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Princesse au Visage de Nuit (La)
David Bry
Pocket, Imaginaire, roman (France), polar fantastique, 354 pages, janvier 2022, 8,60€

Il y a 20 ans, Hugo a été enlevé à ses parents maltraitants après une nuit de la Saint-Jean qui a vu mystérieusement disparaître deux enfants de son âge, ses amis. Aujourd’hui, ses parents viennent de périr dans un accident de voiture suspect et Hugo, qui ne s’est jamais totalement reconstruit, doit revenir à Saint-Cyr pour l’enquête, retrouver des visages du passé, et tenter de se souvenir de cette nuit dont il a tout oublié.



Il y a toujours une très grande humanité dans les romans de David Bry, qu’il traite de pure fantasy comme avec le merveilleux « Que passe l’hiver » ou qu’il invoque l’Histoire dans « Le Garçon et la ville qui ne souriait plus ». Il y décrit l’Humain dans ce qu’il a de plus beau, avec des héros souvent cassés et sensibles, mais aussi dans ce qu’il a de pire, avec des puissants bouffis de pouvoir et haïssant tout ce qui est différent.
« La Princesse au visage de nuit » a des accents très marqués de polar rural, avec un village de Saint-Cyr qui recèle de monstres « ordinaires » et d’ogres d’aujourd’hui : conjoints violents, violeurs, sorcière...

Son protagoniste, Hugo, a bien été cassé par la vie : torturé par ses parents par simple cruauté, il a fui tout cela, pour devenir éducateur après de jeunes en difficulté, une voie de rédemption. Néanmoins, dès la première soirée très arrosée avec ses amis proches, on comprend qu’il noie dans l’alcool sa culpabilité et ce passé trop douloureux, comme les autres, bien amochés aussi, tentent d’oublier leur vie loin d’être rose. Mais ces éclopés se soutiennent mutuellement dans leurs malheurs.

La mort de ces parents qu’il n’a pas vus depuis 20 ans l’oblige donc à revenir au village de son enfance, dans la chaumière familiale. L’auteur reste flou : c’est isolé, desservi par les transports mais à des lieues de la capitale et de cette vie qu’il s’y est reconstruite. Sur place, il retrouve Anne, la sœur de Sophie, l’une des disparus et sa petite amie de l’époque, si cela a un sens quand on a dix ans. Anne est devenue gendarme, et elle espère toujours retrouver sa sœur. Elle sera un précieux soutien, car elle est une des rares à croire à l’innocence d’Hugo. Restée au village tout ce temps, elle a continué à côtoyer les monstres de leur enfance, mais ne s’attend pas à tout ce qu’ils vont mettre au jour.

Au fil des rencontres, l’auteur ravive les souvenirs de son protagoniste, bons ou mauvais. Doumet, le cantonnier qui l’avait pris sous son aile, grand amateur de feux d’artifice, lui aussi meurtri par la perte accidentelle de son fils. Le retour d’Hugo adulte est pour Doumet l’occasion de crever l’abcès de sa propre peine, et pour l’éducateur de la comprendre. Entre les chapitres, numérotés comme un décompte avant la Saint-Jean, l’auteur intercale de courts souvenirs, souvent du trio Hugo-Sophie-Pierre, parfois d’autres personnages, des scènes courantes témoignant des peurs, harcèlement, brimades subis par ces petits, et qui les ont conduits, comme d’autres avant eux, à croire aux légendes et à aller quérir l’aide de la princesse au visage de nuit. Le récit du passé et le cheminement 20 ans plus tard d’Hugo avancent de concert pour une compréhension et une résolution conjointe d’une grande puissance dramatique. Dans le traitement fantastique tout au long du roman (l’ombre qui épie Hugo, les lucioles dans la forêt...) comme dans la galerie de personnages, leurs liens et leurs secrets, on retrouve une patte similaire à Stephen King, époque « Ça » et « Tommyknockers » : ce souci de rendre une histoire tragique, crédible, juste avec la cruauté des hommes, les secrets enfouis d’une petite communauté, avant que le fantastique vienne rebattre les cartes des possibles. Mais c’est fait sans toucher à cette profonde humanité qui la rend possible, plausible, probable, en dépit de cette magie à la fois au cœur du récit et quasi absente des trois premiers quarts, au profit de la superstition, de la foi, toutes aussi puissantes, et capables de ravages sur les esprits des hommes.

Une nouvelle fois, David Bry fait merveille. « La Princesse au visage de nuit » s’avère à la croisée des chemins, mélangeant les genres, du polar rural au drame social, et cette pointe de fantastique longtemps laissée en arrière-plan, au profit de la superstition et de jeux d’enfants, enchantera les amateurs tout comme elle ne rebutera pas les néophytes. Une excellente porte d’entrée dans l’imaginaire et dans l’oeuvre d’un auteur désormais immanquable.


Titre : La princesse au visage de nuit
Auteur : David Bry
Couverture : François-Xavier Pavion
Éditeur : Pocket (édition originale : L’Homme Sans Nom, 2020)
Collection : Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7320
Pages : 354
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : janvier 2022
ISBN : 9782266322126
Prix : 8,60 €



Nicolas Soffray
11 décembre 2023


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