« L’instinct du Troll » n’avait pas suffit à Jean-Claude Dunyach pour épuiser son stock de jeux de mots ; et comme il aime à le dire, s’il avait su plus tôt qu’écrire des bêtises lui vaudrait un tel succès... il ne se serait peut-être pas risquer à publier les nouvelles de SF parmi les plus émouvantes et poétiques qu’il nous aura été donné de lire. Le troll est donc son côté obscur, la preuve qu’un de nos champions du genre peut tomber dans le contrepet et le trait d’esprit format baliste.
“ Les gobelins ont l’habitude de faire tapisserie. ”
Mais, comme dit précédemment, l’humour est quelque chose qu’il pratique avec le plus grand sérieux, mince, on est là pour vendre des livres, pas pour rigoler... Comme d’autres grands de l’humour, je pense entre autres au bédéiste Jean Tabary et son grand vizir Iznogoud, Jean-Claude Dunyach fignole ses gags. Aucune blague n’est innocente ou spontanée, toutes sont soigneusement amenées par l’intrigue, et ne semblent là que pour casser irrémédiablement une intrigue d’excellente tenue qui cette fois oscille du côté du film d’espionnage façon James Bond des bonnes années, avec décors paradisiaques et câlins dans la soute du navire « pour passer le temps ». Mais même ces parties de frotti-frotta (vu les créatures, je ne parle pas de jambes en l’air) ne sont pas inutiles et participent à l’histoire, provoquant quelques frayeurs à l’équipage. La passion des deux trolls est aussi un contrepoint aux amours compliqués de Sheldon et Brisène, couple résolument moderne dans lequel les rôles traditionnels sont inversés, et ses deux membres dysfonctionnels dans leurs relations.
Le fond des aventures du troll demeure toujours cette critique franche du monde de l’entreprise, des aberrations nées de la hiérarchie, de la paperasse, des commissions inutiles, des réunions stériles. Lorsqu’ils arriveront au volcan, les choses seront pires que prévu : tout fonctionne à merveille ! C’est donc non seulement louche, mais très dangereux. Si cela venait à se répandre ? Trop d’efficacité pourrait être fatal... On rit donc aux trouvailles métaphoriques de l’auteur, mais on réfléchira à deux fois à ces détournements pas si innocents que cela, et à interroger son propre cercle professionnel, on lui donnera souvent raison. Parce que l’humour corporate résonne en chacun de nous, un son tantôt clair et franc, un glas parfois triste et lugubre.
“ Un héros, c’est rien d’autre qu’un manager qui fait lui-même le boulot. C’est pour cela qu’ils sont si rares. ”
Ajoutez-y des chevaliers « peu toniques » en stage de remotivation pour apprendre non plus à chercher mais à trouver le Graal (en cherchant là où il est plutôt que là où il n’est pas), des zombies tarifés, un vieux maître vert et rabougri pourtant sage et empli de For... force, la recette de fabrication des diamants pour les fringales post 5-à-7 (c’est un cercle vicieux) et la vraie raison d’être des boules à neiges... Et vous obtenez une aventure à la fois trépidante, burlesque et qui donne à réfléchir.
Il n’y a que Jean-Claude Dunyach pour réussir un tel cocktail.
Miroir de notre société, « L’enfer du Troll » nous fait rire noir des états d’âme d’une créature pas si inébranlable que cela, tournant en dérision les travers de la fantasy et autres genres à la mode de l’Imaginaire tout autant que les repères quotidien de notre monde du travail.
Titre : L’Enfer du Troll
Fait suite à : L’instinct du Troll
Auteur : Jean-Claude Dunyach
Couverture : Gilles Francescano
Éditeur : L’Atalante
Collection : La Dentelle du Cygne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 203
Format (en cm) : 18 x 13 x 1,7
Dépôt légal : mai 2017
ISBN : 9782841727605
Prix : 12,90 €