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Brigade de l’Œil (La)
Guillaume Guéraud
Gallimard, Folio SF, roman (France), dystopie, 317 pages, juin 2009, 7€

Rush Island, 2031, dans cette société du futur, les contrevenants à la loi Bradbury qui interdit la possession, la diffusion et la vision de la moindre image, auront les yeux définitivement crevés par la brigade de l’œil.
Le romancier nous propose de suivre les destins croisés de Falk, le plus célèbre officier de cette fameuse brigade (un super KGB de l’avenir), du jeune Kao qui combat l’ordre établi, de dirigeants du régime tout autant que des quelques révolutionnaires qui tentent de diffuser les dernières images encore en leur possession...

Car évidemment, même dans cette société totalitaire ultra-contrôlée, il existe une résistance qui a constitué un sanctuaire souterrain (le diaphragme) regorgeant d’images que les combattants de la lumière n’hésitent pas à aller dealer auprès des accros.

Une dystopie sensible et émouvante, bien qu’un peu artificielle et bancale dans ses fondements, mais qui a le mérite d’être aussi un bon roman d’anticipation, clair, court, qui va à l’essentiel.



« La Brigade de l’Œil » est une œuvre d’anticipation intéressante à plusieurs titres.
Tout d’abord, le clin d’œil (!) appuyé au classique « Fahrenheit 451 » via la création de la loi dite Bradbury - fondatrice de cette dystopie - est évidemment une allusion directe à un des plus célèbres romans du genre.
On trouvera d’ailleurs tout au long du récit d’autres références à cette œuvre. On pense tout particulièrement à l’utilisation compulsive du feu par les agents de la brigade de l’œil, un outil purificateur ultime qui rappelle forcément les pompiers pyromanes de Ray.
Tout aussi étrange, allusif et finalement osé, imaginer qu’une société qui met les livres au centre de son univers culturel au détriment des images (TV, cinéma, photos, peintures, dessins, etc) puisse devenir un modèle d’univers totalitaire n’est pas sans saveur (ni humour).

Si l’aventure en tant que telle est agréable à lire (personnages bien plantés, intrigues connexes crédibles, enchaînements des évènements logiques et émouvants), il n’en reste pas moins que c’est dans son originalité même que le roman suscite quelques interrogations : on croit très moyennement aux facteurs ayant entraîné la fameuse révolution anti-image, l’organisation de cette société de l’écrit paraît légèrement bancale et tout au long du roman on a fortement l’impression qu’une simple pichenette contestataire devrait faire tomber le pouvoir en place.

Paradoxalement, l’adhésion majoritaire des citoyens aux grands principes de cette “utopie du livre” tend à fragiliser l’image dystopique que le roman est censé susciter. Si l’on pouvait accepter sans aucun problème que la suppression des livres, l’usage de drogues officielles diverses et variées (calmants et euphorisants) ainsi que l’abrutissement des masses via une vision addictive et prémonitoire de la télé réalité justifient la logique du roman de Ray Bradbury, on a du mal à croire que la mise en avant des livres (et de leurs vertus éducatives) permettent la création d’une société aussi totalitaire (mais pourquoi pas, après tout).
Même si ces petites critiques sont d’ordre personnel, il nous semble bien percevoir la gêne de Guillaume Guéraud quand, vers la fin de son roman, il légitime le combat des résistants de l’image à travers les déclarations d’un détective de la police criminelle qui avoue que de plus en plus de jeunes sont drogués à des substances hallucinatoires interdites. Un facteur qui nous avait fortement échappé à la lecture des pages qui précédaient et qui nous tombe dessus à la manière d’un coup de tonnerre sans orage.

Faute d’une localisation précise, mais plus ou moins suggérée tout au long du récit par petites touches (Rush Island ? Je ne saurais dire pourquoi, on pense tout autant à l’île de Manhattan qu’à une cité du continent asiatique –mais peut-être est-ce mon inconscient personnel qui a travaillé involontairement cette intuition et non l’auteur), il manque des repères géographiques et politiques pour se convaincre de la possible réalité de ce futur. On se demande bien comment situer cette contrée étrange sur la carte du monde.
Par conséquent, les interactions qu’elle aurait forcément avec ses voisins deviennent un sujet totalement ignoré, si ce n’est pour préciser que les éventuels candidats à l’immigration ont été et sont abattus sur-le-champ.

Par contre, réussite incontestable du roman, le personnage du jeune Kao densifie à lui seul l’ensemble du suspense. Sa découverte d’un film de Charlie Chaplin est une très belle ode aux pouvoirs enchanteurs du cinéma (ce qui est finalement l’argument le plus émouvant du récit). Sa relation amoureuse naissante avec la belle Emma, les liens tissés avec un énigmatique gardien de cimetière ainsi qu’avec tous les autres révolutionnaires du diaphragme, dont leur leader Fuji, sont bien amenés et tiennent en haleine.

Roman intéressant, court, doté d’un style simple, clair et précis, « La Brigade de l’Œil » est une jolie surprise venue d’un auteur que nous n’avions pas encore croisé sur les chemins de l’imaginaire SF.
Après une première publication en catégorie jeunesse (pour ados) aux éditions du Rouergue (2007), sa publication dans une collection de poche reconnue est donc une excellente proposition d’achat que nous conseillons franchement.
Incontestablement, le genre de bon petit texte qui dit clairement ce qu’il a à dire et nous réconcilie avec le principe d’une lecture tout à la fois anticipative, populaire et intelligente.


Interview de Guillaume Guéraud sur la YOZONE


Titre : La Brigade de l’Œil (France, sept 2007)
Auteur : Guillaume Guéraud
Couverture : Damien Venzi (illustration)
Première édition (France) : Éditions du Rouergue, collection “DoAdo noir” (14 €)
Éditeur : Gallimard
Collection : FolioSF
Numéro : 340
Directeur de Collection : Pascal Godbillon
Site Internet : fiche roman (site collection)
Pages : 317
Format (en cm) : 11 x 1,5 x 18 (poche)
Dépôt légal : mai 2009
EAN : 9782070358298
ISBN : 978-2-07-035829-8
Prix : 7 €



Stéphane Pons
16 septembre 2009


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