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La Ligue des Gentlemen Extraordinaires
De la BD au Ciné
1er août 2003


Il y a un peu plus d’un an le génie de Alan Moore éclatait enfin au grand jour, ou du moins dans les salles obscures. « From Hell », adaptation très libre d’un monument de ce que l’on pourrait qualifier de littérature graphique, parvenait, malgré ses nombreuses différences avec le matériau d’origine (tout simplement inadaptable), à nous plonger dans la réalité alternative de l’auteur, une dimension parallèle dans laquelle s’entremêle faits historiques et fiction. Une réussite, tant visuelle que narrative, orchestrée par les frères Hughes (Albert et Allen), deux afro-américains que l’on n’attendait pas sur le registre du gothique victorien. Un film grandiose, sombre et magnifique qui permettait à de nombreux cinéphiles, moi le premier, un premier contact avec l’un des Maîtres de la bande dessinée anglo-saxonne.

C’est d’ailleurs au cours de la production de « From Hell » que Don Murphy, producteur du film et grand passionné de comic-books, entre en contact avec Alan Moore. Ce dernier, qui vient de monter sa propre maison d’édition, ABC (America’s Best Comics), lui fait part de ses projets en cours et lui adresse un avant goût de ses nouvelles créations. La Ligue des Gentlemen Extraordinaires retient immédiatement son attention. Celle de la Fox également puisque que, quelques semaines plus tard, l’adaptation de cette BD est mise en chantier.

UN RECIT STEAMPUNK INSPIRE

En fait, comme Philip José Farmer avant lui (avec « Tarzan vous salue bien », une biographie du seigneur de la jungle dans laquelle le personnage de Edgar Rice Burroughs se voit attribuer des liens de parenté avec des héros de Arthur Conan Doyle, Lester Dent, ..., ou encore Jules Vernes) Alan Moore postule que les grandes figures de la littérature fantastique de l’époque victorienne existent dans un même univers.
1898. La fin du siècle approche et la suprématie de l’Empire britannique est menacée. Campion Bond (un ancêtre de 007 créé pour l’occasion) recrute, pour le compte du mystérieux « M », le chef des services secrets de sa majesté, Wilhelmina Murray (la femme de Jonathan Harker dans le « Dracula » de Bram Stoker), Allan Quatermain (H. Rider Haggart), L’homme invisible (H.G. Wells), le Dr Jekyll (Robert Louis Stevenson) et le capitaine Nemo (Jules Vernes) pour une mission de première importance : récupérer la cavorite, un métal anti-gravitationnel devant permettre aux anglais de rallier la Lune dès l’an 1900 (« Les premiers hommes sur la lune » de H.G.Wells). Un formidable prétexte, s’il en est, pour revisiter, sur le ton de l’humour, l’âge d’or du roman populaire et adresser, au fil des pages illustrées par Kevin O’Neill, des clins d’œil jouissifs aux créations de Oscar Wilde (Dorian Gray), Edgar Alan Poe (Le chevalier Auguste Dupin), Sax Rohmer (Fu Manchu), Arthur Conan Doyle (Sherlock et Mycroft Holmes, le professeur Moriarty), et bien d’autres...

LA LIGUE : DE LA BD AU CINE

Mais, loin de vouloir simplement mettre en image le roman graphique de Kevin O’Neill et Alan Moore, Don Murphy et la Fox font appel à James Dale Robinson, auteur réputé de comics (« Starman », « Leave it to chance ») reconverti depuis au cinéma, pour concocter un scénario original, et engage Stephen Norrington, très en vue depuis « Blade » lorsqu’il est question de bd au cinéma, pour diriger ce projet des plus prometteurs. Persuadé de tenir un futur succès au box-office, surtout avec Sean Connery partie prenante de l’aventure, la Fox ne va pas lésiner sur les moyens et débloque le coquet budget de 100 M$ pour matérialiser à l’écran le concept fantasmatique du génial Alan Moore.

Alors que le feuilleton de Moore et O’Neill jouait sur le ton de l’humour et de la parodie, usant de ces personnages fantastiques has-been comme de super anti-héros caractériels, le scénario développé par James Dale Robinson, influencé par une production omniprésente, remanie singulièrement le contexte original pour offrir une version édulcorée de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, résolument tournée vers l’action et l’aventure musclée.
Du coup, les personnages désabusés de la bande dessinée reprennent indéniablement en fibres héroïques et multiplient les exploits en lieux et place de se sortir quasi-miraculeusement des mésaventures qui rythmaient les épisodes de la version de papier. Allan Quatermain, loin d’avoir succombé aux vapeurs d’opium et de ne plus chasser que le dragon, prend en main la direction des opérations (il faut dire que son interprète, le grand Sean Connery est non seulement la star mais aussi l’un des producteurs exécutifs du film). De son côté, si Wilhelmina Murray, à laquelle Peta Wilson (l’actrice de « Nikita » la série télé) prête ses traits, se retrouve reléguée dans la hiérarchie et l’intrigue, la jeune femme ne tarde pas à dévoiler son passé après avoir démontré des aptitudes assez particulières que, jusque là, on lui ignorait. L’homme invisible (Tony Curran), quant à lui change de nom et devient Rodney Skinner, pour des raisons de droit du personnage original de H.G. Wells, et devient, par la même, un gentleman cambrioleur plutôt que le pervers sexuel de la version dessinée. Seuls, finalement, le Dr Jekyll, et son alter-ego Mr Hyde (tous deux joués par Jason Flemyng, déjà vu dans « From Hell » et plus récemment dans « Abîmes ») ainsi que le Capitaine Nemo (Naseeruddin Shah) restent fidèles au personnages du comic-book. Même si, pour ce dernier, les designers du film n’avaient pris la discutable décision de remodeler entièrement son Nautilus et faire de son fantasmagorique calamar mécanique un impressionnant submersible profilé de l’ère atomique. Ce ne sont pas, d’ailleurs, les seuls changements apportés à l’œuvre de Alan Moore et Kevin O’Neill puisque Dorian Gray (Stuart Townsend), juste évoqué en couverture intérieure, devient un personnage central au passé intimement à celui de Miss Murray, tandis que Tom Sawyer, le personnage de Mark Twain interprété par Shane West, rejoint l’équipe au titre d’agent secret du gouvernement des Etats Unis : Le studio imposant au scénariste et au réalisateur un personnage populaire, jeune et américain pour intéresser le jeune public des USA.

TEMPETES SOUS LES CRANES et NAUTILUS NOYE SOUS LES EAUX

Outre les nombreuses libertés stylistiques et narratives prises avec le modèle dessiné, il faut également savoir que le tournage ne fut pas une sinécure. En effet, l’ambiance fut loin d’être cordiale entre le cinéaste anglais, que l’entourage de Sean Connery accusait de pas savoir ce qu’il voulait (ce sont apparemment des kilomètres de pellicules qui ont été sacrifiés dans la salle de montage), et la superstar écossaise qui, selon Stephen Norrington, discutait en permanence ses choix de mise en scène. Un climat oppressant qui fit monter la pression au point que les deux hommes faillirent en venir aux mains pour une anecdotique histoire d’accessoire non conforme. Paradoxalement, ce sont les crues historiques qui frappèrent Prague en août 2002 qui calmèrent la tempête sous les crânes. L’entrepôt qui abritait les décors du Nautilus se retrouva noyé sous sept mètres d’eau, dévastant l’atelier des effets spéciaux et détruisant les accessoires et les costumes. Heureusement, le plan de tournage prévoyait une semaine de tournage à Malte (le kiosque du sous-marin de Nemo, juché sur un plateau tournant en haut d’une falaise de l’île de Gozo donnant l’impression aux prises de vue d’avoir été réalisé en pleine mer), à laquelle s’ensuivit quinze jours de repos forcés qui permirent aux protagonistes de se reposer et reconsidérer leur point de vue.

UN GRAND FILM D’ACTION ET DE MAQUETTES

Finalement, si cette adaptation risque de faire crier à l’imposture les nombreux fans d’Alan Moore (et vous aurez pu constater, au vue de ce dossier, que la rédaction en compte quelques-uns), il faut néanmoins reconnaître que, malgré les difficultés rencontrées, Stephen Norrington est parvenu à accoucher d’un film d’action dans lequel aventure débridée se conjugue avec kung-fu, effets spéciaux et maquettes à l’ancienne. Une vision hollywoodienne de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires qui, espérons le, devrait convaincre les spectateurs de se (re)plonger dans les œuvres qui l’ont inspirées, à commencer par la bande dessinée.

Bruno Paul

La critique du film : LXG, la Ligue des Gentlemen Extraordinaires


Bruno Paul
27 avril 2003



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