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Imaginales 2009 - L’imaginaire européen

Épinal - 15 mai 2009 - 11h

Table ronde : L’imaginaire européen… une nouvelle donne ?
- Animée par Christophe de Jerphanion, avec :
- Bernard Hennen (traduit de l’allemand par Pierre Beguinot, professeur d’allemand à Épinal) pour la saga « Les Elfes », Milady ;
- Andrzej Sapkowski (s’exprimant dans un anglais clair, traduit par Lionel Davoust) pour le dernier volume paru de la saga du sorceleur « le Temps du Mépris », Bragelonne ;
- Jean-Claude Dunyach, pour « Séparations », dernier volume paru de ses nouvelles, l’Atalante ;
- Adriana Lorusso, pour « l’Exilé de Ta-Shima », Bragelonne SF



Christophe de Jerphanion pose la question de la spécificité d’une « culture européenne » dans le travail des auteurs présents.

Pour Bernhart Hennen, la différence avec les U.S.A. est nette, car l’Europe dispose d’un arrière-plan culturel caractéristique, de nombreuses références historiques, des mythologies parfois communes, bref une véritable « culture européenne ».

Andrzej Spakowski souligne la marque européenne apposée par Tolkien sur la fantasy, et l’absence de mythologie des Etats-Unis. Toutes les sources sont européennes, la bonne fantasy s’inspire donc d’un fonds légendaire forcément européen.

Adriana Lorusso se déclare dérangée par le « provincialisme culturel anglo-saxon » qui veut que dans l’avenir, tout le monde parlera anglais (comme les Français souhaiteraient que tout le monde parle français…) en niant les influences mondiales, notamment de l’Amérique Latine ou du Japon. La SF est à son avis plus universelle, malgré la manie des auteurs américains de ne faire que transposer les U.S.A. sur d’autres planètes.

Jean-Claude Dunyach explique que la grande différence entre l’Europe et les États-Unis vient d’une perception différente du temps : nous avons une histoire de plusieurs dizaines de siècles, et eux non. Aussi ont-ils également aboli les distances en plus du temps.
Si les villes européennes ont une histoire, sont souvent reconstruites sur les ruines de la ville précédente, ce n’est pas le cas en Amérique (on a par exemple fêté en 1992 le centenaire de Vancouver).
Un état de fait qui conduit les U.S.A. à une production littéraire en SF très américano-centrée, négligeant l’avis, voire l’importance du reste de l’humanité, et transposant dans l’avenir les idées provinciales typiquement américano-américaines, contrairement à la SF anglo-saxonne, plus multiculturelle et moins monolithique. Un peu étonnant pour une nation d’immigrants ? Non, car tous se sont désormais fondus dans l’Amérique.

Et l’influence de la culture polonaise ? demande Christophe de Jerphanion à l’invité vedette de ces Imaginales.
Andrzej Sapkowski ne la renie pas, mais s’estime avant tout européen et « citoyen du monde ». Et le monde est multiculturel, à l’image des U.S.A. des premiers temps, où les immigrés avaient apporté avec eux leur culture.
Il souligne dans son œuvre des motifs typiquement polonais, et donc pas facile à traduire et à faire passer : l’humour est à son avis ce qui pâtit le plus de la traduction et du changement de culture. Certaines plaisanteries nécessitent en effet une connaissance culturelle ou historique du pays d’origine.
Il y a également le poids de l’histoire polonaise. Il est né en 1948, et se rappelle d’une époque où une blague pouvait vous valoir la prison. Cette même histoire drôle, et ce qu’elle impliquerait, serait totalement incomprise par des gens nés dans les années 80.

Bernhart Hennen voit quant à lui comme une plaisanterie que les Etats-Unis jugent leur littérature supérieure à celle de l’Europe, en oubliant qu’elle en est justement la source. Pour l’Allemagne, il évoque la marque du nazisme et une certaine acculturation de la jeunesse, à l’époque comme aujourd’hui.

Andrzej Sapkowski revient lui aussi sur l’histoire de son pays. L’a-t-elle poussé vers la fantasy ? Il ne faut pas exagérer non plus, se défend-il. Les temps étaient difficiles, mais ce n’était pas si sombre, il n’y avait pas de censure soviétique. La SF y était parfois utilisée pour une double lecture par l’opposition, et « les petits hommes verts étaient bien entendu compris comme rouges ! »

Adriana Lorusso n’estime pas avoir une culture italienne, ayant passé sa jeunesse en Belgique et en Allemagne, mais plutôt une culture européenne.
Malgré la barrière des langues, la vision européenne est à son avis moins frontalière qu’aux U.S.A., et permet une confrontation des cultures. Dans « Ta-Shima », on peut voir une Europe pluriculturelle assiégée par un empire américain voulant imposer sa culture et sa « way of life » sans droit à la critique ni à la différence.

Jean-Claude Dunyach rappelle qu’une société se détermine par rapport à ses frontières, faisant le choix d’une expansion hégémonique ou de la collaboration avec ses voisins.
Il donne l’exemple d’Airbus, où cohabitent quatre visions nationales (France, Espagne, Angleterre, Allemagne), les compromis nécessaires et les contributions des différentes cultures, qui « coexistent pour produire le meilleur possible », contrairement aux nations comme les U.S.A. dont la production sera une vision monolithique. L’intérêt du roman de SF est justement d’explorer la coexistence possible aux marges des pays/états/sociétés et leur pérennité.

Adriana Lorusso en profite pour signaler les « complexes des auteurs européens », qui n’ont que peu de débouchés et de public en raison de cette diversité culturelle, tandis qu’un auteur américain, qui bénéficie de la même « vision » que ces lecteurs tous sortis du même moule, peut vivre de sa plume.

Andrzej Sapkowski préfère parler d’universalité plutôt que de culture européenne. La Table Ronde, la chanson de Roland, etc. sont pour lui universelles. Dans la saga du « Sorceleur », il trouve la patte de Philip Marlowe. Et de faire remarquer en riant que toutes les influences, même celles de l’Amérique et de sa télévision, sont bonnes à prendre.

Jean-Claude Dunyach revient sur la divergence entre la SF européenne et la SF américaine. Les nouveaux auteurs américains ne sont pas traduits en Europe, et vice-versa. Car il s’agit de deux visions totalement différentes de l’avenir, deux discours qui ne trouveraient pas leur écho dans le public, car les auteurs ont l’air de vivre sur des planètes différentes !
Les auteurs américains ont une culture SF basée sur les livres strictement américains, et sont donc incompréhensibles pour les européens. Les auteurs européens lisent de leur côtés des livres issues de différentes nationalités, et donc de différentes cultures, leur permettant de se forger et d’écrire une vision du monde à venir plus complexe, plus multiculturelle et moins provincialo-centrée.

Mais la fantasy, l’univers de la féérie, est-il universel ? demande Christophe de Jerphanion.
Chez Bernhart Hennen, deux univers s’opposent : l’un fabuleux (avec des elfes, des nains) dirigée par une reine sage, l’autre humain, où la pluralité des cultures est menacée par la volonté de chacun de dominer les autres. Il déclare aussi qu’il est difficile de trouver aux U.S.A. de la fantasy européenne, au contraire de la pluralité disponible en Europe.

Une dernière question, de ma part : Et la religion ? La France dispose d’un riche patrimoine religieux, l’Allemagne est le berceau de la Réforme, l’Italie abrite les Papes et la Pologne a fourni le précédent. A-t-elle de l’influence sur la manière d’écrire de la fantasy ou de la SF ?

Andrzej Sapkowski n’en voit aucune. Ses premiers livres lui ont valu d’être accusé d’athéisme en Pologne. Après sa trilogie sur la première hérésie en Bohême, on l’a accusé d’anticléricalisme. Bien sûr, puisqu’il s’agit de l’histoire d’une hérésie ! Aussi il ne croit plus en rien, et plus qu’athée il se déclare fermement païen, envoyant tous les dieux se faire pendre ailleurs ! (et dans son anglais sans accent, la tirade valait le coup !)

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Adriana Lorusso fait remarquer que dans son livre, Ta-Shima a éliminé la religion, et qu’au contraire la Fédération qui l’envahit est très pieuse. Elle n’a pas reçu d’éducation religieuse, et ne s’en plaint pas.

Pour terminer, Bernhart Hennen révèle qu’il est catholique, qu’il a reçu une éducation religieuse, mais que ses rapports avec le christianisme sont ambivalents, pour des raisons culturelles. On retrouve une certaine religiosité chez « les Elfes ». Il remarque que le catholicisme est loin d’être parfait, mais qu’il a permis l’émergence d’esprits brillants.

Mon avis d’auditeur : Cette table ronde a eu le mérite de répondre au sujet proposé, et c’est celui-ci qui se retrouve faible : il y a bien une culture européenne, qui s’oppose à celle des États-Unis. Les auteurs ont également démonté rapidement l’hypothèse de spécificités nationales au profit d’une mythologie commune au continent. Coup de chapeau aux deux traducteurs, Hennen comme Sapkowski étant adeptes de réponses développées livrées en bloc. On regrettera la maigre participation au débat d’Adriana Lorusso, la seule à avoir essayé de raccrocher le sujet à sa production littéraire.

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Nicolas Soffray
10 juin 2009


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