Nous introduisant dans l’espace modulaire Grandville -la plus grande structure d’habitation de Narcose-, c’est comme si Jacques Barbéri ouvrait les portes d’un enfer ultra-moderne. L’espace Grandville, par allusion à ce dessinateur qui jouait les moralistes en dotant de faciès bestiaux les acteurs de la comédie humaine. L’espace Grandville où à présent, s’implanter des membres ou des têtes d’animaux, et donc faire siens des morceaux de cadavres, ne relève plus de la fable mais bien d’une esthétique de la décomposition et de l’auto-mutilation...
Grandville, Narcose... Indifférenciation des idées, des corps et des identités... Avec le traficoteur et acteur raté qu’est Anton Orosco, voici le lecteur confronté à son corps défendant à la fréquentation de morts-vivants composites, drogués jusqu’aux yeux, qui font de l’art de se griller les neurones une façon d’ultime élégance... Une politesse du désespoir, dont Orosco partage le goût frelaté, en même temps qu’il place, lui comme eux, la jouissance immédiate au rang de clef de la connaissance. Tout en niant le réel, tout en niant les rêves, embarqué qu’il est dans des voies virtuelles qui le mèneront peut-être, sans doute ou pas du tout sur les traces de Célia, obsession sexuelle et femme des ses pensées, si tant est que l’espace où niche la vérité est la tranche du livre dont il faut s’échapper...
Résumer « Narcose » ? Ce serait le réduire à des descriptions, des choses vues et des fragments d’action qui sont autant de reflets distordus et trompeurs de la réalité foncière d’Anton Orosco, antihéros consacrant ses dernières forces vitales à se rendre maître de son histoire et de l’histoire. Malgré la pesanteur des autres et sa propre condition de viande pensante... “Malgré le monde”, comme disaient ses complices en littérature des années 80...
A l’instar d’un Dick que l’on sent admiré mais jamais imité, et traversé parfois d’un humour ravageur à la Tex Avery, « Narcose » fourmille d’ailleurs de multiples questionnements sur la réalité et sur la cohérence du monde, comme sur la vérité des corps et de leur identité. Livre déconcertant comme le serait un trip au scotch-benzédrine, avec son univers proche de la nécrose où se côtoient cauchemars, désespoirs chics ou vulgaires, éblouissements sublimes.
De quoi faire de sa (re)découverte une façon d’aventure mentale, de préférence en accompagnant la lecture de l’écoute en boucle d’« Une soirée au Lemno’s Club », CD du groupe Palo Alto (dans lequel officie Barbéri)), et dont les circonvolutions sont d’un obsessionnel exemplaire.
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« Narcose » de Jacques Barbéri
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Titre : Narcose (roman, France)
Série : Narcose
Auteur : Jacques Barbéri
Couverture : Philippe Sadziak
Editeur : La Volte
Première publication : Denoël, Présence du Futur, n°498
Site Internet : fiche recueil (site éditeur)
Pages : 200
Format (en cm) : 23 x 17
CD audio : « Une Soirée au Lemno’s Club » du groupe Palo Alto inclus dans le volume.
Dépôt légal : avril 2008
ISBN : 9782917157022
Prix : 22 €