Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




D’Or et d’Oreillers
Flore Vesco
L’école des loisirs, Médium+, roman (France), conte fantastique, 233 pages, mai 2021, 15€

Effervescence à Greenhead : le jeune lord Handerson rouvre le château familial. Et il est à marier ! Toutes les mères des environs y font défiler leurs filles, appâtées par une rente mirobolante, mais le jeune homme est étrange, imposant à ses prétendantes de passer une nuit au château (sans chaperon !) sur un lit aux matelas empilés. Beaucoup ressortent traumatisées au petit matin, et repartent bredouilles.
Mme Watkins y conduit tout de même ses trois filles, qui échouent également, à leur grand déplaisir, l’aînée se voyant déjà châtelaine. Mais le jeune lord retient Sadima, leur femme de chambre, de l’âge de la benjamine. Libre, moins polie que ses maîtresses, Sadima n’entend pas se faire manipuler. Mais la première nuit passée, elle devine que les choses ne sont pas aussi simples qu’il y paraît.



Après avoir revisité « le Joueur de flûte d’Hamelin » dans « L’estrange malaventure de Mirella », Flore Vesco s’en prend cette fois-ci, avec le même talent mais d’autres modèles, à « la princesse au petit pois », histoire bien peu exemplaire selon nos canons actuels, dont la morale définit une vraie princesse comme une jeune fille en sucre importunée par un petit pois sous 20 matelas et édredons.

L’autrice n’en garde ici que l’épreuve étrange, et invoque d’autres figures majeures de la littérature. Le roman commence sur le même ton que ceux de Jane Austen, l’émoi maternel à l’idée de marier une de ses filles au meilleur parti qu’on puisse rêver. Flore Vesco raille encore plus frontalement cette petite bourgeoisie qui rêve de noblesse : lord Handerson pourrait être bossu, hideux, il pourrait torturer des chatons, peu importe puisqu’il possède 80.000 livres de rente (renvoyant Lord Darcy dans les choux). On assiste d’ailleurs à un jeu pareillement cruel, avec le défilé des prétendantes, les jeunes filles exposées par leurs mères comme des bêtes à la foire. L’attitude désinvolte de lord Handerson les désarçonne, brisant toutes les règles de conventions sociales qu’on leur a inculquées ! Et si les trois sœurs deviennent alors rivales, elles échouent toutes. L’ultime humiliation est de retenir Sadima, comme le prince qui fait essayer le chausson de vair à toutes les jeunes filles, de bonne naissance ou non.

Le roman bascule alors, puisqu’au travers du regard de l’héroïne lecteurs et lectrices vont découvrir la réalité de l’épreuve. C’est le début de la bascule vers du pur fantastique, voire ensuite de l’horreur (je vais tâcher de ne rien divulguer) digne des meilleures œuvres littéraires ou cinématographiques du genre.

A la place, je vais vous parler de ce qui est vraiment important : Sadima, son caractère, son éducation, sa liberté. Contrairement à ses maîtresses, elle n’est pas du genre à se prêter de bonne grâce à un jeu dont on lui tait une partie des règles. Si l’espoir de sortir de sa condition, de sortir sa famille de la pauvreté ne lui déplait pas, elle reconnait néanmoins que leur vie simple, n’est pas une vie malheureuse : son père est écouté par Mr Watkins, sa mère est une nourrice respectée. Elle a grandi en même temps que May, devenue une ado diaphane et timide quand Sadima a les muscles secs de qui trime chaque jour et court les prés ensuite. Elle vit dans deux mondes, l’un avec des règles qu’elle s’efforce de ne pas enfreindre, et l’autre libre. L’autrice insiste sur cette liberté, et cela passe aussi par sa liberté de corps. Elle évoque les hommes à repousser, sa réputation à préserver car au premier oui elle fille comme elle est vite cataloguée comme facile. Mais dans la chambre aux matelas, comme sa mansarde, dans ses rêves Sadima retrouve son amour onirique, et ses premiers émois sont solitaires. Dans ce contexte de jeu étrange de séduction, Flore Vesco parle de sexualité à ses lecteurs et lectrices sans fard, de façon presque crue, leur clamant haut et fort que leur corps leur appartient et que la nuit et ses rêves n’appartiennent qu’à eux.
Enfin, au château de lord Handerson, ce n’est peut-être pas tout à fait vrai...

S’ensuit un chassé-croisé entre Sadima et Adrian, la première déterminée à comprendre le second, à dévoiler les mystères qui entourent le jeune lord et la maison, les raisons de ces épreuves, le malaise qui étreint les étrangers dans la demeure, la fuite de tous les domestiques à l’exception de Philip, le vieux majordome austère et hostile à la jeune femme. L’autrice chamboule les rôles, nous enfonce dans les ténèbres bien plus profondes que la légèreté initiale le laissait présager. La relation des deux jeunes gens n’est pas qu’une parade amoureuse aux règles discordantes, un autre élément, à la fois étranger et tellement naturel, s’y mêle, complique tout. Je n’en dirai rien, mais là encore Flore Vesco pare des atours du surnaturel ce qu’Austen présentait de manière tout à fait tangible : le poids de la famille, l’amour exclusif, à l’épreuve des contraintes sociales. On peut donc avoir une double lecture du mystère, et c’est ce qui permet à Sadima d’en conduire le dénouement.

Drôle, terrifiant, sensuel, « D’or et d’oreillers » est un roman à l’écriture incisive, croisement improbable mais parfaitement réussi d’« Orgueil et préjugés » et « Mexican Gothic ».


Titre : D’Or et d’Oreillers
Autrice : Flore Vesco
Couverture : Mayalen Goust
Éditeur : L’École des Loisirs
Collection : Médium +
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 215
Format (en cm) : 22 x 15 x 2
Dépôt légal : mai 2021
ISBN : 9782211310239
Prix : 15 €


Prix Sorcières 2022
Grand Prix SGDL du roman jeunesse 2022


Nicolas Soffray
30 novembre 2023


JPEG - 21.9 ko



Chargement...
WebAnalytics