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Génération Dracula
Un siècle de vampires au Cinéma (1900-2000)
10 décembre 2000

Dracula, Nosferatu, prince des ténèbres ou plus simplement vampire, le buveur de sang est incontestablement la créature fantastique la plus souvent portée à l’écran. Un nombre conséquent de films, possédant le mot vampire dans leur titre, peuplent, dès 1896 et Méliès, les archives du cinématographe, mais leurs thèmes, plus pragmatiques, sont généralement très éloignés des considérations surnaturelles qui nous intéressent.



Si le mythe de l’être malfaisant, survivant en absorbant notre essence vitale, est présent dans la plupart des folklores, sans distinction de région ou d’époque, sa plus universelle incarnation, qui en stylisera l’imagerie, est sans conteste le comte Dracula.
Inspiré de la vie de Vlad III, fils de Vlad Dracul, qui n’était pas comte mais « voïvode » (prince) de Valachie, une région de la Roumanie - surnommé « Tepes » (l’empaleur) en référence au supplice du Pal qu’il infligeait aux vaincus - tombé au combat face à l’envahisseur Turc en 1476 et qui, selon la légende, serait revenu à la « vie » grâce au sang de ses victimes.

LA SYMPHONIE DE L’HORREUR

Si la carrière cinématographique de Dracula, la création de Bram Stoker, débute en 1921 - dans une obscure version austro-hongroise, « Dracula halàla », réalisée par Kàroly Lajthay avec Paul Askonas - c’est le terrifiant « Nosferatu, la symphonie de l’horreur » de F.W. Murnau, sorti l’année suivante, qui reste dans la mémoire collective comme sa première représentation. Muet, tourné en noir et blanc, peuplé d’images saccadées, au rythme et au cadrage maladroit, ce chef d’œuvre de l’expressionnisme allemand reste assurément la plus fantasmagorique représentation du mythe - même si, dans cette version, le comte, pour des raisons de droits d’auteur, change de patronyme pour celui d’Orlock. L’aspect de la créature, sa démarche de zombie, interprétée magistralement par un méconnaissable Max Schreck, la qualité des éclairages et l’ambiance résolument gothique en font, encore à ce jour, un chef d’œuvre inégalé.

LE TEMPS UNIVERSAL

En 1932, une production franco-allemande enfonce le « pieu ». « Vampyr, ou l’étrange aventure de David Gray », réalisé par Carl Dryer, s’inspire de « La chambre de l’auberge » et de « Carmilla », œuvre maîtresse de la littérature vampirique, encore signée par un écrivain irlandais, J Sheridan Le Fanu.
Mais c’est finalement Hollywood, et plus particulièrement Universal, qui, en pleine âge d’or du cinéma fantastique américain, va donner ses lettres de noblesse au comte transylvanien et populariser le thème du vampire.
C’est en assistant à une représentation théâtrale de « Nosferatu », tirée du film, sur Broadway, que les dirigeants de Universal décident d’acquérir les droits, pour le cinéma , de Dracula, pensant trouver matière pour leur acteur vedette, Lon Shaney Sr. Mais le décès de celui-ci change leurs plans, et ils font appel au comédien qui tenait le rôle sur les planches de l’avenue new-yorkaise.
Bela Lugosi, comédien hongrois de second plan, hérite de la cape cinématographique du prince de la nuit (« Dracula » - 1931 - Réal : Tod Browning) avec le succès que l’on sait. Bela Lugosi effectuera un véritable transfert d’identité avec son personnage, dans une prestation alliant facétie à performance, et le marquera de son empreinte indélébile. Malheureusement, les circonstances ne lui permettront pas de s’installer dans son personnage fétiche, au détriment de sa santé artistique et mentale. (A noter qu’une version espagnole de « Dracula », incarnée par Carlos Villarias et réalisée par George Mlford fut tournée simultanément par Universal, à partir du même script et en utilisant les même plans).
L’aspect informe de la créature, non humaine, du film de Murnau est complètement gommé. Le Dracula américain se veut plus intégré dans la société humaine. L’arme principale de ce nouveau vampire, pour atteindre la tendre et fragile gorge de ses proies, sera désormais la séduction.
Dès 1935, la MGM contre attaque. Pour ce faire, elle fait appel à Bela Lugosi, pour incarner le comte Mora, un vampire maison, et à Tod Browning, pour réaliser « La marque du vampire », où l’action, pour d’évidentes raisons de droit, est déplacée à Prague, en Tchécoslovaquie.
« La fille de Dracula » (1936), qui devait réunir Boris Karloff et Bela Lugosi à l’écran, n’utilise finalement qu’une image de Dracula, en surimpression de surcroît, pour illustrer un plan fixe. Cette fois-ci, le vampire est une femme, la comtesse Zaleska, interprétée par Gloria Holden. A la différence de ces prédécesseurs masculins, elle n’accepte pas sa condition et lutte contre la malédiction qui pèse sur sa famille.
Suite aux fins tragiques du célèbre comte, qui meurt quasiment à chaque film, quelques expériences de thrillers vampiriques aux accents parfois scientifiques voient le jour, dont « The return of Doctor X » dans lequel Humphrey Borgart s’intéresse à l’hémoglobine
Par la suite, Lon Chaney Jr. tentera de reprendre le rôle de Dracula dans « The Son of Dracula » de Robert Siodmak. Mais, le cœur n’y est plus et le genre va peu à peu s’enliser, sous les traits de John Carradine, dans l’auto-parodie aux goûts parfois plus que douteux.

QUAND LA HAMMER S’EN MELE

Au début des années 50, c’est paradoxalement « La chose d’un autre monde », de Christian Nyby, tirée de la nouvelle « Qui va là ? » de John W. Campbell, qui, en établissant un pont avec la SF, accouche de la plus terrifiante créature vampirique.
Il faudra attendre le milieu des années 50 pour qu’enfin l’Europe réinjecte un peu de sang frais au vampirisme classique. Alors que les italiens exhument Elisabeth Bathory - la comtesse sanglante qui se baignait dans le sang de jeunes vierges pour conserver la jeunesse éternelle -, les studios anglais de la Hammer, fort de leurs récents succès dans le cinéma d’épouvante, négocient les droits d’utilisation de la griffe Dracula.
La Hammer parvient à allier scénaristes, réalisateurs, interprètes et moyens techniques modernes pour relancer l’intérêt du public. Tourné en Technicolor, le Dracula « made in England », profitant d’une censure clémente, incorpore un soupçon de violence, par l’intermédiaire de quelques scènes de perforation de poitrine, un zeste d’érotisme, bien qu’encore très discret, ainsi que les canines pointues et les yeux injectés de sang à ses suceurs de vie. C’est Terence Fisher qui officie à la réalisation de « Le cauchemar de Dracula » (1958), premier volet de la longue carrière du descendant de Vlad Dracul dans les locaux de la Hammer. A l’affiche, la « dame britannique » s’offre les services de deux stars du cinéma fantastique d’outre-manche : Christopher Lee s’impose en envoûtante créature de la nuit, élégante et distinguée, alors que Peter Cushing y campe son éternel et tenace poursuivant, le fameux Docteur Van Helsing. Au fil des épisodes, le tableau de chasse du « Vampire / séducteur » « Dracula / Lee » va considérablement s’étoffer avec les plus jolies « pin-up » du moment, drapées dans des tenues de plus en plus légères, ce qui participera incontestablement au succès de la franchise. Si Christopher Lee représente, pour grand nombre d’entre nous, le visage de Dracula, il n’en égare pas moins, au cours de sa carrière, sa cape de prince des ténèbres dans une multitude de productions, principalement européennes, de qualité souvent douteuses et d’un intérêt anecdotique.

LES SERIES B ET Z DES SIXTIES

Le début des années 60 voit l’émergence, en provenance du Mexique, d’un nouveau personnage de vampire, Michel Nostradamus. Interprété par German Robles, ce fils incertain du célèbre astrologue français, servira de support à une longue série de films.
En Italie, c’est Barbara Steele qui ensanglante les écrans. Tout d’abord, avec « Le masque du démon », sous la direction de Mario Bava, puis dans « La danse macabre » d’Anthony Dawson.
Le reste de la production, dans son ensemble, se focalise sur la comédie, les acteurs « body-buildés », et un érotisme de moins en moins latent.
En 1964, Vincent Price, autre stars du fantastique, étrangement absent des débats jusque là, combat l’épidémie virale du vampirisme dans une adaptation assez fidèle de « Je suis une légende » de Richard Matheson.
L’année suivante, Terence Fisher et Christopher Lee offrent finalement une suite au « Cauchemar du Dracula », intitulée tout simplement « Dracula, prince des ténèbres », qui relance sa carrière dans les locaux de la Hammer.
Avant la fin des années 60, Roman Polanski parvient, finalement, à réconcilier les accrocs aux vampires avec l’exercice parodique grâce à sa truculente satire, « Le bal des vampires », illuminé par la présence de sa femme, Sharon Tate.

HIPPYES ET BLAXPLOITATION

Les années 70 sont témoins d’une incroyable profusion de films, proche de la frénésie, dont les grandes figures historico-littéraires du genre ne sont pas absentes : Dracula, bien sûr, mais également la comtesse Bathory (« Comtesse Dracula » avec Ingrid Pitt, 1970), sans oublier la « Carmilla » de Sheridan Le Fanu. A l’image de ce monde qui explose dans tous les sens, le cinéma va s’en faire, tout naturellement, le miroir. Libération sexuelle et évolution des mœurs obligent, la production vampirique est en pleine révolution : l’érotisme est de plus en présent (un film ira même jusqu’à se titrer « Spermula ») et les amours saphiques ne se cachent plus (« The vampire lover », 1970 - « Le rouge aux lèvres », 1971). Blaxploitation, « Blacula », le fils afro-américain de Dracula, fait lui aussi son entrée dans les salles obscures. « Dracula A.D. 1972 » (qui parviendra chez nous, l’année suivante, sous le titre de « Dracula 73 ») nous plonge dans les années hippies et « Son of Dracula » dans le milieu des rock stars. Andy Warhol produit « Du sang pour Dracula ». Les dialogues de « Deafula », à destination des malentendants, sont rendus par le langage des signes.
Si en 1977, David Cronenberg nous sort du vampirisme classique, avec « Rage », une vision scientifiquement pervertie de la Créature, 1979 marque un retour aux origines cinématographiques du Mythe.
Tout d’abord, avec le superbe remake du film de Murnau, « Nosferatu, le fantôme de la nuit », réalisé par Werner Herzog, dans lequel Klaus Kinski, acteur diaboliquement fascinant reprend le rôle du comte maudit, sous le nom d’Orlock, comme 57 ans plus tôt, d’Orlock, avec à ses côtés Isabelle Adjani, en belle et future exsangue.
Mais aussi, avec une nouvelle version Universal de « Dracula », signée John Badham, et interprété par Frank Langella, qui revisite, bien entendu, la version américaine.

LES DEBUTS DU NEO-VAMPIRISME

Au cours des années 80, à l’inverse des décennies précédentes, le cinéma vampirique semble chercher ses marques. Le public et les réalisateurs, certainement lassés des stéréotypes qui émaillent la production du genre depuis la prestation de Bela Lugosi, se tournent vers des approches aussi différentes qu’originales, sans crucifix et autres gousses d’ails.
Tony Scott ouvre le bal avec « Les prédateurs », adapté du roman de Whitley Strieber, et nous livre un film à l’esthétisme très soigné, quasiment publicitaire, soutenu par une distribution intéressante : Catherine Deneuve, Susan Sarandon et David Bowie.
Tobe Hooper avec « Lifeforce » préfère, lui, se tourner vers l’espace et l’imagerie science fictive en adaptant le roman « Les vampires dans l’espace » de Colin Wilson.
Quant à Joel Schumacher (« Génération perdue ») et Kathryn Bigelow (« Aux frontières de l’aube »), ils s’affranchissent, tout en restant fidèles aux canons du genre, de l’image surfaite du vieil aristocrate, pour plonger dans les réalités de l’Amérique moderne.

ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE

La démarche d’émancipation débutée au cours de la décennie précédente va se prolonger, mais le Mythe de Dracula est aussi immortel que son personnage, et les années 90 voient également son retour sur les grands écrans, dans une nouvelle adaptation à gros budget, « Bram Stoker’s Dracula ». C’est au tour de Francis Ford Coppola de s’essayer au vampirisme gothique avec Gary Oldman dans le rôle titre. Si Coppola nous éclaire quant à la genèse du mythe, puisque le réalisateur remonte, dans l’introduction de son film, jusqu’aux agissements de Vlad Tepes, il se fourvoie dans une réalisation un peu trop clinquante, alourdie d’un volontaire gigantisme et d’un érotisme assez mal distillé. Par pêché d’orgueil, il va même s’arranger de la teneur narrative finale du roman de Stoker, préférant y démontrer la virtuosité de sa mise en scène.
La même année, John Landis choisit de dépoussiérer le genre avec « Innocent blood » et offre un rôle de vampirette moderne à Anne Parillaud.
L’excellente surprise nous vient de Neil Jordan, encore un irlandais, mais réalisateur cette fois. Son adaptation de « Entretien avec un vampire » (1994), de l’écrivaine de la New-Orleans, Anne Rice, lui permet de matérialiser le plus beau couple de vampire masculin porté à l’écran à ce jour. Le duo Brad Pitt / Tom Cruise, sous le regard angélique de Kirsten Dunn, fonctionne parfaitement, dans un film qui est une petite merveille visuelle et narrative. Le vampire Lestat devrait faire son retour sur les écrans dès l’année prochaine avec « La reine des Damnés », mais n’est pas Neil Jordan qui veut. Patientons.
1995, année de tous les vampires : Mel Brooks pastiche dans « Dracula, dead and loving it », alors que Wes Craven transpose Dracula chez les afro-américains, « Un vampire à Brooklyn » avec humour et effroi. Quant à Robert Rodriguez, il fait de nouveau preuve de son talent dans un road-movie jubilatoire et déjanté, « Une nuit en enfer ».
Têtu, le maître vampire Radu, sous les traits d’Anders Hove et la direction de Ted Nicolaou, revient pas moins de quatre fois, avec ses « Subspecies ».
Et pour conclure le chapitre 90, n’oublions pas « Blade » de Stephen Norrington, adaptation d’un vampire de comics, issu de l’écurie Marvel, musclé par Wesley Snipes, le « Vampires » de John Carpenter dans une style vampire-spaguetti et l’intimiste « Sagesse des crocodiles » de Po-Chih Leong, sorti cette année en France, qui, personnellement, m’a laissé un goût d’inachevé.
Après le téléfilm de Joe Chappelle, « Dark Prince, the true story of Dracula », diffusé à la télévision US à l’occasion d’Halloween, un « Dracula 2000 », produit par Wes Craven et réalisé par Patrick Lussier, devrait débarquer, sous peu, dans les salles obscures. Mais, peut-être deviendra t-il, par la force des choses, « Dracula 2001 » pour sa sortie en France ? Allez savoir.

NB : Remerciements aux membres de la liste de discussion [email protected] pour leur soutien, leurs conseils et leurs nombreuses informations.


Bruno Paul
10 décembre 2000



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