Il y a des titres, des couvertures, qui sont faites pour choquer, pour accrocher. Des éditeurs qui prennent le pari de suivre des auteurs et autrices qui se sortent les tripes pour raconter des histoires qui secouent le lectorat un peu trop plan-plan.
En préambule, Laurène Duclaud revient sur la genèse de ces nouvelles, de ce roman-feuilleton, à la sortie de son école d’ingénieur, durant des soirées où les mots et le clavier lui brûlaient les doigts. Ces historiettes, crues, cruelles, indolentes ou fantasques sont à nulle autre pareilles, cocktail d’influences osé et terriblement efficace.
Gouine City, on mettra un moment à cerner ce que c’est, où c’est, quand c’est. L’autrice joue avec la langue, une gouaille de polar des années 30, les références qui vont avec. Alex Duke est une sorte de Sam Spade en devenir, si la vie ne la dérouille pas plus que nécessaire. La ville, c’est un Paris intemporel, avec des compétitions de roller-derby, un café comme QG du mouvement ouvrier, une banlieue populaire bien de gauche de quand ça voulait dire quelque chose, et dans l’ombre les parrains (ou les marraines) qui tiennent solidement les rênes de l’économie grise. Parfois ça a les ors d’un Hollywood de rêve, tantôt les atours d’un cosy mystery typiquement British, avant de tomber dans le rocambolesque digne du début XXe. Mais ça se passe de nos jours, ou pas loin. Et incroyablement, ça fonctionne.
Ce n’est pas un tour de passe-passe : Laurène Duclaud a fait le choix d’un style très direct, parlé, percutant. De courts paragraphes, souvent, comme si on sautait d’une idée à l’autre de Duke. Des tranches de vies : les premières nouvelles, où l’héroïne fait les commissions, sont autant d’occasions de brosser un portrait pas si rose de la vie de ces femmes. Les hommes sont quasi absents, toujours au second voire troisième plan, renvoyant cette absence à la face des auteurs d’aventures populaires, très masculines, où les femmes ne pouvaient être que de sculpturales créatures, innocentes ou vénéneuses mais prêtes à tomber sous le charme du détective. Ici, au contraire, Alex raconte le temps long, entre deux fulgurances, l’ennui du chômage technique, l’attente de l’action. Et parfois les coups de foudre, les passions dévorantes, brûlées en deux lignes pleines de pudeur.
L’autrice joue aussi avec la mise en page, la ponctuation, fait le choix de guillemets anglais et envoie bouler les tirets, multiplie les sauts de ligne et les alinéas, limite à versifier, nous calquant sur le souffle de Duke. Il faut s’y faire, revoir ses habitudes, sa façon de lire. Elle brise tous les codes pour mieux bâtir quelque chose à la fois familier et tout neuf.
Après quelques courtes nouvelles assez noires, douloureuses et tragiques, et une enquête rocambolesque à la recherche d’un trésor de la Résistance dans un couvent secret, Duke est promue apprentie d’une grande détective à deux doigts de la retraite, pour une longue novella de 150 pages, un meurtre en chambre close dans un charmant petit village de banlieue. L’autrice y démontre son talent à tisser un mystère bourré de bonnes surprises, de choses drôles déjà esquissées (le levé de coude souple d’Alex), à du tragique qui nous avait monté les larmes aux yeux.
Enfin, la dernière nouvelle, “Nos Années folles”, voit Duke, un peu aguerrie mais pas tant que cela, prendre sous son aile une petite prodige du ballon rond et la mener, vaille que vaille tant c’est une tête de mule et une boule de nerfs comme toutes les gamines d’aujourd’hui qui veulent pas se laisser marcher sur les pieds, jusqu’au sommet. Une victoire pour la jeune, et pour tout le quartier qu’elle emporte derrière elle. Le foot se mêle aux luttes sociales, et il y a un arrière-goût de Ken Loach pas désagréable. Et en 50 pages, elle nous fait vibrer plus fort que toutes ces fictions françaises à la trame d’Icare, ascension et chute. On a le cœur qui bat au même tempo que cette gamine entière jusqu’au bout.
C’est violent, discordant, inattendu, terriblement vivant, exercice littéraire arraché des tripes de son autrice. Une littérature féministe militante, sans concession, qui résonne en nous longtemps après avoir refermé ce volume. L’autrice s’est moquée de nous, nous a émus, fait rêver, rire, pleurer, hurler. On en redemande pourtant une deuxième saison.
Titre : Gouine City Confidential, saison 1
Autrice : Laurène Duclaud
Couverture : (non créditée)
Éditeur : La Manufacture de Livres
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 300
Format (en cm) :
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9782358879927
Prix : 20 €