel) en a d’autres. L’idéal serait de combiner les deux, mais plus facile à dire qu’à faire. Les essais ne sont guère probants pour l’instant. Un papier lumineux sur la problématique des IA.
Suivent les chroniques de douze œuvres faisant la part belle aux IA, avant un article signé Ada Palmer sur la révolution de l’information. L’histoire nous a appris que le progrès entraîne des avancées technologiques bouleversant l’état des lieux et poussant l’homme à rebondir, à arpenter d’autres voies. Pour autant, ce n’est pas un mal, il faut l’accepter, vivre avec pour trouver un nouvel équilibre.
Un dossier remarquable sur la question des IA qui permet de voir ce qu’en pensent les principaux intéressés, assistant à l’évolution de leur métier.

Les quatre nouvelles au sommaire illustrent à merveille le dossier IA.
Dans “Le charme discret de la machine de Turing”, du jour au lendemain, Dan est mis à la porte. Il a beau chercher, il ne trouve aucun boulot, mettant sa famille en difficulté pour payer les traites de la maison. Il n’est pas le seul dans ce cas. Serait-ce une autre victime du remplacement de l’humain par une IA qui a appris en l’observant ? Greg Egan met dans le mille avec ce texte. Il est bien plus rentable de mettre une IA pour exécuter certaines tâches, pas de sentiments, pas de repos... Voilà peut-être ce qui inquiète le plus...

Jean-Marc Ligny relate l’histoire d’un homme qui a quitté à son corps défendant une enclave dorée gérée par des IA. Il explique à une assistance ce qu’était son existence, les circonstances de ce repli. Même si la forme de “Renaissance” demande un temps d’adaptation pour vraiment entrer dans le récit, le propos s’avère très intéressant avec les IA obligées de stimuler les humains, d’entretenir leur curiosité, leur envie de faire quelque chose. Une belle idée !

À “RêveVille”, tout fout le camp. Un jour, notre personnage perd son ombre, puis c’est au tour de son reflet dans le miroir ! Que se passe-t-il dans cette cité ? Et puis qui est-il vraiment ? Là réside peut-être l’explication. Quatre pages denses signées Thierry Di Rollo qui, à défaut de romans, nous régale avec la forme courte.

Avec “Rayée”, Audrey Pleynet remportera sûrement à nouveau les suffrages des lecteurs. Cette nouvelle s’avère palpitante, fascinante avec ces hommes et femmes aux lettres tatouées sur les bras, chacune représentant une qualité qu’un mal sournois ronge. Chaque lettre barrée signifie une perte, un glissement vers l’animalité. La civilisation a régressé ; reprochant aux IA de ne pas réussir à les soigner, les hommes ont détruit toutes les machines. Agathe était informaticienne, ce qu’elle se garde bien de dire, elle recueille une petite machine, essayant de lui instiller la fibre créatrice, espérant ainsi ne pas oublier. Rester humaine tout simplement. Le récit happe d’entrée le lecteur, pas de temps morts, l’auteure emporte tout avec son imaginaire prenant et original. C’est vraiment du grand art !
D’ailleurs, la parole est donnée à l’artiste Saralisa Pegorier qui a illustré cette nouvelle, mais également la couverture du « Bifrost spécial Anne Rice » qui a fait couler beaucoup d’encre virtuelle.

Dans “Scientifiction”, Laurent Vercueil s’attaque aux électroscopes, une invention issue du livre « L’homme truqué » (1921) de Maurice Renard. Il fait le parallèle avec l’électroencéphalogramme, une bonne occasion d’en faire l’historique. Instructif et plaisant.
Comme chaque trimestre, de nombreuses recensions d’ouvrages éclairent l’amateur sur les bonnes pioches des différents éditeurs. Et premier numéro de l’année oblige, le palmarès des abonnés de « Bifrost » rend son verdict :
• Prix des lecteurs de « Bifrost » 2023, catégorie nouvelle francophone : “Par une route sans fin” d’Élodie Denis (Bifrost n°112)
• Catégorie nouvelle étrangère : “La Cité du rire” de Sequoia Nagamatsu (Bifrost n°111, traduction Henry-Luc Planchat)
Il est à noter que c’était pour chacun leur première publication dans la revue. Bravo à tous deux.

Vous l’aurez compris, rien à jeter dans ce numéro. « Bifrost » débute l’année 2024 sur les chapeaux de roues, la poignée de gaz tournée à fond avec un dossier et des nouvelles sur les IA de toute beauté.
Il ne sera pas facile de poursuivre sur le même rythme...


Titre : Bifrost
Numéro : 113
Rédacteur en chef : Olivier Girard
Couverture : Timothée Mathelin
Illustrations intérieures : Matthieu Ripoche, Franck Goon, Olivier Jubo et Saralisa Pegorier
Traduction : L’Épaule d’Orion (Le charme discret de la machine de Turing)
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, nouvelles, entretien, etc.
Sites Internet : le numéro 113, la revue (Bifrost) et l’éditeur (Le Bélial’)
Dépôt légal : janvier 2024
ISBN : 9782381631134
Dimensions (en cm) : 15 x 21
Pages : 192
Prix : 11,90€



Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
4 février 2024


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