Si vous n’avez lu aucun des tomes de la série « Les Voies de l’Ombre » du duo infernal Camut/Hug, arrêtez là et précipitez-vous sur « Prédation », le premier de la trilogie. Je le précise, car contrairement à ceux qui concoctent des sous-titres ronflants pour rassembler des romans hétéroclites (mode ou obsession de « l’œuvre » ?), il s’agit là d’une suite où chaque roman commence là où l’autre se termine.

Ergo, impossible de parler de cet ouvrage sans citer les précédents. « Prédation » se basait sur une idée géniale dans sa simplicité -et n’a rien à voir avec un quelconque « serial killer », le personnage étant parfaitement rationnel- et, clin d’œil à « Saw » oblige, se terminait sur une chute fulgurante. Le second tome, « Stigmates », s’attardait sur la personnalité de Kurtz, véritable génie du crime comme on n’en avait pas vu depuis longtemps, doublé d’un apprenti dictateur, et les terribles conséquences de l’affaire sur ses victimes, au point de leur faire également côtoyer la monstruosité. On y laissait Kurtz aux mains de ses ex-victimes…

On s’en doute, le récit de ce tome commence par l’évasion de Kurtz. Évasion qui sera en fait le début d’une longue chute pour ce mégalomane qui connaîtra peu à peu la déchéance physique et la perte de sa supériorité autoproclamée jusqu’à une conclusion implacable. Déchéance qui fait un contrepoint avec les idées exposées dans son manifeste (rappelant un certain opuscule monomaniaque écrit par un peintre raté…) par celui qui se veut un artiste du crime. Et bien sûr, comme toute les solutions faciles, les auteurs ne nient pas l’attrait qu’elles peuvent exercer dans certaines situations…

Le plus fascinant est encore la guerre que les « chiens » de Kurtz déclarent au pays tout entier et la terrifiante autant que crédible facilité avec laquelle le chaos se répand. Occasion de rappeler qu’une société est également un tissu social qui peut facilement se déliter pour faire ressurgir les pires instincts…

Le tout dans une langue sèche et rapide, certes moins travaillée que sur les ouvrages ultérieurs du duo, mais qui fonce, fonce d’une scène à une autre sans que le rythme ne faillisse un seul instant. Contrairement aux faiseurs de best-sellers prémâchés étirant leurs intrigues ou rajoutant des “hollywooderies” sentimentalistes pour faire joli, Camut/Hug vont à l’essentiel, sans fioritures sentimentales ni affèteries, avec une maîtrise du sujet stupéfiante et un souffle épique certain.
Le lecteur est libre de tirer ses propres conclusions sur tous les sujets brassés dans ce dernier chapitre, car pour qui veut sucer la substantifique mœlle chère à Rabelais, les auteurs glissent au passage quelques piques fort justes sur le monde tel que nous le connaissons… et la facilité avec laquelle il peut s’écrouler.

S’il fallait un défaut, certes mineur, c’est que les personnages sont quelque peu sacrifiés aux besoins de l’intrigue, si bien qu’il faut parfois faire un effort pour se souvenir qui est qui, tant les rôles secondaires abondent. Et les « carnets de Kurtz » reproduits en fin de volume n’apportent pas grand-chose. Simples scories pour ce qui s’impose comme une des suites majeures du thriller actuel. Certains ténors (au hasard, Chattam) pourraient en prendre de la graine…

Titre : Instinct (roman, 2009)
Premier éditeur (France) : Télémaque
Série : Les voies de l’Ombre T.3
Volumes précédents : Prédation (T1), Stigmates (T2)
Auteurs : Jérôme Camut & Nathalie Hug
Couverture : L’agence libre
Editeur : Le Livre de Poche
Collection : Thriller
Sites Internet : site auteur, une interview filmée en ligne, fiche roman (site éditeur)
Pages : 618
Format (en cm) : 17,7 x 11 (poche)
Dépôt légal : mai 2009
ISBN : 978-2-253-12722-2
Prix : 8 €