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Ange de la Nuit (l’) T.1 : La Voie des Ombres
Brent Weeks
Bragelonne, traduit de l’anglais (USA), fantasy, 546 pages, janvier 2009, 22€

Il y a des livres capables de vous réserver la meilleure surprise comme la pire déconvenue, généralement à l’exact opposé de vos attentes. « La Voie des Ombres », vanté comme « un habile mélange entre David Gemmell, Scott Lynch et Robin Hobb »(dixit l’éditeur en quatrième de couverture), me faisait augurer le pire. Eh bien, pour me faire me mordre la langue, ce premier volume de « l’Ange de la Nuit » s’avère fabuleux, et je pèse mes mots.



Cenaria est une petite cité millénaire, construite de bric et de broc, où l’on vit et meurt comme ailleurs, qu’on soit noble ou voleur. Azoth est un gamin du Dédale, le quartier le plus miséreux de la ville. La vie n’est pas rose, et pour protéger ses amis, Jarl et la jolie Poupée, il est prêt à bien des sacrifices. Lorsque les choses dérapent, Azoth se fait la promesse de devenir aussi fort que la légende de la ville, le redoutable Durzo Blint.
L’homme accepte de le prendre comme apprenti, après une douloureuse initiation qui lui coûtera ses amis. Vous vous en doutez, Blint n’est pas le premier artisan venu. Il n’est même pas le meilleur assassin de la ville. C’est un pisse-culotte. Qu’est-ce donc ? Selon ses propres termes, « le pisse-culotte est à l’assassin ce que le tigre est au chaton. » Il ne pense pas en termes de cibles, mais de cadavres.
De plus, un pisse-culotte a le Don, une forme de magie qui le sert dans ses activités, étouffant le bruit de ses pas, augmentant sa force, dissimulant sa silhouette… Et il s’avère qu’Azoth est incapable d’y faire appel. Au fur et à mesure que les années passent et que le garçon s’aguerrit, il découvre le projet de son maître : mettre la main sur un ka’kari, une gemme enchantée qui assure à son possesseur la vie éternelle. Et le handicap d’Azoth s’avère un moyen de le trouver.

Mais tout cela serait bien trop facile dans un monde simple et en paix. Cenaria est sous la coupe d’Aléine le Neuvième, un roi geignard et incompétent, qui a usurpé le trône au détriment du duc Gyre, un homme droit et bon. Car tel fut le choix du Sa’kagué, l’assemblée qui siège dans les bas-fonds et chapeaute le commerce du vice et de l’illégalité, une mafia qui emploie des gens comme Blint.
Tandis que le duc Gyre, exilé dans une forteresse de frontière, protège la ville des velléités d’invasion du Roi-dieu voisin de Khalidor, son fils Logan grandit, se lit d’amitié avec le prince Aléine (futur Dixième) et avec le jeune Kylar, petit baronnet recueilli par le père de sa fiancée, en fait Azoth placé là pour apprendre les manières de la bonne société.

Le jour de la majorité de Logan Gyre, tout va basculer. Ursuul de Khalidor menace Cenaria d’invasion si elle ne lui remet pas le ka’kari en possession de la famille royale, et que le roi, le prenant pour une babiole de prix, a offert à sa maîtresse.
Dans les bas-fonds, le jeune Roth, maître d’une guilde de voleurs, a décidé de devenir le maître du Sa’kagué. Et ses appuis ne sont pas des moindres lorsqu’il décide de décapiter la monarchie en guise de coup d’éclat.

Action, amours et complots

En quelques 550 pages, Brent Weeks nous offre une histoire solidement ficelée. Son style incisif produit des coupes appréciables dans le récit, permettant de laisser s’écouler huit ans dans ce premier volume et de nous forger un héros cohérent. Là où Robin Hobb nous étalait le quotidien de son “FitzChevalerie” en long et en large jour après jour, Weeks sait nous dire en un paragraphe qu’une ou deux années s’écoulent et que les seuls faits marquants sont ça, ça et ça, nous économisant 100 à 200 pages de train-train quotidien. Cela ne nuit pas à l’intrigue, bien au contraire, même si lorsqu’on repose le roman, on réalise que l’introduction prend quasiment 100 pages, et que le “combat final” un peu plus de 200.

Car Brent Weeks aime l’action. Certains y voient la patte de David Gemmell. Mais loin des grandes batailles du cycle de Drenaï, ici ce sera plus affaire de duel ou de combat seul contre tous, dans une atmosphère et une esthétique très proche des jeux vidéos du type “Final Fantasy” ou de mangas et animés où les combattants enchaînent les coups les plus puissants et les plus surréalistes (sur la fin seulement, rassurez-vous). Car la magie du Don et l’emploi du ka’kari décuplent les possibilités, et font qu’un pisse-culotte est un adversaire redoutable. Presque autant qu’un mage…

Parlons de magie, justement. On goûtera avec plaisir un roman vraisemblablement écrit par un non-rôliste, d’où panthéons divins interventionnistes et magies en tous genres sont absents. Un Dieu unique est vénéré (pas par tous) et demeurent quelques divinités païennes, mais la religion n’est pas le sujet, juste un élément de fond. Seul le Don importe, et son degré de maîtrise.
Il y a bien des écoles de magie, plus ou moins spécialisées, notamment les Séthi qui, après avoir produit quelques mages aux pouvoirs cataclysmiques, refusent d’apprendre ou d’enseigner le moindre art offensif et se posent en guérisseurs. À l’inverse, Khalidor produit des sorciers plus prompts à la boule de feu qu’autre chose. Enfin, quelques prophètes viendront mettre leur grain de sel dans ce fatras, et leurs visions morcelées seront bien tordues à comprendre.

On ne négligera pas non plus le côté sentimental, puisque les femmes sont importantes dans ce roman. Bien que Blint lui ait enseigné de ne s’attacher à personne, Azoth restera très liée à sa Poupée, qu’il n’a plus le droit de voir, sous peine de mort. Logan fréquente la fille du comte Drake, souhaite l’épouser malgré leur différence de rang. Mais le jeune homme devra faire face à un choix difficile, entre son bonheur et la raison d’état.
Car si les héros sont majeurs (et qu’on nous épargne enfin la fable de l’adolescent qui sauve le monde et collectionne les conquêtes plantureuses), c’est aussi le temps des premiers émois pour Logan et Azoth, que les évènements ne parviennent pas totalement à dessiller sur certains sujets, ou alors de la manière brutale des premières fois : le premier baiser, le premier mensonge, la première trahison…
Enfin des personnages comme Mamma K, maîtresse des plaisirs, apportent l’ambiguïté du pouvoir et de la fragilité de la passion. Inutile de vous dire que Weeks, déjà peu tendre avec son héros, ne l’est pas plus avec les autres protagonistes, et si vous rêvez parfois à un happy-end, vos espoirs mourront dans le carnage des deux cents dernières pages. Il reste juste assez de personnages pour le second volume.

Une réussite à tous points de vue

Sous la magnifique couverture de Frédéric Perrin (qui n’a pas à rougir de côtoyer les illustrations de Didier Graffet, Marc Simonetti ou Julien Delval), Brent Weeks nous livre une histoire captivante. Le style est là, vif et direct, pour mener un récit très dense et ficelé à la perfection.
La psychologie des personnages est des plus réalistes, on oscille entre sentiments avoués ou non, petits mensonges et grosses trahisons, pointes d’humour noir ou comique de situation (la tentative d’assassinat d’Azoth par une jeune et voluptueuse pisse-culotte est à pleurer). Rien n’est laissé au hasard dans l’intrigue. La magie du Don apporte à l’action une patte ultra-visuelle digne des effets spéciaux de cinéma ou des animés japonais spécialistes du genre, qui ravira le lecteur avide de combats légendaires plutôt que de batailles apocalyptiques. Malgré tout, Brent Weeks sait conserver, à quelques exceptions près, le sens de la mesure.
Espérons que les deux suivants continueront sur cette « Voie des Ombres ».

Un bémol final, sur la relecture. Si les coquilles sont relativement rares, à plusieurs reprises on s’est emmêlé les pinceaux : des personnages semblent se connaître avant de se rencontrer, ils changent de nom, se font face à eux-même…
- Page 88 : (…) le père de Logan est à Vents Hurlants > Azoth ne connaît pas encore Logan. Son père devrait donc être appelé « Duc Gyre ».
- Page 99 : Dame Logan a demandé à être nommée tutrice de Logan > Dame Catrinna (la mère de Logan)
- Page 104 : Il ignorait encore à quelle branche de salut > l’expression est « planche de salut »
- Page 136 : — Nous tuerons cette Mamma K irena > le nom de Mamma K est Kirena, et c’est une femme publique, donc l’un ou l’autre… ou pas d’espace.
- Page 173 : Que se passerait-il si la femme descendait et que Corgi la suive ? > étrange concordance des temps
- Page 221 : Le jeune Drake était l’image même de l’innocence > Le jeune Gyre (Logan)
- Page 224 : — Alors, où est le problème. > un point d’interrogation au lieu d’un point
- Page 249 : au moins Le Mythrul ne brillait pas > pas de majuscule à la préposition
- Page 292 : Le jeune homme l’ouvrit > manque le point final
- Page 321 : Le colosse brandit l’énorme épée, Logan brandit un couteau à beurre > Kylar, et non Logan (c’est le colosse)
- Page 367 : — Je croyais que tu avais laissé tomber ces vieilles prophéties ? > pas de point d’interrogation
- Page 389 : Kylar disposait de une heure > inélégant
- Page 436 : Kylar se tourna vers les nobles > manque le point final
- Page 470 : Les personnes qui travaillaient ici domestiquaient (…), mais ils empêchaient > elles empêchaient
- Page 482 : Il fixa son regard sur la lame de un mètre de Durzo > inélégant
- Page 488 : La douleur va venir > manque le point final
- Page 490 : Cette fois-ci, je n’ai pas bu le boire > pas pu le boire
- Page 495 : à moins de un mètre de la muraille > inélégant
- Page 507 : Eléna Drake > Ulana (la comtesse) ou Iléna (la fille cadette) ?
- Page 544 : Les mains d’Elène s’agitèrent comme des colibris > manque le point final


Titre : La Voie des Ombres (The Way of Shadows, 2008)
Sous-titre : L’Ange de la Nuit (The Night Angel Trilogy), livre un.
Auteur : Brent Weeks
Traduction : Olivier Debernard
Couverture : Frédéric Perrin
Editeur : Bragelonne
Site Internet : fiche du roman
Pages : 546
Format (en cm) : 15,4 x 23,8 x 4
Dépôt légal : janvier 2009
ISBN : 978-2-35294-265-8
Prix : 22 €



Nicolas Soffray
30 avril 2009


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