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Furies Déchaînées
Richard Morgan
Bragelonne, Milady, Science-fiction, traduit de l’anglais (Grande Bretagne), science-fiction, 668 pages, octobre 2009, 8€

Troisième volume des aventures de Takeshi Kovacs, « Furies Déchaînées »
reprend le ton et les thèmes de l’univers développé par Richard Morgan.

Toujours violent, mais semblant par moments à la recherche d’une rédemption, l’ex-soldat des Corps Diplomatiques nous entraîne dans des aventures dépourvues de temps mort, avec en toile de fond une réflexion sur l’Histoire et sur ceux qui la font.



Avec l’excellent « Carbone Modifié », puis le solide « Anges Déchus », on l’avait compris : Takeshi Kovacs aurait comme une légère tendance à occire ses semblables. Dans « Furies Déchaînées », il ne déroge pas à la règle. S’il évite une rixe mortelle au premier chapitre et n’y démolit guère qu’un yakusa, c’est essentiellement en raison d’une blessure glanée en éliminant une pléthore d’ennemis. Recherché par toutes les polices de la ville, il passe le chapitre deux dans un bouge. Bilan : huit morts. Au couteau. S’il ne tue personne dans les chapitres quatre et cinq, c’est simplement par manque de chance : dans un premier temps les circonstances ne s’y prêtent pas, puis il se fait sottement prendre de vitesse - lorsque trois de ses agresseurs sont transformés par son voisin en macchabées démembrés et fumants, on compatirait presque à sa frustration.

La suite est du même acabit. Ca meurt dans tous les sens et ça ne fait pas dans la dentelle. Par moments, Takeshi Kovacs remballe les flingues et fait preuve d’idées larges : discours contre l’extrémisme religieux, défense de la place des femmes dans la société, reproche de la violence intrinsèque de toute théorie révolutionnaire. Au fil des trois volumes, on a ainsi vu Richard Morgan chercher à humaniser son personnage. Mais, compte tenu de la manière dont Kovacs a été taillé dès le départ, on peine à croire à ses bons sentiments. Et ses peu vraisemblables accès de tolérance ne sont, au fond, que des motifs pour se mettre un peu plus en colère. « J’ai senti une tranquillité froide et destructrice s’emparer de moi quand j’ai regardé Tres. C’était presque confortable, comme si j’étais enfin rentré chez moi. » Voilà le type de réflexion que se fait le héros en discutant avec une alliée.

Chaque chapitre fonctionne à la manière d’une séquence cinématographique. Affrontements physiques ou verbaux, voyage en compagnie d’un cadavre télécommandé, réalités virtuelles, réenveloppements dans de nouveaux corps au fil des générations, drones et satellites tueurs, robots en tous genres, cyberpiratages, personnalités factices, duplications d’individus, intelligence extra-terrestre, gunfights, opérations clandestines, assassinats, kidnappings, trahisons, marchandages, assauts, règlements de comptes et rebondissements en tous genres rythment une intrigue planétaire mais aussi, de par leur nombre, la brouillent quelque peu. Car si les thèmes et les idées sont bien là, la surabondance des péripéties finit à la longue par leur nuire.

Au total, le roman fait plus de 650 pages et n’en nécessitait sans doute pas tant. On ne saurait pour autant accuser l’auteur de tirer à la ligne. Contrairement à ce que l’on voit trop souvent, les descriptions sont denses et concourent à la mise en scène de l’action, les dialogues n’occupent jamais une place inutile, et la part consacrée à la psychologie ne s’étend pas au-delà du nécessaire. Pour autant, tout comme d’autres romans de l’auteur, par exemple « Anges Déchus » ou le plus récent « Black Man », on a l’impression que les péripéties importent plus que le tout. En d’autres termes, l’auteur ne tire pas à la ligne, mais plutôt au chapitre. Si aucun de ces chapitres n’est ennuyeux, nombre d’entre eux ne concourent pas réellement à l’intrigue principale. D’où, au total, une impression d’homogénéité perfectible, et le regret que l’auteur, malgré la multiplicité des thèmes abordés, malgré la mise en place d’un cadre historique et planétaire fouillé, n’ait pas semblé trouver à développer son propos à la hauteur de la densité de son écriture.

La transmigration des esprits d’un corps à l’autre au fil des générations, la mise en sommeil d’une révolution par ses propres acteurs durant des siècles, la présence des reliques d’une intelligence disparue, par exemple, constituent des fils directeurs qui auraient bénéficié d’une attention plus soutenue, des thèmes qui auraient mérité un développement plus ample.
On retrouve ici les mêmes défauts que ceux du précédent roman, « Anges Déchus » : la porte sur les étoiles et le « big dumb object » découvert derrière elle n’y étaient, au fond, que le théâtre d’affrontements de type space-opera. Leurs dimensions supérieures, à la fois épique, historique, et métaphysique s’y effaçaient sous un flot de scènes d’actions.
À ce que nous écrivions plus haut, à savoir que chaque chapitre fonctionne à la manière d’une séquence cinématographique, on peut ajouter que « Furies Déchaînées » semble souffrir des mêmes travers que bien des longs métrages du genre : l’ambition du propos s’y voit noyée par la simple pyrotechnie. D’où –même si le final et l’épilogue ne manquent pas d’envergure et finissent par donner à l’ouvrage la dimension que l’on attendait– une note de frustration pour certains lecteurs, qui attendent de la démesure du décor et des thèmes un traitement d’emblée plus épique.

En dépit de cette réserve –nul ne saurait exiger que le genre s’enrichisse de nouveaux chefs-d’œuvre en permanence–, force est de reconnaître à Richard Morgan un talent pour ce qui n’est ni vraiment du cyberpunk, ni vraiment du thriller futuriste, ni vraiment du space-opera, mais un roman situé à la confluence de plusieurs inspirations. Avec « Furies Déchaînées », il nous propose ce que l’on sait désormais pouvoir attendre de lui : un récit tendu, sans temps mort, bourré d’action, dans lequel il fait fusionner adroitement thèmes, techniques, motifs et astuces propres au genre.


Titre : Furies Déchaînées (Woken Furies, 2005)
Auteur : Richard Morgan
Traduction (de l’anglais) : Cédric Perdereau
Couverture : Christian McGrath
Éditeur : Milady
Edition précédente : Bragelonne, 2005
Publication originale : Woken furies, Gollancz, 2005
Site internet : page roman
Pages : 668
Dépôt légal : octobre 2009
Format (en cm) : 18 x 11 x 3,7
ISBN : 978-2-8112-0212-5
Prix : 8 €



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Hilaire Alrune
8 février 2010


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