Revenons au premier album publié, “La Reine de la Côte noire”, signé Pierre Alary. L’album a le goût véritable des Pulps, là où paraissaient autrefois les nouvelles de Robert E. Howard. S’il semble que le dessinateur a manqué d’un peu de temps pour bien peaufiner son dessin - il y a des loupés sur quelques cases avec parfois déformation de personnage - cela reste sympa pour une entrée en matière assez jubilatoire.
Une aventure effrénée, qui voit Conan dans un rôle du pirate, hérité dans une fuite éperdue afin d’échapper à des poursuites pour le meurtre d’un magistrat. Il rencontre la légendaire Bêlit, autoproclamée Reine de la Côte Noire. Elle tombe vite sous le charme de ce guerrier invincible et voit en lui celui qu’elle a toujours attendu, le roi pirate qui mènera ses hommes à la gloire... Jean-David Morvan et Pierre Alary livrent une interprétation grand spectacle d’un récit qui montre toutes les facettes du personnage et forme la synthèse de son essence mythologique.
À lire dans le même temps que paraît “Le Colosse noir”, par Vincent Burgeas et Ronan Toulhoat. Là encore, tout démarre pour Conan avec une rencontre liée au hasard puisque c’est Yesmala, princesse et régente du royaume en personne qu’il croise. Elle aurait vu Conan en rêve : les dieux l’ont désigné comme le général qui doit mener ses armées contre les hordes démoniaques du sorcier Nathok. De simple soldat, il devient général et une fois encore Conan fera merveille. L’adaptation est très bonne, Conan est convainquant, avec un moment d’anthologie dans cette énorme bataille qui dure le temps de 16 pages totalement ébouriffantes. Énorme !
Félicitations au dessinateur pour qui c’était un vrai challenge. Un petit bémol au niveau des personnages secondaires ressemblant trop à ceux des bandes dessinées médiévales des deux compères (“Le Roy des Ribauds”, “Ira Dei”). Pour moi, il y a redite ou manque de temps ou de travail pour trouver d’autres profils d’acteurs. Néanmoins, nous sommes totalement entrés dans le vif du sujet, avec un dessin plus en force correspondant bien à l’image qu’on peut se faire de Conan. C’est un album vraiment très réussi.
Avec “Au-delà de la rivière noire” par Mathieu Gabella et Anthony Jean, duo majeur de la série “La Licorne” (Delcourt), on arrive sur un texte un peu particulier dans l’univers Conan. Howard a envie de s’essayer au western et se teste sur cette nouvelle. Dans la Province de Conajohara, les colons malgré les pictes, chassés toujours un peu plus de leurs terres. Unis autour du sorcier Zogar Sag, ils préparent une contre-attaque terrifiante sur le fort qui protège les colons.
C’est l’album où mon avis est le plus mitigé. Beaucoup d’action dans un jungle luxuriante et vénéneuse pour un Conan en mode mercenaire, sauveur d’un monde au cœur d’un duel où la magie sera convoquée. Une réalisation plus que correcte mais sans grande surprise. C’est pro, mais cela manque d’une véritable originalité sur un des textes où Howard fait dire cette phrase extraordinaire en touche finale : « La civilisation n’est qu’un accident. La barbarie finira toujours par triompher. » À méditer par ces temps très troublés... Néanmoins c’est un album très au-dessus de la moyenne générale, avec quelques scènes fort spectaculaires et des ambiances, aux couleurs bien senties, où la sorcellerie épouse quelques nuits sauvages, moites et plus qu’inquiétantes.
Et puis arrive le chef-d’œuvre, un album qui m’a mis sur le cul (excusez moi l’expression !) “La fille du géant du gel”. Robin Recht s’empare de la première nouvelle consacrée à Conan (l’excellent Patrice Louinet vous l’explique en fin d’album), un texte simple, linéaire, à la dimension ouvertement sexuelle, qui livre l’image brute de ce qu’est alors Conan : un barbare qui tue et qui viole.
L’histoire est la rencontre, au pays des Vikings, d’une légende qui fait battre le cœur des plus vaillant combattants et de la présence inattendue d’un barbare inconnu. Lui vient pour se battre ; elle, Atali, vénérée comme une déesse car fille d’Ymir, le premier géant, créateur de tout.
Elle vit le froid glacial comme une caresse à son corps dénudé, sa chevelure de feu enflammant l’immense continent des neiges éternelles. Elle joue, elle provoque, elle est la femme offerte au guerrier le plus brave qui la suivra pour atteindre l’Odroerir où il est attendu au banquet de son dieu. Mais au fameux jour, pendant l’effroyable bataille, le son d’un cœur que ne connaît pas Atali sonne à son oreille. Il sera la surprise qu’elle n’attendait pas en vainqueur de l’effroyable combat. Elle sera la vision qui va obséder ses sens. Il ne pense qu’à une seule chose, la posséder. Recht s’empare alors de ce désir intense pour en faire un jeu de séduction au féminin, une obsession folle au masculin, une poursuite intense et sauvage dans le froid, le gel, la nuit glacée, les pièges mortels des crevasses montagnardes dont ce cœur de combattant farouche triomphe sans cesse.
Tom , Tom, Tom, Robin Recht impose la force bestiale du barbare dans une mise en page incroyable où la classe du dessin, la puissance du découpage, la formidable mise en scène de la tonalité obsédante sont impressionnantes. Le dessinateur ose multiplier les pleines pages, les doubles pages, et des compositions rarement vues en album. Du grand art auquel il faut ajouter l’impressionnante mise en couleur. Cet album est une grande réussite, il rend honneur au travail d’écrivain d’Howard et est la pépite de cette collection, plutôt convaincante et qui, je l’espère, nous fournira d’autres belles surprises.
Notons encore le bon design de collection, les illustrations ajoutés en fin de chaque album et les dossiers signés Patrice Louinet (spécialiste de l’œuvre d’Howard) et grand coordinateur avec Jean-David Morvan de cette collection fort réussie.
Le prochain rendez-vous se fera avec “Conan le Cimmérien - La Citadelle écarlate” avec un scénariste aux tonalités toujours bien senties, Luc Brunschwig et un excellent dessinateur, Étienne Le Roux.
Le résumé : La déchéance d’un roi. La chute d’un royaume.
Tout commence sur un champ de bataille. Conan, alors roi d’Aquilonie, affronte une coalition de traîtres menée par le sorcier Tsotha-Lanthi qui, pour venir à bout de la rage du cimmérien, use de ses sortilèges avant de le neutraliser de la plus lâche des façons. Capturé vivant, Conan est emmené dans les terribles geôles de la citadelle écarlate pour y subir un sort pire que la mort et obtenir son abdication, pendant que les armées du sorcier marchent vers sa capitale. L’horreur de la prison et la redoutable magie du sorcier auront-elles raison de la résolution inflexible de Conan ? Celui-ci parviendra-t-il à s’échapper pour rejoindre son peuple à temps ?
Luc Brunschwig et Étienne Le Roux relèvent le pari d’adapter l’une des nouvelles les plus sombres de Conan, dans laquelle le cimmérien effectue probablement la plus grande chute de son histoire : de roi glorieux, il devient prisonnier pathétique. Un récit noir, haletant, bourré d’enjeux diplomatiques et de tensions, où le mythe redevient humain.
Un album programmé pour le 27 mars 2019.
Ah ! j’ai aussi repéré “Conan le Cimmérien - Chimères de fer dans la clarté lunaire”, et celui-ci je l’attends car c’est Virginie Augustin qui s’y colle.
Le Résumé : Sur une île, le danger ne vient pas toujours de l’extérieur…
Une jeune femme en danger est poursuivie par son vil maître. Conan, dont les siens viennent d’être décimés par ce même maître, met un terme à la cavale de la belle et la sauve d’un coup d’épée. Liés par le destin, le couple décide alors de prendre la route ensemble. Leur périple les mène sur une île où ils découvrent sur place d’étranges ruines habitées par une sombre magie. Leur refuge paradisiaque se transforme aussitôt en huis clos étouffant où rodent les ombres. Qui sait l’étendue des dangers qui y résident… ?
Nouvelle considérée comme mineure dans l’œuvre d’Howard, “Chimères de fer dans la clarté lunaire” est toutefois révélatrice du génie de son auteur à décrire des univers aussi singuliers que mystérieux. Par son trait à la fois délicat et puissant, Virginie Augustin sublime cette atmosphère oppressante et mystique et lui offre un nouveau souffle graphique.
Et c’est bien ce souffle graphique que j’ai hâte de découvrir, dans l’album en couleur ou dans l’édition spéciale en Noir et Blanc prévus pour le 29 mai.
Car la collection vous propose chaque fois l’album de commerce courant, en couleur, et un tirage spécial au tirage plus limité, qui fait apprécier, sous couverture alternative, le trait de chaque dessinateur. Intéressant et souvent l’occasion pour se faire une petite collection d’ouvrages hors normes.
Il reste quelques aventures de Conan à découvrir dans cette collection d’une belle diversité graphique et qui nous réserve, je le souhaite vivement, encore de nombreux instants de plaisir.
Conan le Cimmérien
Glénat, 80 pages couleurs, 14,95 € pour chaque album
J’ai souvent évoqué Patrice Louinet dans un ensemble d’articles évoquant cette série de bandes dessinées mais également le magnifique “Conan” paru en fin d’année 2019, splendide ouvrage Collector réunissant l’ensemble des écrits de Rober E. Howard. En spécialiste de son œuvre, il a notamment traduit et dirigé cette nouvelle édition parue aux éditions Bragelonne (amis lecteurs, c’est là qu’il faut aller). Il est l’homme de la situation, aux côtés de Jean-David Morvan pour faire de cette série en bandes dessinées une vision référentielle de qualité, dans un style graphique européen... ce qui n’avait jamais été fait auparavant.
Le plaisir de découvrir de grands dessinateurs dans cette très belle aventure est entier, les para-textes, essais et illustrations ajoutés en dossier à chaque fin d’album sont des moments qui complètent à merveille cette grande aventure.
Lisez “Conan” en bande dessinée et, surtout, ne loupez pas la chance incroyable que nous avons de re-découvrir ses récits dans un écrin de très grande qualité.
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Illustrations © Glénat et les auteurs