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Le cyberespace de l'imaginaire




10e Festival l’Industrie du Rêve
10e colloque des Rencontres Professionnelles Art et Technique
4 décembre 2009


Le 4 décembre dernier s’est tenu au Max Linder, dans le cadre du Festival l’Industrie du Rêve, le 10e colloque des Rencontres Professionnelles Art et Technique. Techniciens et réalisateurs sont venus débattre de la question centrale de cette année, « Où va le cinéma ? », évoquant la question de l’évolution du cinéma et de ses artistes, mais aussi celle des bouleversements technologiques et de leurs conséquences sur les professions concernées. La Yozone était présente, et vous propose donc un aperçu de cette journée de réflexion.

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Serge Siritzky : « Nous allons au cours de la journée débattre de l’avenir du cinéma sous tous ses aspects. On le sait, le cinéma c’est une œuvre collective, avec toute une gamme de métiers. C’est aussi une industrie, avec une économie. Si on organise ce débat, c’est que l’on voit bien que l’on est à une période importante de l’évolution de cet art et de cette industrie, du fait des évolutions technologiques qui modifient la façon de fabriquer des films, du fait aussi de la concurrence d’autres médias : le cinéma est face à un océan d’images que l’on a sur la télévision, son ordinateur et maintenant les portables. On peut se demander si le modèle du cinéma tel qu’on le connaissait jusqu’à maintenant ne doit pas, face à ces évolutions, évoluer lui-même. »

La journée débute avec la première table ronde, composée de techniciens représentant les différentes étapes de fabrication d’un film. Sont présents Éric Gautier, directeur de la photo, , Alain Derobe, stéréographe, Jean-Paul Mugel, ingénieur du son, Anne Seibel, chef-décoratrice, et Jean Labadie, distributeur et producteur.

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Serge Siritzky : « Ici nous avons les représentants de différents métiers du cinéma. Je commence à interroger Éric Gautier, qui est directeur de la photographie, sur sa vision de ces problématiques.

Éric Gautier : Je ne suis pas si impressionné que ça par les évolutions technologiques. Je pense que le numérique est une continuité logique. (...) Le cinéma, qu’est-ce que c’est ? Il y a trois grandes familles : le cinéma sans argent du tout, qui se portera toujours très bien et qui se débrouillera toujours ; il y des énormes machines de spectacle, aujourd’hui avec des effets spéciaux incroyables, très grand public et dont je suis très admiratif, puisque je ne viens pas d’un milieu intello du tout ; et puis les fameux films du milieu, ceux de Desplechin, Alain Resnais, ce sont ceux-là aujourd’hui qui sont les plus difficiles à produire et les plus touchés. On ne produit plus les films de la même façon (...), et il y aussi un déficit de cinéphilie. (...) Ma consternation aujourd’hui, c’est l’écroulement des industries techniques ; ce sont avant tout des gens compétents, à qui je peux demander de m’aider à détourner des outils, en préparant des accessoires, en bricolant comme on l’a toujours fait dans l’histoire du cinéma. Il y a beaucoup de gens qui sont mis à la porte et qui se retrouvent au chômage, et je pense que le talent de ces gens-là va devenir très rare. (...)

Serge Siritzky : Jean-Paul Mugel, vous êtes ingénieur du son. Est-ce qu’à l’heure actuelle, dans votre métier, on sent également des évolutions très importantes ?

Jean-Paul Mugel : Le son au cinéma, au niveau de la prise de son, n’a pas vraiment changé. On continue de travailler à la perche (...) Avant, on essayait de respecter les plans sonores : quand un acteur était très loin, le son était très loin. Puis on a commencé à équiper les comédiens, et on avait des comédiens qui passaient au loin dans de très beaux paysages, et qui lisaient leur texte. Ça a été le grand changement, mais qui est arrivé il y a 15 ans déjà. Mais sinon, dans la prise de son elle-même sur le plateau, notre travail n’a pas beaucoup changé. On fait des ambiances en 5.1, mais le problème du 5.1, c’est intéressant sur certaines ambiances, mais ça fait sortir le spectateur de l’écran de cinéma. C’est un peu comme la 3D, quand l’image saute à la figure, si on a un son qui arrive de l’arrière, le spectateur va tourner la tête et à ce moment-là, l’effet est complètement raté, sauf si c’est pour faire peur au spectateur et le faire se retourner. Je pense que le 5.1 est intéressant pour la musique, parce que là on est enveloppé par la musique autour de soi, mais pour les voix, pour l’ambiance cinéma classique, moi je n’y crois pas. (...) Le 5.1 aura beaucoup plus sa place sur un film en relief, parce qu’on a besoin de quitter l’écran plat, mais je crois que c’est un effet de mode, je ne crois pas que le relief va être un format d’avenir.

Serge Siritzky : Anne Seibel, vous êtes chef-décoratrice et vous avez une caractéristique, c’est que vous avez travaillé à la fois sur « G.I. Joe » et sur un film d’auteur en Inde... (...)

Anne Seibel : Très vite, parce que je parlais anglais, je me suis retrouvée à travailler sur des productions américaines qui venaient en France. De fil en aiguille, je me suis retrouvée à faire des énormes machines comme « G.I. Joe », qui coûte 200 millions de dollars, où là ils ont vraiment tout ce qu’il y a de dernier cri en matière de technologie. Au niveau de la déco, ça donne des choses qui n’existaient pas autrefois, où on avait des décors construits, avec très peu d’effets numériques. Et là, toutes les discussions depuis le démarrage du film se font tout le monde ensemble : l’opérateur, le directeur de la photo, et puis un personnage qui est arrivé très vite, celui qui s’occupe des effets visuels. Et en fait, je me suis aperçue que c’était un peu lui qui avait la place la plus prépondérante dans « G.I. Joe », c’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on parlait d’un décor, on visualisait : « celui-là c’est construit, celui-là c’est digital, celui-là c’est fond vert », donc on est en permanence à trois à décider, et le chef décorateur est un peu tributaire de cette équation. Les acteurs, là-dedans, en ont un petit peu marre je pense, déjà d’évoluer devant des fonds verts ou des fonds bleus et d’essayer de voir où va être la mallette qu’elle porte et l’avion dans lequel elle va sauter... Je ne suis pas sûre qu’ils soient très heureux d’évoluer comme ça. Pour « G.I. Joe », j’avais quand même une quarantaine de décors, à la fois des reconstitutions de Paris dans les rues de Prague, et à la fois des énormes morceaux de décor en studio. Mon travail était quand même très intéressant, avec des moyens financiers qu’on n’a pas en France, donc du point de vue déco c’était assez intéressant. Mais c’est vrai que je me suis posée la question de savoir si à un moment donné on aurait encore une utilité, nous, si tout ne va pas être fait en images de synthèse, parce que j’ai regardé « G.I. Joe » il y a quelques jours, je ne l’avais pas vu, et à certains moments, des morceaux de décor énormes, de la taille de cette pièce, j’avais du mal à les repérer au milieu de tous les décors virtuels qui avaient été rajoutés autour. Parallèlement comme vous l’avez dit, j’ai fait un tout petit film indien à deux millions de dollars, et là, il n’y avait rien. J’avais un assistant, qui était très compétent, et toute une équipe de gens vraiment talentueux, et moi je n’avais même pas de photocopieuse, même pas de scanner, je n’avais rien. Donc j’ai réutilisé mon petit crayon comme je le faisais au début, avec des plans qu’ils n’arrivaient même pas à lire parce qu’ils avaient un système complètement archaïque, et on a réussi quand même, avec ce réalisateur indien, le directeur de la photo français et moi aussi française, à faire un road-movie d’une qualité et d’une créativité, en utilisant toute notre imagination. Moi à la déco c’était même plus un plaisir de faire ce petit film avec peu de moyens mais beaucoup de système D et de créativité, pour la déco c’était formidable, et avec des talents, des gens qui ont grandi dans le métier et qui sont capables. (...)

Serge Siritzky : Alain Derobe, vous êtes spécialiste français, européen, même mondial du relief. Alors d’après vous est-ce une mode, ou est-ce que vous pensez que c’est l’avenir du cinéma ?

Alain Derobe : Il faut savoir de quel relief on parle. Est-ce que les structures de production sont bien adaptées pour le relief ? Est-ce que les données artistiques vont s’adapter au relief ? Moi je ne suis pas Madame Soleil, je ne peux pas vous dire ce qui va arriver, mais je peux vous dire qu’il y a deux directions principales complètement différentes prises par le relief. Il faut savoir quelle va être l’orientation du cinéma. En ce moment, on parle beaucoup des salles de cinéma qui s’équipent, et c’est primordial, parce que s’il n’y a pas de salle les films ne sont pas faits. Les salles s’équipent, mais pour rentabiliser, elles s’intéressent beaucoup à ce qu’on appelle des contenus alternatifs, c’est-à-dire des retransmissions de sport, de matchs, éventuellement des représentations de musique, de danse, pour les diffuser en temps réel et permettre à des gens qui ne sont pas géographiquement proches de l’endroit où se passe l’événement de pouvoir le voir. L’idée c’est de se dire : si on le fait en relief, ça va attirer les foules. Mais les foules ne sont attirées que par la nouveauté, et puis les foules se lassent aussi rapidement. Donc cette voie-là, de quel relief s’agit-il ? Les captations, c’est un phénomène passif : il y a un spectacle, sportif ou artistique, qui se produit, et puis on met les caméras où on peut, il faut se battre pour avoir les moins mauvaises places, et puis de loin, avec des zooms ou des téléobjectifs, on essaye de capter le moins mal possible les images ; ce qui, quand on fait du plat, avec le rétablissement cérébral de la perspective, n’a pas de conséquence, mais avec le relief ce n’est plus du tout pareil. A partir du moment où vous êtes un peu loin d’un sujet, que vous allongez les focales, vous faites un relief que je ne décris pas, qui est peut-être très bien, très intéressant, mais qui n’est pas du tout naturel. On ne se trouve pas du tout au cœur de l’action. Ça c’est une des directions. L’autre direction c’est de comprendre qu’une image plate n’est jamais une image plate : notre cerveau rétablit une profondeur à partir de la perspective. Quand on fait du relief, il faut que l’échelonnement que l’on va présenter au spectateur soit parfaitement en phase avec la perspective. A ce moment-là il se produit une espèce de miracle, on a l’impression d’être dedans. Le relief a un pouvoir de convaincre qui est extrêmement fort. Quand je dis qu’il y a deux catégories de relief, c’est une chose, mais il y a également une possibilité de se tromper de combat même avec ce relief-là. Il y a une non-adéquation de la production et du système relief. Actuellement pour rentabiliser un film, il faut le rentabiliser sur deux niveaux : il faut le rentabiliser la version relief et la version plate. Alors la question se pose : est-ce que le relief est une chose indispensable à la narration, auquel cas la version plate sera nulle, donc c’est relativement problématique. Pourtant sur le plan du financement, tant qu’il n’y a pas suffisamment de salles en relief, ou tant que toutes les salles ne sont pas équipées en relief, il faudra bien également avoir une version plate pour pouvoir rentabiliser le coût du film. (...) Les majors ont eu la très bonne idée de dire : « on va pousser le relief et ça va sauver le cinéma ». Pourquoi ? Parce que le relief est proportionnel à la largeur de l’écran, c’est une chose qui n’est pas assez divulguée, mais vous voyez un relief beaucoup plus impressionnant sur un grand écran, et dès que l’écran se rétrécit, on arrive petit à petit à avoir un relief de boîte à pizza. Donc ils se sont dit que puisque le relief était proportionnel à la largeur de l’écran, car les techniciens et les gens sensés d’Hollywood étaient au courant, c’est pour ça qu’Imax a fait un malheur avec les premières productions relief, sur de grands écrans, donc ils se sont dit « on va pousser le relief pour faire rentrer les gens dans les salles ». Deuxièmement, pour produire ces films, ils se sont dit : « il va y avoir un surcoût, donc ce surcoût sera plus facile à financer sur des films très spectaculaires ». Donc le relief est considéré comme une valeur ajoutée sur ces films spectaculaires, comme de la crème chantilly sur un gâteau. (...) J’ai, vous l’avez compris, une opinion diamétralement opposée. Je suis prêt à ma faire couper en morceaux pour participer à un film d’auteur, à un film de huit-clos, entre quatre murs, ou à un film à thèse, où il n’y aurait pas forcément d’action. (...) La valeur du relief, ce n’est pas de donner des coups de poing dans la gueule du spectateur, en lui proposant des forêts de hallebardes, des centaines d’avions, des choses qui jaillissent, des dinosaures, on n’échappe pas aux dinosaures, y a-t-il un seul film en relief sans dinosaures, le dinosaure est un animal extrêmement sympathique, puisque son corps reste derrière l’écran, et qu’avec son long cou, il peut venir flairer la tête du spectateur, et le faire reculer sur sa chaise. C’est justement le problème. Moi je voudrais faire un film en relief où on ne fait pas reculer le spectateur sur chaise, je voudrais qu’on tire le spectateur dans l’action à travers l’écran. (...) Le relief est en train en ce moment de se tromper de direction. (...)

Serge Siritzky : Jean Labadie, je voudrais avoir votre point de vue, peut-être sur le relief, mais sur l’aspect artistique et l’aspect économique.

Jean Labadie : Moi je suis extrêmement optimiste. Je pense que le cinéma traverse des crises depuis un nombre d’années absolument gigantesque. (...) Le cinéma, contrairement à ce que les gens pensent, est à nouveau financé par le cinéma et pas par la télévision, et la diversité qui est produite et montrée dans les salles de cinéma n’a jamais été aussi grande. (...) On passe toujours par des moments où arrive une nouvelle technologie. Cette nouvelle technologie donne l’impression que tout le monde peut faire, on va avoir une démultiplication des talents. On s’aperçoit à la fin que pas vraiment. Internet est là depuis des années, les petites caméras vidéo sont là depuis des années, et des films qui sont arrivés sur ces petites caméras vidéo, il y a quelques phénomènes comme « Paranormal Activity », mais c’est pas un phénomène de cinéma, c’est un phénomène de marketing, ce qui n’est pas la même chose. Moi j’ai distribué « Blair Witch Project », c’est un phénomène de marketing. Est-ce que quelqu’un a déjà entendu parler des autres films de ces metteurs en scène ? Ils disparaissent, parce que pas d’âme, pas de talent, pas de continuité, et derrière ils ont explosé en vol. (...) »

La deuxième table ronde de la journée réunit cette fois-ci des réalisateurs, avec la présence de Wim Wenders (« Palermo Shooting », « Les ailes du désir »), Rithy Panh (« Un soir après la guerre », « Les gens de la rizière »), Nicolas Saada (« Espion(s) »), Michel Hazanavicius (« OSS 117 ») et Jaco Van Dormael (« Toto le Héros », « Mr Nobody », ce dernier étant notre coup de cœur du mois de janvier prochain).

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Serge Siritzky : « Nous sommes tous devant plusieurs mutations. En tant qu’auteurs, comment ressentez-vous ces mutations, est-ce que ça change fondamentalement le métier (...) ? Je commence par Michel Hazanavicius : vous êtes réalisateur de cinéma à succès mais vous venez de la télé, vous aviez travaillé avant dans la publicité. (...) Est-ce que votre métier à vous est en train de changer ?

Michel Hazanavicius : Vous me présentez comme un réalisateur à succès, en fait j’ai fait trois films : il y en a deux qui ont marché et un qui n’a pas du tout marché, les deux étant avec un acteur qui a lui-même du succès, donc je veux dire que je n’ai pas la carte du mec qui a du succès. (...) A priori je suis plutôt optimiste, je crois que c’est un métier qui est quand même assez dur, qui demande beaucoup d’inconscience. Je pense effectivement qu’Internet est une grosse mutation, à laquelle il va falloir s’adapter, d’une manière ou d’une autre. (...) Je pense qu’il n’y a pas des films forts et des films fragiles : les films à faible économie sont fragiles, les films à grosse économie sont aussi fragiles, d’une autre manière. (...) Je travaille en ce moment sur un film un peu particulier qui est un film muet, c’est un peu dur à financer, mais je n’ai pas l’impression qu’on me dise pour le moment que c’est totalement impossible. (...)

Serge Siritzky : Jaco Van Dormael, vous avez eu deux précédents films présentés à Cannes et qui ont été des succès mondiaux, là vous venez d’en achever un qui va sortir début janvier (« Mr Nobody »), c’est un film à budget important, qui utilise des technologies modernes. Comment évolue en 11 ans la fabrication d’un film avec tous ces outils ?

Jaco Van Dormael : Je ne sais pas trop comment répondre. Je n’ai pas essayé de faire un film cher, j’ai essayé de faire un film beau, le plus beau possible. On a utilisé effectivement pour une partie du film des gens derrière les palettes, mais je crois que ce qui est important, c’est la personne qui est derrière la palette, beaucoup plus que l’ordinateur qui est devant vous, c’est beaucoup plus collaboratif. S’il y a une mutation du cinéma, moi ce que je vois de plus intéressant au niveau du langage c’est ce que je vois sur Internet, fait par des jeunes, avec une caméra et un ordinateur, ils mettent ça sur YouTube ou des choses comme ça. J’ai l’impression que ce qui change c’est surtout le sens de ce qui est beau : il y a une trentaine d’années j’aimais bien le grain de la pellicule, et maintenant j’aime bien le bruit du numérique, les défauts en fait. Et je crois que ce qui change c’est surtout ça, le fait qu’on peut trouver beau, et le fait qu’il y a des gens qui ne sont pas destinés à se confirmer, qui peuvent faire des choses dans un langage différent et le communiquer directement. Personnellement c’est ce qui m’intéresse directement et qui me donne l’impression que le cinéma est à un début et pas à une fin, et qu’il y a beaucoup de choses devant. Il y a une autre forme qui arrive, une autre manière de raconter des histoires, les outils changent. Mais je pense qu’il ne faut pas s’en faire pour l’industrie du cinéma. Je pense qu’il y aura toujours des gens qui vont faire des films et des gens qui vont faire des films. L’industrie personnellement je m’en fous assez, ce qui m’intéresse c’est le cinéma. Je vois aussi qu’il y a un chiffre probablement de plus en plus grand entre le cinéma et l’industrie du cinéma, qu’il y a une panique financière qui fait que les types de formes qui rentrent dans le tuyau sont de plus en plus étroites. A chaque crise financière ceux qui perdent beaucoup d’argent se disent : « Je sais ce qu’il faut faire, je sais ce qu’aime le spectateur », c’est ce qu’on entend de plus en plus souvent : « le public aime ceci, le public n’aime pas cela, les films qui marchent c’est ceux-ci, les films qui ne marchent pas c’est ceux-là », alors que moi justement je ne sais pas comment faire un film qui marche, je ne sais pas comment plaire au public, je ne sais même pas qui c’est le public . Un film c’est une bouteille à la mer qu’on lance vers des gens qu’on ne connaît pas, en se disant tiens peut-être que leur expérience de vie, ou simplement le fait d’être vivant sur la terre c’est quand même quelque chose d’assez étrange, et partageable dans le fait de faire un film et que d’autres gens, ailleurs, se posent les mêmes questions, en ayant d’autres langues, d’autres écritures ou d’autres existences, et c’est ça qui est intéressant, que ça ne passe pas par un système industriel qui fasse de l’argent, que ça fasse de l’argent moi je m’en fous assez.

Serge Siritzky : Rithy Panh, à propos de l’évolution technologique, pour commencer par là, est-ce que ça change votre métier, est-ce que c’est une façon différente de raconter les histoires (...) ?

Rithy Panh : Moi je vois bien, je comprends ce que vous dites, les nouvelles technologies, le numérique et tout ça, mais ma situation ressemble plutôt à votre affiche : c’est une route qui ne va nulle part, il n’y a même pas une école, même pas un cinéma. J’essaie de faire du cinéma dans un pays où il n’y a plus d’image, presque plus d’image. J’essaie de faire du cinéma dans un pays où il n’y a pas de cinéma. (...) Le numérique va sauver des choses, parce que ça permet de travailler pour pas cher, de travailler longtemps, et ce qui m’intéresse c’est de raconter sa propre histoire, sa propre mémoire. Mais après, pour mettre ça dans les tuyaux c’est une autre histoire. Ce n’est pas nous qui contrôlons les tuyaux. Toutes les télés veulent bien financer mes films si ça parle en français, les Belges si ça se passe en Belgique, les Suisses pareil, les Allemands pareil, les Français pareil : qu’est-ce qu’on fait ? (...) Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour parler aujourd’hui !

Serge Siritzky : Vous êtes originaire d’un pays en voie de développement...

Rithy Panh : Il n’y a plus de pays en voie de développement ! Avant on avait la chance de venir à Paris et de voir plein de films là-bas, mais maintenant... Est-ce que vous pouvez vous dire « est-ce qu’il y a un film africain que je peux voir ce soir ? » Il n’y a plus de cinéma des pays en voie de développement ! Ce sont les grosses machines qui écrasent tout. On aimerait aussi parler d’écologie, mais je ne trouve pas un rond pour aller montrer que les arbres ont des âmes, mais par contre il y a un type qui fait un film d’un hélicoptère et il a 500 millions (...) -sans poser le pied par terre - ou je ne sais pas combien pour le faire. Et nous on a besoin de 20 000 dollars... Et si on le fait on a pas les tuyaux pour mettre ça dedans... (...) Moi je fais des films avec des soutiens, avec des producteurs qui croient en mon travail. (...) Ce que je trouve intéressant dans l’évolution technologique, numérique, c’est que ça me permet de projeter des films à la campagne pour 30 dollars par soirée de frais et j’ai 1000 personnes. Mais on n’est pas dans l’industrie, on essaye d’y accéder ; c’est comme à une certaine époque où on essayait d’apprendre à lire, d’accéder à la littérature, l’écriture, au livre : on n’a pas encore réussi à gagner ça, et déjà l’image débarque, avec tout ce qu’elle peut comporter d’intéressant comme moyen d’expression. On a beaucoup de gens qui n’ont pas encore l’électricité. Dans ce décalage, il faut penser à ceux qui ne l’ont pas. (...)

Serge Siritzky : Nicolas Saada, sur ces questions, que pouvez-vous dire ?

Nicolas Saada : Moi je suis un vieux débutant, j’ai fait un court métrage et un long métrage en quatre ans, je pense que chaque nouveau film est une aventure ou une galère, ça dépend des conditions. Le discours sur les nouvelles technologies, j’ai l’impression qu’il est récurrent depuis l’invention du cinéma, et en même temps j’ai l’impression que c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. C’est bien d’avoir des nouvelles technologies, mais si on n’a aucune mémoire de ce qu’on fait à sa disposition, je ne suis pas sûr que ce soit une percée ou une avancée. D’ailleurs je ne pense pas qu’on dirait à un écrivain : « Alors maintenant que vous avez un traitement de texte, en quoi ça change votre manière d’écrire ? » Quand les impressionnistes sont sortis de l’atelier parce qu’ils avaient des tubes et qu’ils pouvaient sortir en plein air, ils savaient quand même d’où ils venaient, ils savaient qu’ils venaient de Delacroix, de la peinture italienne... Quand la Nouvelle Vague est sortie dans la rue avec des caméras plus légères, ils pouvaient sortir des contraintes du studio, mais ils savaient quand même d’où ils venaient. Les nouvelles technologies c’est très bien mais si on a un peu de mémoire. (...)

La table ronde s’achève avec l’intervention de Wim Wenders, qui s’exprime à propos de son dernier long-métrage, « Palermo Shooting », toujours inédit chez nous pour cause de non distribution en salles, ainsi que sur « Pina Bausch », le film documentaire hommage à la célèbre chorégraphe allemande, qu’il tourne actuellement en relief. Nous avons également assisté à la conférence de presse qu’il tenait au sujet de ce dernier. Une journée de discussions sur le cinéma qui se poursuivait avec la projection de « Palermo Shooting », justement, et se concluait tard en soirée sur l’avant-première du nouveau film de Jaco Van Dormael (notre coup de cœur de janvier) : « Mr Nobody ».

LIEN(S) YOZONE

=> La conférence de Presse de Wim Wenders
=> La critique de Mr Nobody

INTERNET

Le site de l’Industrie du Rêve : http://www.industriedureve.com/



Amandine Prié
16 décembre 2009



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