Jean-François Chabas s’essaie à la fantasy, et c’est une histoire pétrie des images traditionnelles du merveilleux qu’il nous livre. On se sent plongé dans les contes de Grimm ou Perrault, mais pas les versions édulcorées de notre enfance !
La première partie, contant le rapt du prince, est très sombre, avec une sorcière cannibale, capable de voler la peau d’un homme, et prête à tout pour assouvir sa faim, y compris déchaîner la mort et risquer son existence millénaire. Cette pulsion irrépressible est palpable dans le texte, malgré l’usage d’un regard externe, qui permet une heureuse distanciation (on est en littérature jeunesse, tout de même). Mais la sorcière fait vraiment peur, dans sa sauvagerie, sa quasi absence de limite, son incapacité même à résister à sa propre faim. La magie noire qu’elle déploie est aussi terrifiante, et l’on comprend mieux l’importance du secret de sa faiblesse - le feu - tant elle incarne une force contraire à la société des hommes.
En comparaison, l’histoire de Phelan est presque de la guimauve. Jeune homme grand beau et fort, héros idéal, il est un peu niais, tout naïf paysan - et encore, il est bien oisif - jamais sorti de son village. Son meilleur ami ferait un parfait Hercule de foire, et leur vie est d’autant plus insouciante que rien ne menace. Ils iront donc chercher les ennuis tout seuls, quand Phelan se toque de la princesse Nara enlevée par l’Ogre et, au lieu d’en faire son deuil, décide de partir à sa rescousse, quitte à attirer l’attention du monstre sur le royaume. Il fait fi des conseils de tous, mais au premier danger, il sera content que son beau-père Elgin lui porte secours.
Au centre de ce premier tome, on trouvera l’histoire du vieux soldat, et sa rencontre avec les fées, dont la Zi en couverture (et que nous sommes donc amenés à revoir). Un conte enchâssé, narrée par la mère à un Phelan encore petit, et à forte portée morale. Après de multiples aventures, dangers et émerveillements, alors qu’Elgin se croyait sauver, le piège - et son terrible châtiment - s’est refermé.
Cette histoire n’aura pas mis de plomb dans la tête de Phelan, il lui faudra une mortelle rencontre avec les frères Ablakar pour se dessiller. Mortelle mais aussi hilarante, car les 3 assassins ont été métamorphosés en souris, craignent la lumière du jour mais tentent néanmoins de détrousser les voyageurs tombant dans leur embuscade. Hélas, ils sont tombés sur plus fort qu’eux, ce qui explique leur état. Malgré leur opiniâtreté à l’occire, Phelan s’en démêle par la ruse et l’éloquence...
On retrouve dans l’histoire de Phelan et ses péripéties le charme enchanteur de la fantasy de mon enfance, un merveilleux encore épargné par la déferlante de Donjons & Dragons et ses codes. On pense très vite à quelques films de l’époque, à la photographie et au scénarios marquants : « Willow » (1988) de Ron Howard, « Princess Bride » (1987) de Rob Reiner (d’après le roman de William Goldman), « Legend » (1985) de Ridley Scott. Des pépites qui n’ont pas encore trop mal vieilli.
Vingt ans plus tard, après la déferlante des adaptations de Tolkien par Peter Jackson et l’omniprésence d’une fantasy issue des jeux de rôles, « Phelan » marque un salutaire retour à des sources nobles, celle du merveilleux, du féérique, où les aventures ne sont pas galvaudées, les exploits monnaie courante, les ennemis décimés par centaines. Et le héros n’a rien d’héroïque : il peine déjà à se faire obéir de son cheval et, jamais sorti des jupes de sa mère, déchante bien vite quand ses rêves sont balayés par la réalité. Mais il s’obstine, avec son esprit buté de gamin et son ego d’adolescent, et ne doit sa survie qu’à deux choses : la nature imaginaire de ses assaillants ou leur bouffonnerie.
On connait la finesse de l’écriture de Jean-François Chabas, et ici encore il dose à merveille les émotions, celles du héros et de nous autres lecteurs, entre frayeur et rires, ces derniers souvent aux dépens de Phelan. Le jeune homme, maladroit, froussard, sait se ressaisir et renverser les situations. Espérons que sa malice le gardera en vie dans le tome suivant. Il aura fort à faire avec les fées, qui sont de dangereuses adversaires.
Loin des boules de feu des jeux de rôle susnommés, la magie dans « Les Chroniques de Zi » revêt ses atours terrifiants. La magie est l’opposé de la raison, de la logique, de tout ce qui fait l’homme, elle est une force contre laquelle il ne peut rien, une force qui vient à bout des défenses placées autour du jeune prince, une puissance qui peut mutiler d’un simple regard, blesser sans qu’on puisse s’en défendre. Un contre-pouvoir aux hommes, une incarnation du mal, des choses sauvages, non civilisées.
Sous ses apparences de légèreté de ton, « Phelan » n’a rien d’innocent ni de tranquille, et on ne peut que râler de n’avoir que 200 et quelques pages à se mettre sous la dent. Vivement la suite, avec on l’espère une aussi belle couverture.
Titre : Phelan
Série : Les Chroniques de Zi, tome 1
Auteur : Jean-François Chabas
Couverture : Guillaume Morellec
Éditeur : Nathan
Collection : Roman grand format
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 209
Format (en cm) : 20 x 13 x 1,5
Dépôt légal : janvier 2018
ISBN : 9782092574928
Prix : 15,95 €
« Phelan »
« Nara »
« Turi »
« Oviri »
« Chuluun »