Ted Chiang est un auteur aussi rare que primé. Ce recueil de huit nouvelles constitue l’intégralité de sa production de 1991 à 2002, et rien de nouveau n’est envisagé à ce jour. L’auteur a cependant empoché trois prix Nébula, deux prix Hugo, un Sidewise Award et le Theodore Sturgeon Award, excusez du peu ! Si Ted Chiang travaille sur des sujets connus, les mathématiques et l’essence de la vie sont des points récurrents dans son œuvre.
Quatre nouvelles sont à mettre plus particulièrement en avant. La Tour de Babylone décrit la construction par les hommes d’une tour gigantesque destinée à atteindre la voûte céleste pour la transpercer. Après des siècles de labeur, Hillalum et son équipe s’attaquent à la dernière étape, craignant chaque jour un peu plus la colère de Jéhovah. Si celle-ci ne vient pas, la réponse trouvée par ces hommes est une désillusion.
Dans l’Histoire de ta vie, l’auteur met en scène la rencontre des hommes avec une espèce extraterrestre non agressive. L’armée organise le déroulement des contacts avec la linguiste Louise Banks qui obtient certains résultats. Parallèlement à ce récit, Louise narre avec sensibilité et douceur la douleur d’avoir perdu sa fille. Si T. Chiang décrit assez classiquement des militaires américains paranoïaques, il laisse volontairement cette rencontre sans conclusion.
Soixante-douze lettres, dans une ambiance steampunk, raconte l’histoire d’un jeune savant créateur d’automates qu’il anime grâce à des mots constitués à partir des 72 lettres de la kabbale. Robert Stratton est engagé sur un projet vital de création de la vie car l’espèce humaine doit disparaître dans cinq générations, ayant épuisé son capital (fini) de reproduction. Robert apporte sa science des lettres à ce projet mais prend peur quand son employeur dérive vers l’eugénisme.
L’enfer, quand Dieu n’est pas ici, est une nouvelle au ton plus léger malgré un thème central morbide : Neil Fisk a perdu sa femme lors de l’apparition d’un ange, et cherche à tout prix à la rejoindre. Les anges existent bel et bien et apparaissent sur terre, apportant guérison et miracles, mais également mort et destruction, leur puissance détruisant les ponts ou causant des lésions graves. Le narrateur envisage l’amour de Dieu sous divers angles par l’intermédiaire de plusieurs personnages, mais la quête du héros consiste à trouver cet amour.
Les autres nouvelles illustrent plusieurs thèmes connus. Comprends s’intéresse aux surhommes, nés à la suite de l’utilisation d’un nouveau médicament, et raconte l’affrontement de deux supra-entités. Division par zéro voit une mathématicienne géniale aboutir à la conclusion que les mathématiques sont fausses : elle sombre alors peu à peu dans la folie. Dans Aimer ce que l’on voit : un documentaire, T. Chiang étudie à sa façon le rôle de l’apparence dans nos sociétés et propose comme solution une technologie rendant insensible à la beauté. La dernière nouvelle de trois pages est convenue et peu intéressante.
Il se dégage de l’ensemble une grande qualité littéraire et une vision scientifique de nombreuses questions souvent traitées par la science-fiction. L’être humain n’est pourtant jamais oublié et les pensées, les sentiments des héros, sont toujours décortiqués avec justesse.
Alliée à une superbe couverture de Manchu, La tour de Babylone est un grand moment de plaisir offert par Ted Chiang.
Fiche technique :-Titre : La Tour de Babylone
Auteur : Ted Chiang
Traduction : De l’américain par Pierre-Paul Durastanti et Jean-Pierre Pugi
Couverture : Manchu
Éditeur : Denoël
Collection : Lune d’encre
Pages : 343 pages
Dépôt légal : Avril 2006
ISBN : 2-20725456-9
EAN : 9-782207254561
Prix public : 20 €
23 mai 2006