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Mitochondries
Philippe Bastin
La Clef d’Argent, KholekTh., nouvelles (Belgique), fantastique, 106 pages, février 2010, 9€

Écrivain belge né à Liège en 1958, Philippe Bastin voit son premier recueil de nouvelles (huit) publié par les éditions de La Clef d’Argent (collection KholekTh).

Bonne idée et sensation agréable, l’auteur ne se limite pas seulement à l’exploration de thématiques fantastiques assez classiques, même s’il le fait très efficacement quand c’est le cas, mais propose aussi trois textes centrés sur le sport, un sujet rarement exploré intelligemment dans les littératures de l’imaginaire.

Une bien belle surprise chez un éditeur qui nous en offre très souvent.



Le premier élément qui frappe véritablement le lecteur de ce « Mitochondries » est l’unité stylistique de la plume rencontrée. La langue est belle, travaillée, fluide, souvent originale. Bref il y a du talent dans les écrits de Philippe Bastin qui dès son premier recueil nous oblige à noter très sérieusement son nom dans un coin de notre esprit.

Le genre fantastique, bien qu’assez récent (XVIIIe siècle), est exigeant en cela qu’il n’a jamais été accaparé, contrairement à la grande majorité de la production de science-fiction, par des auteurs se limitant à n’écrire que cela.
On serait bien en peine de tous les citer, mais aborder volontairement des rives qui ont accueilli aussi bien Honoré de Balzac que Guy de Maupassant, Dino Buzzati ou Jorge Luis Borges, le poète Marcel Béalu ou Jean-Louis Bouquet pour n’en citer que quelques-uns qu’évoquent ce recueil, vous impose des critères de qualité évidents. Au pays des grands stylistes, les faux-pas ne sont pas autorisés.
Du point de vue des thématiques, c’est évidemment un peu le même phénomène. On ne sait jamais si l’imaginaire de l’auteur est l’élément central validant l’originalité du récit ou si, tout simplement, la grandeur d’un style justifiera tout.

Philippe Bastin s’inscrit, sans contestation possible, dans la grande tradition des écrivains fantastiques qui prennent plus de plaisir à évoquer le mystère plutôt que de l’expliquer. Son charme réside aussi dans cette attitude de retrait volontaire qu’il impose à ces narrateurs, observateurs impuissants de faits troublants qu’ils n’éclaireront jamais d’un quelconque raisonnement logique.

Le bain des damnés” qui narre l’apparition d’une noce maudite, une fois l’an dans un petit village du Maghreb, véhicule l’éternelle inquiétude née dans ces histoires que l’on se raconte volontiers depuis des lustres une fois les douze coups de minuits sonnés.
Tout comme “La dette” d’ailleurs, qui me semble vouloir renouer avec le beau classicisme, certes un peu désuet, des récits croisés dans les grandes anthologies du genre. Le thème de la vente d’une âme au Diable (ou à la mort) pour des motifs de vengeance à accomplir n’a nul besoin d’autre chose que d’une belle plume pour distraire.
L’homme-crochet” pourrait amener quelques jeunes lecteurs à se souvenir de séries B (ou Z) du cinéma d’horreur contemporain, mais le lieu du malaise (un canal désaffecté) et la conclusion sanglante de l’histoire sont sans âge particulier.
Ces trois textes, toujours très bien sentis et écrits, sont donc par essence intemporels, mais aussi les moins originaux du volume (tout en étant très réussis).

Seconde nouvelle du roman, “La tragédie du Muséum des Sciences naturelles de Vienne” a ce petit plus qui force l’adhésion. Il y a dans la description minutieuse de la résurrection explosive de milliers d’animaux morts et naturalisés une énergie et un humour assez réjouissants. Malgré l’horreur, on sourit à cette explosion de vies qui n’auraient jamais dû renaître et la sensation est très rafraîchissante.

L’histoire de mon double” est un texte plus difficile à aborder, mais qui récompensera l’obstiné, curieux par essence. D’une grande noirceur, sans événements marquants, il se borne à raconter une histoire étrange qui se finit mal. Mais du pourquoi ou du comment, on ne saura rien. À l’image du narrateur, héros perplexe, on sort de l’aventure en se posant des questions dont les réponses n’existent pas.

On ne sait si Philippe Bastin est un fidèle des journaux et magazines sportifs, mais on soupçonne que le sujet le passionne.
En effet, “Qu’est devenue Natalia Lachtchenko ?” nous permet de découvrir une jeune gymnaste russe qui, de conquêtes sportives en sacres et titres variés, mincit et rapetisse, inexplicablement, de plus en plus.
L’histoire, racontée par un journaliste sportif, a l’immense qualité de ne pas renvoyer aux oubliettes de la littérature le statut du personnage central et fait qu’immanquablement on se demande aussitôt ce qu’il est advenu d’anciennes gloires de notre propre passé, visions de poupées désarticulées aperçues virevoltantes lors de précédentes compétitions et dont nous n’avons plus jamais entendu parler depuis...

Sous un titre poétique, la nouvelle “Les nuages grimaçants” donne surtout l’impression d’être le prélude d’un roman fantastique moderne. Une conspiration internationale inavouable y serait la clef d’une intrigue à la Stephen King qui passionnerait la ménagère de 20 à 70 ans.
Des athlètes venus de l’ancien bloc de l’Est trustent les podiums mondiaux, mais une fois de plus, un journaliste sportif plus curieux que les autres remarque que ces médaillés sont tous porteurs du même tic au visage, fait hautement improbable et curieux. De là à penser qu’un quelconque tripatouillage scientifique est à l’origine de leur réussite, il n’y a qu’un pas. Sauf que...
Sauf que, Philippe Bastin s’arrête volontairement là ou d’autres débuteraient vraiment leur roman. Et c’est heureux car l’effet fantastique joue alors à plein régime.
Ne rien expliquer, juste se borner à lancer l’enquête et conclure sur un grand point d’interrogation est décidément le privilège des écrivains qui savent contenir le plaisir de leurs lecteurs.

Last but not least, “Mitochondries” est la première nouvelle du recueil ainsi que celle qui lui donne son titre. On comprend.
C’est aussi la plus frappante et sans doute la plus surprenante. Si le propos semble fantastique, le traitement de l’histoire, ses justifications scientifiques, la rattachent entièrement au registre SF.
Le final apocalyptique, peu à peu découvert dans toute son horreur via les nombreux témoignages des spectateurs d’une finale olympique du 100 mètres, densifie la portée symbolique de la tragédie.

Des huit textes qui composent ce « Mitochondries » on retient une forme de morale. Le dépassement de certaines frontières est tout aussi dangereux pour ceux qui s’y risquent que pour les observateurs innocents, mais trop curieux !
Une ambition fantastique sans concession, un rien sadique, qui ne fait qu’augmenter notre plaisir de simple lecteur.

La seule chose que l’on regrette vraiment dans cette presque intégrale des nouvelles fantastiques de Philippe Bastin, c’est l’absence dans ce recueil du beau texte “Murat”, publié dans le numéro du Codex Atlanticus (N°18) et dont nous avions déjà signalé les grandes qualités.

Ceci dit, rien ne vous empêche d’investir doublement à La Clef d’Argent !


Titre : Mitochondries (nouvelles, 2010)
Auteur : Philippe Bastin
Couverture : Running Muscle Man (© Dan Marsh)
Conception et mise en page : Philippe Gindre
Nouvelles : 1. Mitochondries. 2. La tragédie du Muséum des Sciences naturelles de Vienne (in Codex Atlanticus n°7, 1999). 3. Le bain des damnés (in Codex Atlanticus n°10, 2000). 4. L’histoire de mon double. 5. La dette. 6. Qu’est devenue Natalia Lachtchenko ? 7. L’homme-crochet (in Codex Atlanticus n°17, 2008). 8. Les nuages grimaçants.
Éditeur : La Clef d’Argent, 9, rue du Stade, 39110 Aiglepierre
Collection : KholekTh (Contes et nouvelles étranges et fantastiques : un livre, un auteur).
Sites Internet : page recueil, fiche auteur (site éditeur), site auteur - Philippe Bastin
Pages : 106
Format (en cm) : 11 x 17,5 x 0,5 (poche, broché)
Dépôt légal : février 2010
ISBN : 978-2-908254-76-1
Prix : 9 €


Nota bene
Frais de port gratuits si votre commande est passée par Internet directement sur le site de l’éditeur quelle qu’en soit le montant et votre adresse de réception !


Stéphane Pons
5 mars 2010


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Un recueil de nouvelles fantastiques par un écrivain belge talentueux que nous découvrons à cette occasion (La Clef d’Argent éditeur).



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Philippe Bastin (© photo La Clef d’Argent).



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