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Roi du Matin, Reine du Jour
Ian McDonald
Denoël, Lunes d’encre, traduit de l’anglais (Irlande), Fantasy, 504 pages, janvier 2009, 25€

Sous trois formes stylistiques radicalement distinctes l’une de l’autre, les trois parties de ce roman (en réalité, il y en a quatre, mais l’une d’entre elles est réellement anecdotique) relatent les destins intimement liés de trois jeunes filles d’Irlande du Nord, à des époques différentes.
Entre la raison et l’imagination, entre le mythe et la réalité, entre la folie douce et la violence crue des faits, il se trouve un interstice que peu de gens savent voir.



Le premier texte, “Craigdarragh”, se passe juste avant la Première Guerre mondiale. Dans une maison bourgeoise du nord de l’Irlande, deux drames sont en train de se dérouler. D’un côté, Emily Desmond tente de faire face aux affres de la puberté. De l’autre, son père, Edward Garret Desmond, éminent astronome de son état, est persuadé que la comète qu’il est en train d’observer n’est autre qu’un vaisseau spatial. Ses calculs lui démontrent même que ces extra-terrestres viennent d’Altaïr. Il mettra tout en œuvre, quitte à hypothéquer ses terres et s’aliéner ses confrères scientifiques, pour réaliser un contact visuel avec ces êtres venus de si loin. Quant à sa fille, livrée à elle-même, elle s’enfonce profondément dans les bois, totalement nue, à la rencontre de créatures féériques.

Dans cette partie qui prend la forme d’un roman épistolaire, le style est des plus classiques. À tel point que parfois, on a l’impression de lire du Arthur Machen, l’auteur du « Petit Peuple ». Tant par l’écriture que par les thèmes abordés, il existe un véritable lien.

Dans la deuxième partie, “Le front des mythes”, la transition stylistique est radicale. C’est si vrai qu’on a parfois l’impression de ne plus lire le même livre.
Là encore, on suit une jeune fille, Jessica Caldwell (dont on découvrira un peu plus tard le lien avec l’adolescente de la première partie) dans le Dublin des années 30. Accompagnée de son psychanalyste, de son père adoptif, et de deux étranges vagabonds, Gonzague et Tirésias (qu’on dirait tout droit sortis d’une pièce de Beckett), Jessica entame un voyage qui la mènera jusqu’à Craigdarragh, à la recherche de ses origines.

La dernière partie, “Shekinah”, est la partie moderne du roman. Elle se situe à la toute fin des années 80 (le roman date de 1991). De nouveau, le personnage principal est féminin. Enye MacColl est une jeune femme solitaire qui travaille dans la publicité. Elle a appris à se battre car, la nuit venue, elle doit affronter à grands coups de katana de féroces créatures mythiques. Cependant, l’ultime voie qui se révèlera à elle pour les combattre vraiment sera la foi en Dieu.

Quand on achève la lecture d’un livre comme « Roi du Matin, Reine du Jour », on est pris d’un étrange sentiment, celui d’une révélation. Étrange tant il est vrai que la lecture d’une telle œuvre n’est pas toujours aisée. Dans la deuxième partie, qui est à mon avis la plus aboutie, et la plus belle aussi, il y a des passages totalement déconstruits, puis reconstruits ; un peu à l’instar des talismans fabriqués par l’un des personnages pour repousser les mythes.
« Roi du Matin, Reine du Jour » est tout sauf une œuvre facile.
Par les thèmes qu’il aborde, notamment ceux des mythes et du folklore. On sait à quel point l’Irlande en est riche, pourtant l’auteur ne nous livre pas ici les plus évidents, les plus attendus.
Par la construction même de ce roman. Trois parties, trois styles, trois genres ou presque (la dernière partie peut être considérée comme de la fantasy urbaine ; c’est aussi l’élément le moins bon du roman car, paradoxalement, étant le plus moderne des trois, il est aussi le plus daté).
Chaque partie est comme un calque avec trois dessins différents. S’il existe quelques liens ténus, d’autres semblent beaucoup plus évidents. Néanmoins, quand on réunit les trois calques, on obtient un dessin qu’on ne pouvait deviner au départ. C’est magique !
Ainsi, lorsqu’on repose ce livre, on se surprend à avoir presque tout compris alors qu’on naviguait quelques fois totalement à vue dans les méandres d’un propos parfois brumeux et fantasmagorique.

Aux dernières Utopiales de Nantes, où il a reçu le Grand Prix de l’Imaginaire 2010, catégorie roman étranger, Ian McDonald disait qu’avec ce livre, il avait voulu se réapproprier les mythes de son pays. Selon lui, ceux-ci s’étaient retrouvés accaparés par des écrivains du monde entier, et notamment ceux des États-Unis. C’était pour lui un juste retour des choses. Encore fallait-il le faire avec talent. Celui de McDonald est immense et ce livre est une merveille.


Titre : Roi du Matin, Reine du Jour (King of Morning, Queen of Day, 1991)
Auteur : Ian McDonald
Traduction : Jean-Pierre Pugi
Couverture : Michel Koch
Éditeur : Denoël
Site Internet : fiche du roman
Collection : Lunes d’encre
Pages : 504
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : janvier 2009
ISBN : 9782207259818
Prix : 25 €


- À lire également sur la Yozone, « Brasyl » du même auteur.


Antoine Chalet
24 mars 2010


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