On pouvait se réjouir de voir le flambeau repris par un proche d’Ayerdhal, auquel le festival a rendu hommage. Mais le défi était de taille, et le résultat... en demi-teinte.
La thématique de cette 22e édition, « Le Futur de la cité », s’appuyant sur un texte d’Ayerdhal sur les règles qui régissent les sociétés, appelait diverses interprétations. Las pour la tradition de fantasy de l’anthologie, la quasi-totalité des auteurs invités, au demeurant bons, l’ont pris au pied de la lettre, et le recueil oscille entre SF et post-apo, avec un penchant pour la prospective à moyen ou long terme, un exercice qui peut être stimulant intellectuellement, mais peu satisfaisant à lire selon l’angle narratif choisi.
Cicatrices de l’éviction de Stéphanie Nicot ou choix éditorial, le sommaire est donc largement rafraîchi, exit nombre d’historiques, et la moitié des auteurs signent déjà chez le Diable.
On tiquera aussi sur la densité du volume. 300 pages certes, dans la moyenne des Mnémos précédents, mais de 26 lignes et non plus 40... L’ouvrage, « très aéré », se lit vite.
Les premiers textes sont assez décevants, disons-le. Je n’ai pas accroché au “Dansons la capucine” de Pierre Pelot. Si la forme, un monologue libre qui brise le 4e mur, est intéressante, sa folie décousue est à l’aune de sa brièveté. Je n’ai pas pu y rentrer, et sans le respect dû à un monument de la SF française du XXe siècle, je soupçonnerai le foutage de gueule torché vite fait pour faire plaisir et répondre à la commande.
“Phra au soleil” de Sara Doke est joli, cela ferait un très bon incipit, mais c’est de l’exposition pure, sans enjeu, et le message bienveillant n’en apparaît que plus martelé. Le “Mobipolis” de Pierre Bordage, un peu plus loin, n’est guère mieux, assez manichéen et attendu. Deux textes de SF lointaine où l’humanité a fait de bons et mauvais choix, privilégiant certains, brimant d’autres, rien de transcendant, et déjà vu.
“Rencontre avec Johnny Wayne” de John King (une traduction) partage avec le “Kontrol’za kacestvom” de Christophe Siébert un univers très fort, bourré de vocabulaire spécifique, et à moins d’être déjà familier de la gouaille et des ambiances de l’auteur, on y pigera pas grand-chose.
Jusqu’ici, le lien avec le thème est ténu, le vivre ensemble pris au sens le plus large. Idem pour le “Garou 2.0” de Morgane Caussarieu, avec un personnage qui se fait greffer des bouts de loup et un twist final rigolo mais gros comme une maison.
Les choses commencent à peu près avec “Histoire de Rome de nos jours à la fondation”, de Claire Duvivier. Mais l’exercice reste encore assez académique et, honnêtement, ce fut encore une lecture peu marquante, loin des louanges qui pleuvent sur le reste de son oeuvre.
C’est la nouvelle d’Isabelle Bauthian qui m’a enfin mis une bonne claque. “Tempus edax, homo edacior ((in) dispensables)” est de l’excellent post-apo, ça décortique les failles de l’humain et de la société, c’est écrit de façon nerveuse : entre le fond et la forme, on apprécie quasi chaque ligne. Heureusement, car on était déjà au tiers du livre.
Serge Lehman nous livre un article sur la fondation de Paris avec “Trois notes sur l’origine de la ville-monde”, ce n’est pas de la fiction (quoique ?) et c’est à la fois lisible et érudit, on en sort plus intelligent.
“L’Entartage” de Katia Lanero Zamora est une belle histoire sur la puissance du rire face à la dictature, bien dans le ton de l’actualité politique, là encore très agréable à lire. Petit bémol pour les 13 mots flamands (je crois) avec note de renvoi, qui cassent un peu la lecture.
Si le twist de “2084” de Laurent Whale est un peu attendu, toute la construction préalable de sa société ouvrière, son univers étouffant sont sans défaut. On s’immerge parfaitement et on halète avec son héroïne qui fuit vers un ailleurs meilleur.
Au contraire, Claire Krust se moque bien de nous avec “Tokyo 2115” et le voyage d’une jeune femme dans le Japon idéalisé qu’elle a hérité de sa grand-mère. Le texte joue magnifiquement sur la frustration d’un monde qui a changé et la tentation du virtuel.
Je n’ai jamais caché mon adoration pour la prose épurée et terriblement puissante de Justine Niogret. “L’Histoire des oiseaux”, très post-apo, fait des miracles d’évocation et d’émotion avec si peu de mots. On a envie de la lire à haute voix, ou de l’entendre lire, un soir brumeux sous la toile et les velours d’un Magic Mirror.
Et pour refermer l’ouvrage, Raphael Granier de Cassagnac, roi des histoires d’IA (cf sa trilogie chez Mnémos), nous parle des dérives à venir, très vite, et réussit à faire douter du bon camp (si tant est qu’il y en ait un) avec l’IA globale de Paris attaquée par des militants anti-fichage et croisement de données dans “Le dernier jour de Paris”.
Si je refais mes comptes, j’arrive à huit textes de bonne, voire très bonne tenue pour six qui auront fui ma mémoire sous peu. Une moyenne plutôt basse, à imputer à quoi ? une thématique trop large ? des textes parfois très courts, trop académiques ou au contraire trop fous et imbitables ? C’est bien évidemment un peu dommage, tant cet elfe de Magdalena Pagowska en couverture était prometteur.
Titre : Le Futur de la Cité, anthologie des Imaginales 2023
Auteurs : Ayerdhal, Isabelle Bauthian, Pierre Bordage, Morgane Caussarieu, Sara Doke, Claire Duvivier, Raphaël Granier de Cassagnac, John King, Claire Krust, Katia Lanero Zamora, Serge Lehman, Justine Niogret, Pierre Pelot, Christophe Siebert, Laurent Whale
Couverture : Magdalena Pagowska
Éditeur : Au Diable Vauvert
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 300
Format (en cm) : 20 x 13 x 2
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9791030706291
Prix : 19 €