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Interférences
Yoss
Black Coat Press, Rivière Blanche, Fusée, roman, entretien et deux nouvelles, traduits de l’espagnol (Cuba), science-fiction, 180 pages, novembre 2009, 16€

Dans ce court roman axé sur trois nouvelles, Yoss nous présente les relations tendues entre deux pays voisins : le petit pays et le grand pays que tout oppose, aussi bien politiquement qu’économiquement.
Même s’il ne les nomme jamais, le parallèle avec Cuba et les États-Unis saute aux yeux.



Les trois textes ont été écrits à différentes périodes, puis réécrits pour en faire un roman novelliste comme « Demain les Chiens » de Clifford D. Simak, « Les Immortels » de James Gunn
« Interférences » n’a jamais été publié à Cuba, circulant juste de main à main sous forme numérique.

José Miguel Sánchez, plus connu sous le pseudo de Yoss, signe là un petit bijou d’humour satirique. D’un œil lucide, il épingle les travers de la société cubaine, comme de celle des américains, se montrant même irrévérencieux envers le Guide éclairé de son Peuple, le Dictateur affable et j’en passe. Tout au long du livre il aime insister sur ces innombrables titres, visant ainsi Fidel Castro.

Dans “Les Interférences”, la méthode cinétique de réparation d’une antenne donne d’étonnants résultats. Cuba prend alors une longueur d’avance sur le monde entier, connaissant l’avenir un à deux mois auparavant. Et voilà le petit pays propulsé sur le devant de la scène internationale grâce à ses prédictions d’une grande justesse. À la grande jalousie de son voisin…

Dans “Les Pièces”, des personnes se transforment dans les deux pays en objets. Pourquoi ? Comment y remédier ? Riche ou pauvre, grand ou petit, les deux s’avèrent aussi démunis face à cette épidémie. Dans ce texte charnière, le ton est sensiblement différent et il se déroule surtout dans le grand pays, on perd alors cette dimension cubaine qui rend les deux autres si forts. À mon sens, le moins marquant des trois.

Dans “Les Cheminées”, la course dans la démesure est lancée. Deux usines fabriquant des boulons à deux arêtes, l’une fierté nationale du petit pays et l’autre appartenant au grand pays, veulent chacune avoir la cheminée la plus haute. Cela devient rapidement un enjeu national. La conclusion de cette nouvelle et donc du roman, même si elle est totalement irréaliste, nous assène une grande claque et nous montre la fierté d’un peuple et l’immense ego de son dirigeant. Yoss pouvait-il trouver meilleure fin ? Je ne le pense pas, tellement elle est belle par son absurdité.

Même s’il est cubain, Yoss n’hésite pas à nous présenter, avec humour, son île sous un portrait peu flatteur, les États-Unis ne sont d’ailleurs pas épargnés. Il définit « Interférences » comme une science-fiction du réel, ce qui est assez juste. Il prend une situation existante, y introduit des éléments extraordinaires puis imagine ce qui se passerait alors. À bien y réfléchir, la réalité lui donnerait sûrement raison.
Qu’« Interférences » n’ait pas été édité à Cuba n’étonne pas. Si les gens du peuple en rient, se moquant au passage de leur société, les dirigeants doivent grincer des dents à se les déchausser.
Yoss dresse là un impressionnant tableau des relations entre les deux pays. Ce ne sont pas les personnages qui sont au centre du récit, mais bien ces interactions dominées par un seul homme. L’humour est à fleur de page, souvent acide mais toujours de circonstance. Il manie la dérision à la perfection.
Quand on connait la situation cubaine, on ne peut que saluer Yoss de trouver les mots justes pour décrire une vie axée autour de la débrouille.

Vous l’aurez compris, « Interférences » appartient à ces romans qui ne s’oublient pas. Comment ne pas garder en mémoire l’image de la cheminée de la dignité, symbole d’une nation qui veut montrer au monde entier sa fierté ? Caustique, court mais dense et d’une grande force, « Interférences » est à ne surtout pas manquer.

Rivière Blanche n’en reste pas là ! Au sommaire figure bien sûr une préface de Sylvie Miller, mais aussi un entretien avec Yoss, suivi d’un portrait et, cerise sur le gâteau, deux nouvelles nous permettent de ne pas quitter l’auteur trop vite.
Ils étaient venus” est de la même veine qu’« Interférences », sauf que nous sommes tous montrés du doigt. Chacun est responsable, les extra-terrestres constatent sans juger. À nous de réagir.
Par contre, “Seppuku” tranche avec le reste. Cet exercice de style montre que l’auteur dispose de plusieurs cordes à son arc. Toutefois, elle rompt l’homogénéité de l’ensemble, alors ce choix s’avère plutôt étonnant.

Avec « Interférences », Rivière Blanche édite un superbe ouvrage et mérite d’être payé en retour, alors soyez curieux et découvrez la science-fiction cubaine de Yoss.
Heureusement que de tels petits éditeurs existent pour publier de telles pépites ne répondant pas aux critères des grandes maisons.
Un peu comme l’histoire du petit et du grand pays…


Titre : Interférences
Auteur : Yoss
Traduction de l’espagnol (Cuba) : Sylvie Miller
Couverture : Javier Caparó
Éditeur : Black Coat Press
Collection : Rivière Blanche Fusée
Directeur de collection : Philippe Ward
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 180
Format (en cm) : 20,3 x 12,8
Dépôt légal : novembre 2009
ISBN : 978-1-935558-02-6
Prix : 16 €



François Schnebelen
24 décembre 2009


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Illustration de Javier Caparó



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