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Dans la Pièce du Fond
William Chambers Morrow
10/18, Domaine Etranger, n°4292, traduit de l’anglais (États-Unis), fantastique et policier, 222 pages, novembre 2009, 7,40€

Automate hanté, mécanismes diaboliques, visions dues au delirium tremens, mutants sanguinaires, assassins et déments en tous genres : au fond, rien que de très banal. Du moins, pour celui qui a déjà lu l’autre recueil de nouvelles de l’auteur, « Le Singe, l’Idiot et Autres Gens », où l’on trouvait déjà, entre autres, scientifiques fous, monstruosités humaines, amputés multiples, suicidés fantômes et diverses faces particulièrement grinçantes de la mort.

En neuf nouvelles publiées entre 1880 et 1897, « Dans la Pièce du Fond » complète, à la frontière du récit fantastique et de l’enquête policière, l’effrayante et troublante galerie de monstres de William Chambers Morrow.



Un automate fumeur de cigares confessant sa hantise, une pendule répétant chaque jour une exécution, un monstre caché qui est peut-être un homme, à moins que cela ne soit l’inverse, des détectives obstinés aux destins tragiques, des coupables innocents, des phénomènes anatomiques impensables, des démences jubilatoires ou tragiques, des obsessions excentriques, des assassinats en série, une compagnie d’assistance au suicide plus machiavélique encore que sa raison sociale ne le laisse entendre : voilà quelques-uns des thèmes abordés par l’épouvantable neuvaine de William Chambers Morrow.

Ces neufs récits ont été écrits à la fin du dix-neuvième siècle. S’ils constituent à ce titre une curiosité, on serait pourtant, en toute objectivité, bien incapable de prétendre qu’ils ont mal vieilli. Si “L’Ombre fatale”, dont l’argument repose sur une théorie scientifique depuis lors balayée, a pour cette raison pris une patine historique, si “Un Mystère à South Park” se termine sur une explication rationnelle que les amateurs de genre –et ce d’autant plus qu’ils ont à présent vu toutes les morts possibles au cinéma– pourront plus facilement deviner qu’à l’époque, la majorité de ces nouvelles n’a pas pris une ride. L’ambiance et la narration fin de siècle sont parfaitement adaptées aux travers mentaux des personnages, et apparaissent en définitive plus inquiétantes que la trop lourde psychologie de bon nombre de thrillers contemporains.

La psychologie, l’exception mentale, ou même anatomique : aucune de ces nouvelles n’est, en définitive, réellement fantastique, en ce sens que le surnaturel n’en constitue jamais le ressort ultime. Même si les phénomènes décrits sont effarants, excentriques, extraordinaires, et, à première vue, inexplicables, ces neuf histoires se dirigent plutôt vers le genre policier. Pour autant, le trouble que cherche à jeter l’auteur n’en est pas moins présent. La folie, les obsessions, les comportements des personnages perturbent plus le lecteur, peut-être, que ne le ferait la révélation de cette impossibilité, de cette fissure dans le réel, de ce doute final qui sont propres aux nouvelles du genre. Mais l’ambiance distillée des récits, le caractère longtemps incompréhensible de certains évènements, l’absence, au moins apparente, de jugement moral de William Chambers Morrow vis-à-vis de ses personnages donnent à ces récits un cachet indéfinissable qui les soustrait au cadre rigide du pur récit policier.

Il y a très vraisemblablement chez Chambers, en filigrane de ses nouvelles, masquée derrière l’attirail du fantastique et l’arsenal du récit policier, une réflexion fondamentale sur le crime et sur sa signification profonde, une recherche permanente en lien avec la morale et ses catégories tranchées. La notion de faute elle-même devient trouble.
Qu’un assassin soit en définitive innocent, qu’un tueur en série soit prédestiné, qu’une anomalie physique ou mentale soit responsable d’un comportement criminel n’apparaît pas seulement comme un ressort obligé de l’intrigue ou comme une astuce littéraire, mais comme un questionnement qui est également adressé au lecteur. Et l’humour macabre, le cynisme apparent, la désinvolture presque teintée de bienveillance avec laquelle le nouvelliste décrit ses personnages ne font que renforcer ces questions.

Cette distanciation froide avec ses personnages, cet humour glacial, cette ironie macabre et pince-sans-rire de l’auteur ne lui sont pas exclusifs : on les retrouve parfois chez Edgar A. Poe, notamment dans certains de ses récits non traduits par Baudelaire, ou, de manière plus constante, chez Ambrose Bierce, écrivain et journaliste tout comme Morrow.
Rien d’étonnant à ces points communs : si l’on ignore lequel des deux influença le plus l’autre, il est certain que Morrow et Bierce étaient proches –ils furent même associés, en 1892, dans la création d’une maison d’édition, la “Western Authors Publishing Co”, qui ne devait publier qu’un seul et unique volume, « Black Beetles in Amber », des poèmes de Bierce.

Avec William Chambers Morrow, cependant, tout n’est pas définitivement et irréductiblement noir. Pour preuve, “L’Automate hanté” et la “Compagnie Générale de Déchargement”, respectivement première et dernière nouvelle du volume, se terminent chacun sur une fin similaire, façon “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. Mais peut-être est-il permis de voir dans ces poussées de romanesque sirupeux quelque ironie supplémentaire et particulièrement féroce de la part de l’auteur, ricanement macabre destiné à mettre en pleine lumière le comportement tour à tour diabolique et conventionnel de ses protagonistes.

Dans “Épouvante et surnaturel en littérature”, consacré aux auteurs qu’il admire et juge essentiels dans le genre, Howard Philips Lovecraft ne cite pas une seule fois le nom de William Chambers Morrow. Pourtant, dans « Le Livre de Raison », série de notes prises dans l’intention de composer des récits d’épouvante, “amalgame de rêves, choses lues, évènements insignifiants, rêveries et ainsi de suite”, Lovecraft écrit, pour l’année 1928 : “Le système nerveux autonome et le subconscient ne sont pas situés dans la tête. Un médecin fou décapite un homme mais le maintient en vie et le contrôle de façon subconsciente. Éviter de copier le conte de W.C. Morrow.”
Preuve qu’il l’a lu, l’a considéré, a jugé bon de ne pas le plagier, mais ne l’a pas reconnu comme auteur important.
Telle est, de nos jours, la place occupée par William Chambers Morrow dans la littérature : un oubli en toile de fond, des résurgences éphémères.

Publié en France en 1901 chez “La Revue blanche”, son recueil « Le Singe, l’Idiot et Autres Gens » a été réédité chez Phébus plus d’un siècle plus tard, en 2004. « Dans la Pièce du Fond », paru chez Finitude la même année, est donc à présent la première de ses œuvres à être largement diffusée au format de poche : une initiative louable pour une série de nouvelles qui ne manqueront pas d’intéresser les amateurs de genre.
Ils y découvriront cet ami d’Ambrose Bierce, amateur de folie et de monstruosités, d’ambiances fantastiques, d’atmosphères macabres et d’enquêtes policières.


Titre : Dans la pièce du fond (The Woman of the Inner Room, de 1880 à 1897)
Auteur : William C. Morrow
Traduction et avant-propos : Jean-Baptiste Dupin
Couverture : Guillaume Petit
Éditeur : 10/18
Collection : Domaine Étranger
Dirigée par : Jean-Claude Zylberstein
Édition précédente : Finitude (2004, 17 €).
Site Internet : fiche livre (site éditeur), fiche recueil (site Finitude)
Pages : 222
Format (en cm) : 10,8 x 17,7 (poche)
Dépôt légal : novembre 2009
ISBN : 978-2-264-04255-2
Prix : 7,40 €



Hilaire Alrune
5 décembre 2009


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10/18, Domaine Étranger (poche, 2009).



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Édition « Finitude » (2004).



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