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Livre de Nathan (Le)
Nicolas Cartelet
Mnémos, Mu, roman (France), anticipation caustique, 118 pages, juin 2023, 15€

La Terre est noyée sous un Déluge, et le seul livre qui échappe à la catastrophe est le manuscrit de Nathan, refusé partout tant il est mauvais.
Des siècles plus tard, un duo d’arnaqueuses est invité à s’en emparer pour accroitre leur business.
Encore mille ans ensuite, trois prêtres décident, au nom de leur foi, de s’en prendre à l’Empereur.
Encore plus tard, une expédition inquisitrice va ramener la vraie foi dans le Livre dans une petite communauté qui s’est installée sur une terre émergée.



Dans ce court roman jubilatoire, Nicolas Cartelet brode avec malice sur l’idée qu’un seul livre survit à l’apocalypse, et pas un bon : un manuscrit refusé, pompeux roman onirique sur la mer et les poissons. En 4 séquences distantes d’un millénaire, il nous brosse à grands traits l’histoire de la survie des hommes sur l’eau, et l’influence de ce seul ouvrage imprimé survivant, revanche ubuesque et grandiose à son crash éditorial.

Imaginez, pour prendre deux références hollywoodiennes bien pétries de symboliques sous un vernis grand public, « Le Livre d’Eli » croisé avec « Waterworld », mais écrit par un esprit taquin comme celui de sir Terry Pratchett. Cela vous donne une idée d’où vous mettrez les pieds.

Sur l’aspect littéraire, ça gouaille agréablement. L’auteur s’embarrasse peu de ponctuation de dialogues, le discours direct s’entremêle avec fluidité à une narration à la focale très proche des personnages. Le vocabulaire alterne termes familiers et soutenus pour des effets de décalage parfaitement réussis. La prose est vraiment ciselée, le récit décontracté, libéré, c’est très agréable à lire que cela raconte des trucs effrayants ou burlesques.

Mais derrière ces quatre temps, ces quatre instantanés de vies, quelques jours pivots parmi plusieurs millénaires, Nicolas Cartelet aborde des sujets forts de l’anticipation : la survie, la résilience de l’espèce humaine, son instinct grégaire, son besoin de structure, son culte du pouvoir. Il ne dit rien des ressources qui demeurent accessibles sur la Terre submergée au bout de tant de siècles, les esprits tatillons chipoteront sur le réalisme de tout cela, pour le coup moi quasi pas. Au contraire, regardons ce qu’il donne à voir autant qu’à deviner : une hiérarchie militaire, un ordre administratif qui pourchasse les isolés, les individualistes, ceux qui tentent d’échapper à l’impôt. Ah, les taxes, voilà bien quelque chose d’insubmersible ! Quand tout a coulé, tout s’est effondré, une partie de la langue aussi, restent les taxes, et la violence, exprimée ou non, pour les collecter. La corruption, aussi...

Après un long épisode militaire, et sur une idée d’arnaque toute bête, voici qu’un culte naît autour du Livre de N’than. une foi, une église, avec son dogme, ses schismes... Dans la troisième partie, nos trois régicides en puissance, aux profils de bras cassés, ont trois façons d’exprimer leur foi, mais déplorent l’absence de structuration de leur religion. Il va sans dire qu’un pouvoir va chasser l’autre, et que la dictature religieuse va remplacer la militaire.

La quatrième et dernière partie est le temps de la révélation, la confrontation du culte omnipotent, globalisé, à la vérité scientifique, à la preuve. Là encore, c’est assez truculent, nos missionnaires soumis à la tentation, au péché, à la remise en question sont au carrefour des possibles, et vont devoir faire un choix. Sans doute l’auteur aurait-il pu continuer l’exercice de style, mais il préfère un ultime pied de nez aux rêves d’immortalité de l’Homme avec un nouveau bond dans l’avenir et une conclusion qui rappelle que nos vies si bien remplies ne sont rien à l’échelle du Temps et de l’Univers.

En 120 pages débordantes d’émotions, d’humanité dans ses meilleurs mais souvent ses pires aspects, et d’humour noir, Nicolas Cartelet raille ses semblables, des écrivaillons qui rêvent de célébrité et sont brutalement ramenés les pieds sur terre, aux croyants qui s’aveuglent et prêtent foi à des ouvrages douteux [1] et aux prêtres qui depuis 2000 ans s’éloignent du spirituel pour exercer un pouvoir et une autorité sur le temporel. Mais surtout, dans l’esprit pascalien, il met en lumière le besoin de l’Homme de s’illusionner avec tout et n’importe quoi, d’un culte au soleil, au dieu de la Mer ou à Mru pour dépasser sa condition de mortel, de fourmi dans l’univers.

C’est beau, c’est drôle, c’est acide, et c’est bien plus fin et intelligent qu’on voudrait le croire. Un bijou à déguster, comme quatre sashimis délicieusement assaisonnés.


Titre : Le Livre de Nathan
Auteur : Nicolas Cartelet
Couverture : Kévin Deneufchatel
Éditeur : Mnémos
Collection : Mu
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 118
Format (en cm) :
Dépôt légal : juin 2023
ISBN : 9782382670743
Prix : 15 €



Nicolas Soffray
23 juin 2023


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