Classique de la littérature américaine, « La Terre demeure » est post-apo avant l’heure, avant les craintes de conflit nucléaire de la Guerre Froide... Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, des auteurs et des scientifiques, au-delà du seul cercle de la SF, envisagent la fin probable de l’Humanité du fait même de son existence et de ses effets sur son environnement. George Stewart s’appuie sur les méfaits de la mondialisation, la concentration urbaine, la contagion, la réticence à la vaccination... - des choses terriblement contemporaines, avec l’épidémie de Covid-19 - pour éradiquer la quasi-totalité de la population des USA. Ish, son personnage, jeune biologiste, refuse de désespérer, et entreprend, guidé par un esprit scientifique, de ne pas laisser le monde des hommes s’effondrer.
Après un périple aller-retour, quelques rencontres parfois heureuses, souvent prudentes, il en arrive à la conclusion que le groupe est nécessaire à la survie, à la bonne santé mentale, et que l’entraide est indispensable. Il entreprend donc de réunir autour de lui des survivants « sélectionnés », écartant les violents, les marginaux, bref ceux qui sont retournés à une loi du plus fort dès que les conventions sociales sont tombées. Ce sera d’abord Em, une femme métisse un peu plus âgée que lui, et sa future compagne jusqu’à leur mort, puis d’autres, jusqu’à fonder une petite tribu.
L’auteur écarte dans un premier temps les questions trop terre-à-terre de la survie : l’abondance de provisions règne, les magasins débordent. Non, ces choses-là viendront peu à peu, tout comme l’adduction en eau ou l’électricité qui s’arrêteront un jour faute d’entretien des installations. Le roman laisse aux personnages le temps de s’organiser, de voir l’espoir renaître avec des naissances. C’est une période bénie d’innocence retrouvée. L’auteur fait une rapide ellipse, en quelques pages, d’une vingtaine d’années, avant que dans la seconde moitié les problèmes apparaissent. Et au-delà de l’abondance qui touche à sa fin, ce sont surtout les problèmes sociaux qui déborderont Ish et sa petite tribu. Remise en cause de l’autorité, questionnements des règles par les plus jeunes, menaces extérieures, deuils... Ce nouvel Eden décline rapidement, Ish assiste impuissant aux catastrophes qu’il avait prédites, avant une nécessaire nouvelle voie.
Dans son roman, en donnant la parole à un scientifique, George R. Stewart fustige le capitalisme et ses excès, dénonce le danger de la religion comme refuge, et met en garde contre l’attrait d’une liberté absolue : pour vivre en harmonie, les hommes ont besoin de règles, de lois, qui s’intègrent dans l’ordre naturel. Sa conclusion, lorsque s’éteint Ish, donne à penser qu’une humanité pourtant lavée des défauts de ses ancêtres tombe pourtant dans des travers, comme si le mal était enraciné en nous, bien plus profondément que la science, la raison et leurs bienfaits.
Très beau, très doux, prenant le temps d’une vie où plus rien ne presse, où tout est à redécouvrir ou à réinventer, et bercé d’une philosophie un rien pessimiste mais réaliste, « La Terre Demeure » nous conte la fin d’une Humanité, et nous rappelle que nous ne sommes que de fragiles fourmis (et encore) dont la planète, malmenée, n’a que faire.
C’est une excellente chose qu’il intègre le catalogue Folio, où on lui espère une large audience, tant pour la portée de son message que la beauté de sa prose qui vous marquera profondément.
Titre : La Terre Demeure (Earth abides, 1949)
Auteur : George R. Stewart
Traduction de l’américain (USA) : Jeanne Fournier-Pargoire
Couverture : John Webb, Cry me a river, 2019 (détail)
Éditeur : Gallimard (édition originale : Hachette, 1951 sous le titre « Le pont sur l’abîme » ; Robert Laffont, 1980, Fage, 2018)
Collection : Folio
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7139
Pages : 524
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : septembre 2022
ISBN : 9782072952432
Prix : 9,70 €